Les citoyens et la sécurité 5 février 2011
Débat public organisé par la Ligue des droits de l’Homme et le Syndicat de la Magistrature. Avec Gilles Sainati, magistrat
On assiste aujourd’hui à une délation organisée.
Comment en est-on arrivé là ? Quelques éléments de réponse.
La vidéosurveillance représente 60 % du budget de la prévention – elle tend à remplacer les éducateurs. Les caméras de surveillance sont offertes aux collectivités locales, qui payent très cher leur entretien. Elles s’accompagnent de la réduction des effectifs de gendarmerie et de police. Les communes vont financer les caméras, l’Etat se décharge de ses missions : la police municipale acquiert des pouvoirs réservés auparavant à la police d’Etat.
La généralisation de la vidéo-surveillance survient partout, quels que soient les bords politiques. Exemple d’une commune de 500 habitants, équipée de 16 caméras. Le maire est socialiste…
Il s’agit d’une évolution massive de la société. Pour plaire, dit-on, à l’électorat.
A quoi ce phénomène est-il dû ? Ceux qui le dénoncent sont taxés d’angélisme ou de gauchisme ! Il s’agit pourtant d’atteintes à l’Etat de droit.
Qu’est-ce qu’un état de droit ? Les principes fondamentaux sont contenus dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme et dans la Convention européenne des droits de l’Homme.
C’est sur eux que reposent les codes civil et pénal.
Premier principe : la liberté. Mais qu’est-ce que c’est que la liberté ?
« La sécurité est la première des libertés », a dit Jospin. Cette phrase n’a pas grand sens. La liberté ne se discute pas. Mais il y a confusion entre la sûreté et la sécurité !
La « sureté » (1789), c’est la garantie contre le pouvoir de l’Etat. C’est un ensemble de règles limitant le pouvoir de l’Etat (tel qu’il existait sous l’Ancien Régime). En échange, l’Etat assure la sécurité des citoyens. En confondant sécurité et liberté, on enlève un morceau essentiel d’une notion, la sûreté, qui assure la défense contre l’arbitraire de l’Etat.
Conséquence : un syndicat de police et Sarkozy veulent inscrire la « sécurité » dans la Constitution, au détriment de la liberté. Cette confusion entre sécurité et sûreté date de l’année 2000, on a assisté à 10 ans de politique sécuritaire terribles : 42 lois sur la sécurité ! A chaque fait divers, on en fait une…
La « tolérance zéro » est une expression qui nous vient des USA, c’est le maire de New York qui a inventé la formule, reprise tout au long des années Bush. Il s’agit de poursuive tous les petits délits dans le but de dissuader d’en commettre de plus graves.
On va même créer de nouvelles infractions. Il s’agit de faire du chiffre : la police est payée au rendement (aux USA).
Sarkozy a adopté la même politique : on se glorifie de l’augmentation des poursuites pénales (pourtant, elles montrent qu’il y a toujours autant de délinquants !) Les « chiffres de la délinquance » sont, en réalité, les chiffres des activités policières. Le « taux de poursuites pénale » doit être de plus en plus proche de 100 % : on poursuivra tout ! La tolérance zéro, c’est en réalité l’intolérance sociale. C’est la culture de la peur de l’autre.
La justice
Les principes fondamentaux de la justice, c’est 1) des débats contradictoires, 2) la possibilité d’être défendu par un avocat, 3) la motivation du jugement, avec un droit d’appel, 4) l’impartialité des juges.
Ces principes sont remis en cause avec l’automatisation des peines ; la reconnaissance préalable de la culpabilité ; l’énoncé des peines fait par le parquet
Toutes ces mesures mettent à mal la personnalisation des peines, on ne bénéficie plus de la protection d’une juge. 40% des peines sont aujourd’hui décidées par le Parquet (le juge ne faisant que les entériner) – c’est-à-dire par la police…
La loi Perben 2 a mis le Parquet sous la direction du Garde des Sceaux. On évacue le juge du Siège, qui a une place réduite. Et on choisit les « petites affaires » qui sont simples, au détriment des affaires compliquées : entre autres les affaires politico-financières ! Cette poursuite privilégiant la « délinquance de la rue » aboutit à un démantèlement du service de police. Par exemple, on ne voit plus beaucoup d’affaires de recels, qui demandent du temps et du personnel. On peut dire qu’on se contente d’arrêter celui qui court le moins vite !
Autre moyen de faire des économies : les peines automatiques. Par exemple, les radars routiers aboutissent à des suppressions de permis automatiques. Résultat : quantité de personnes en sont réduites à conduire sans permis. Si on les attrape, on va les envoyer en prison ! On les traitera comme de dangereux récidivistes. Il s’agit là d’un phénomène massif. C’est la disparition du principe de la personnalisation de la peine, qui permettait, par exemple, de retirer le permis de quelqu’un pendant les vacances tout en lui permettant d’aller travailler… La nouvelle politique est une politique d’élimination sociale.
Le fichage
La notion juridique de « récidive » est remplacée par la notion de « réitération », utilisée par Sarkozy. Pour savoir qui a « réitéré », on va voir dans le fichier STIC (mis en place en 1995 par Pasqua, mais la gauche l’a gardé et enrichi !). Il contient le nom de « toute personne mise en cause », que ce soit l’auteur d’un délit, les témoins, les suspects, les victimes ! Les victimes sont donc des présumés-coupables. La CNIL a relevé 15 % d’erreurs, impossibles à rectifier. On ne peut pas savoir si on est fiché, on ne peut pas, ou très difficilement, avoir accès à sa fiche. Exemple de l’électricien qui se fait arrêter pour port de couteau d’électricien : voilà une « affaire élucidée », le voilà inscrit dans le fameux STIC. Autre exemple : vous habitez dans un immeuble où un meurtre se produit. Inscrit dans le STIC, vous êtes automatiquement emmené en garde à vue…
La notion de « personne mise en cause » (figurant dans le STIC) est une notion floue. Pour Sarkozy, il s’agit de repérer tous les mauvais citoyens. On y a mis les mineurs. La durée d’inscription dans le STIC est de 20 ans !
Exemples : la police fait une descente à la sortie d’un lycée, des jeunes se font pincer avec un peu d’herbe. Ils vont avoir affaire au Juge pour Enfants – mais ils seront inscrits au STIC ! De même, récemment, des jeunes manifestants distributeurs de tract.
Le STIC pourra être consulté non seulement par la police, mais par des employeurs publics dans le cadre des concours à la fonction publique, par ex. dans l’Education Nationale. Des bagagistes dans les aéroports se sont vus mettre à la porte parce qu’ils étaient inscrits au STIC.
Combien de gens sont inscrits au STIC ? 10 millions ? 15 millions ? Tout le monde y sera !
Le Casier Judiciaire ne sert plus à grand-chose : il comportait 3 volets dont les premiers disparaissaient au bout d’un certain temps (ce qui relevait du droit à l’oubli !), seul le troisième demeurait, consultable seulement par la justice. Aujourd’hui, il est bien plus rapide de consulter le STIC !
Autre fichier : celui des empreintes génétiques, d’abord réservé aux délinquants sexuels. En 98, E. Guigou s’était engagé à ce qu’il reste circonscrit aux délits sexuels graves. Après le 11-septembre, la pression sécuritaire a été telle qu’il y a eu des manifestations de policiers et de gendarmes contre une justice jugée trop « laxiste ». Le fichier des empreintes génétiques a été généralisé à l’ensemble des infractions pénales.
Avec le rapport de l’INSERM et le rapport Bénisti, on a prétendu faire des prédictions génétiques de la délinquance ! Militants syndicalistes et politiques sont poursuivis pour refus de donner ses empreintes génétiques. Ils risquent la prison…
En conclusion, la loi LOPSI 2
Il faut souligner le caractère de plus en plus flou des infractions que l’on poursuit : depuis les délits « terroristes » comme à Tarnac jusqu’à la notion de délit « en bande organisée » (ou il suffit d’être deux pour avoir « droit » à une majoration de peine !)
La loi de prévention de la délinquance impose aux éducateurs et assistantes sociales le « secret partagé » – cad la suppression du secret professionnel. C’est la mise en place du comportementalisme, qui vise à réprimer non seulement des délits mais des comportements : on demande des informations le comportement d’un enfant, sur celui des familles etc.
LOPSI 2, c’est le cheval de Troie : on met en place des dispositifs non-conformes aux principes fondamentaux, et surtout qui sont susceptibles d’extension. La politique de « vidéo-protection » va être imposée aux communes par les préfets. Verront le jour des fichiers comportementaux : tout comportement « anormal » sur la voie publique pourra faire l’objet d’un signalement…
La nouvelle conception de la police, qui touche toute l’Europe, consiste à arrêter les personnes avant l’infraction. C’est une police « proactive », qui doit repérer des faits sociaux, comportementaux. C’est l’idée d’une « prédestination » à délits !
Les 42 articles de LOPSI 2 touchent tous les aspects de la vie.
L’avis de la Cour Européenne des droits de l’Homme sur la justice française (le procureur ne pouvant pas être considéré comme autorité judiciaire parce que non indépendant) a servi à retarder la suppression du Juge d’Instruction. Mais il n’y a aucune remise en cause du statut du Parquet. Pas question de le rendre indépendant. Les problèmes sociaux se règlent par le pénal. Ainsi, par exemple, l’absentéisme scolaire : les enfants absents sont fichés et signalés au Maire.
A Perpignan existe un fichier des mariages entre Français et étrangers !
La fusion des services de contre-espionnage et des Renseignements Généraux pose le problème de l’emprise totale de l’exécutif : on en a vu l’illustration à Tarnac. Il faut surveiller les opposants politiques les plus en marge. Et lutter contre les étrangers.
LOPSI 2 annonce la création de milices privées !