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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

Archives de l'auteur : LDH Aix

Les partis d’opposition démocratique en Algérie 31 mai, 2011

La vague de démocratie qui soulève les pays arabes n’a pas atteint l’Algérie. Une des (nombreuses) causes invoquées pour expliquer l’exception algérienne est l’état de son opposition politique, jugée hétéroclite et divisée. Le panorama rapide de cette opposition, présenté dans cet Eclairage, sera limité aux principaux partis d’orientation démocratique. Jusqu’à la réforme constitutionnelle de 1989 instituant le multipartisme en Algérie, ce pays était sous régime de parti unique (le FLN). Aux élections « libres » de 1991 seuls le FIS (islamiste), le FLN, le FFS et le RCD ont obtenu des sièges malgré la naissance de près de 60 partis. Depuis cette date le FFS et le RCD sont les deux principaux partis d’opposition démocratique.

Le Front des forces socialistes (FFS)

Créé en 1963, les armes à la main, par Hocine Aït Ahmed, un chef historique du FLN, le FFS s’est toujours opposé au régime algérien, illégitime à ses yeux depuis le coup de force de 1962. Il préconise la refondation des institutions sur la base d’une Assemblée constituante qui écrirait une nouvelle Constitution (2ème République). Devenu légal en 1989, il boycotte les élections municipales de 1990 mais participe aux législatives de 1991 qui ont vu la victoire électorale du FIS. Le FFS a accepté cette victoire et condamné l’annulation des élections après le premier tour de 1991. Ce légalisme, toujours affirmé aujourd’hui, correspond à sa stratégie politique de fédérer les courants anti-islamistes dans une opposition pacifique (alternance électorale) et laïque, face au « pouvoir liberticide foncièrement opposé au pluralisme et aux Droits humains » qui règne sur l’Algérie. Le FFS est membre de l’Internationale Socialiste. Il a boycotté les élections législatives de 2002 et de 2007 ainsi que la présidentielle de 2009, contestant le fait que ces élections soient libres et équitables. Il n’a donc pas d’élus à l’Assemblée populaire nationale (le parlement algérien). Le FFS, dirigé par un leader de dimension nationale en la personne d’Aït Ahmed, incarne en même temps une forte identité régionale kabyle. Cet ancrage régional, l’exil volontaire de son leader en Suisse, son orientation résolument laïque, éloignent du FFS une grande partie de l’électorat populaire algérien.

Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD)

Fondé en 1989 par des militants provenant du FFS, avec qui ils étaient en rupture, et du mouvement culturel berbère, le RCD s’est imposé dans le champ politico- médiatique grâce au dynamisme de son leader Saïd Sadi. Le RCD participe aux premières élections municipales pluralistes en 1990, et aux élections législatives de 1991. Son anti-islamisme virulent l’amène à appuyer la décision du gouvernement d’alors (et donc de l’armée) d’interrompre le processus électoral pour éviter un « raz-de-marée intégriste » et la « menace de théocratisation de l’État et de la société ». Toujours présent lors des consultations locales et nationales, le RCD entend entrer dans les institutions et, le cas échéant, participer au pouvoir. Saïd Sadi obtient 1 200 000 voix lors de l’élection présidentielle de novembre 1995 boycottée par le FFS et d’autres partis. Cette ascension est confirmée par les législatives de 1997 à l’issue desquelles le RCD entre à l’Assemblée populaire nationale avec 19 députés. Mais aux Présidentielles de 1999 le RCD mène une campagne pour un « boycott actif ». Cela ne l’empêchera pas, finalement, de faire partie de la coalition gouvernementale – qui comporte des islamistes – formée le 24 décembre 1999 avec un ministre à la Santé et un autre aux Transports. Quand les événements de Kabylie éclatent en avril 2001, le RCD se retire du gouvernement, craignant de se couper de sa base électorale régionale. Lors de la présidentielle d’avril 2004 Saïd Sadi atteint péniblement 1 % des suffrages et en 2007 la participation du RCD aux législatives n’est pas plus glorieuse ; ses dix-neuf députés (sur 389) n’ont guère pesé quand ils se sont opposés, en novembre 2008, à la révision de la Constitution qui allait permettre à Abdelaziz Bouteflika de briguer un troisième mandat.

Les autres partis d’opposition de gauche

L’opposition démocratique en Algérie ne se limite pas aux deux « grands partis kabyles ».

Le Parti des travailleurs (PT)

Le Parti des Travailleurs, créé en 1990, est connu à travers son porte-parole, Louisa Hanoune, jeune femme populaire pour ses interventions généreuses et très critiques vis-à-vis de la situation économique et sociale. Louisa Hanoune, en militante trotskyste, développe un discours virulent contre toute réforme tendant à libéraliser l’économie. Elle préconise un renforcement du secteur public pour mieux prendre en charge les demandes sociales en matière d’emploi, de logement, de santé, de scolarisation, etc. Signataire des accords de Rome en 1995, le PT s’est satisfait de son intégration à l’Assemblée populaire nationale où il a obtenu 4 sièges en 1997 et 21 en 2002. Pendant longtemps alliés, le PT et le FFS se sont éloignés sur la revendication d’une commission d’enquête inter- nationale sur les massacres et les assassinats (Le PT était contre). Louisa Hanoune, fut en 2004 la première femme du monde arabe à se présenter comme candidate à une élection présidentielle (1% des suffrages), candidature renouvelée en 2009 (4%).

Les héritiers du Parti communiste algérien (PCA)

Le Parti Communiste Algérien (créé en 1920) participe activement à la lutte d’indépendance mais en 1964 il est interdit et dissous. Les communistes algériens se regroupent en 1967 dans le Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), qui a apporté sa caution au pouvoir militaire de Boumédiène. En 1999, ils organisent un congrès d’étape et adoptent un nouveau nom : le Mouvement de la démocratie sociale (MDS). D’un « soutien critique » au pouvoir, ils passent à une opposition systématique. À leurs yeux, le régime est coupable de laxisme, voire de complicité, avec les fondamentalistes religieux. Englués dans des débats stériles, coupés du mouvement ouvrier et paysan (totalement récupéré par le pouvoir), les communistes se déchirent depuis la disparition de leur leader, le charismatique Hachemi Cherif, cinéaste et polémiste de talent, mort le 2 août 2005. Boycottant toutes les consultations électorales depuis l’indépendance, ils sont relativement absents de la vie publique.

Bilan de ce tour d’horizon.

Les dernières élections législatives (2007) ont donné la majorité à une coalition composée du FLN, parti du président de la République, du RND, parti du premier ministre et du MSP, parti islamiste. L’opposition, très minoritaire, est composée des traditionnels partis d’opposition comme le PT de Louisa Hanoune et le RCD de Saadi, le FFS ayant boycotté cette élection.

Usés, divisés et coupés de la population, tels apparaissent les partis d’opposition démocratique en Algérie. Le FFS et le RCD, principaux animateurs de la vie politique algérienne, apparaissent comme les représentants d’une « élite » diplômée, occidentalisée, laïque, attachée aux droits de l’homme et à la démocratie ; dans un pays où les identités régionales, et les pratiques clientélistes locales sont très marquées, ils sont aussi perçus comme les partis des kabyles. A cela s’ajoute la rivalité historique entre les deux partis dont les références idéologique et la base électorale sont pourtant largement communes. Le rapprochement entre FFS et RCD semble inenvisageable à court terme. La moindre initiative de l’un des deux frères ennemis suscite méfiance et circonspection au sein de la classe politique et de l’opinion, car elle est assimilée à une manœuvre pour piéger le rival. Pour schématiser, le RCD accuse le FFS de faire le jeu des islamistes et le FFS accuse le RCD de faire le jeu de l’armée. Les effets désastreux de cette rivalité se font sentir dans le contexte actuel de revendication démocratique dans le Maghreb qui, pourtant, a redonné une visibilité aux deux partis. Le 21 janvier dernier le RCD a rejoint le mouvement lancé par la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) et des organisations de la société civile, notamment des syndicats autonomes, qui a conduit à la création de la CNCD (Coordination nationale pour le changement et la démocratie, cf. Echo 1er trimestre 2011). Le FFS ne s’est pas joint à ce mouvement. Officiellement le FFS désapprouvait ce qu’il pressentait être une stratégie de recherche d’affrontement avec les forces de l’ordre, une stratégie de guerre civile (on se souvient que depuis, une scission s’est produite au sein de la CNCD, le RCD restant seul partisan des marches du samedi !). Seul point de convergence actuel : le refus de participer aux consultations gouvernementales en vue des réformes annoncées dans le discours présidentiel du 15 avril, les deux partis utilisant les termes de « bricolage politique » à propos de ces réformes. Mais, de son côté, le PT ne s’est pas associé à la CNCD pour « ne pas marcher au côté d’un parti de droite (le RCD) qui a cautionné les réformes des pouvoirs publics, lorsqu’il était au gouvernement » et récemment son leader, Louisa Hanoune, n’excluait pas un accord avec le gouvernement sur les réformes à venir !

Ainsi va l’opposition en Algérie. Pour Selma Belaala, chercheuse à l’université de Warwick (Royaume-Uni) »L’Algérie manque cruellement d’une opposition (…). La population est sans représentant, sans organisation politique capable de reprendre à son compte un message protestataire. » Les uns agissent sans exister pendant que les autres existent sans agir.

Un régime sous tutelle de l’armée 30 avril, 2011

République algérienne démocratique et populaire, telle est l’appellation officielle de l’Algérie. Son actuel Président, Abdelaziz Bouteflika, âgé de 74 ans, est à la tête de l’état depuis 12 ans et 2 mois. Il exerce son troisième mandat présidentiel successif. Jusqu’en novembre 2008, l’article 74 de la Constitution algérienne de 1996, limitait à 2 le nombre de mandats présidentiels successifs. Le 12 novembre 2008, soit quelques mois avant les présidentielles, le parlement algérien réuni en congrès votait par 500 voix contre 21 une révision de la constitution. Un des amendements adoptés abrogeait l’article 74 ; fin de la limitation des mandats présidentiels. Logiquement, Abdelaziz Bouteflika fut candidat aux élections du 9 avril 2009. Ce jour-là, il a été élu avec 90,24 % des suffrages et un taux de participation de 75 %. Aucun observateur n’a cru à la réalité de ces chiffres (surtout celui de la participation), ce qui n’a pas empêché les félicitations de Nicolas Sarkosy (et de l’Union Européenne) au nouveau/ancien Président. Les opposants au régime quant à eux ont dénoncé un scrutin truqué (25% de participation selon les estimations) et des scores a la soviétique ou à la tunisienne.

Commencer par ces faits, permet une première caractérisation du régime algérien : un régime présidentiel, quasi monarchique, dominé par un chef d’état illégitime mais tout-puissant, soutenu par des assemblées et des institutions soumises -ici le Conseil constitutionnel. D’où le président algérien tient–il un tel pouvoir ?

Toute analyse sur le régime algérien en vient nécessairement à évoquer le pouvoir de l’argent dans ce pays. Cet argent, fruit de l’exportation du pétrole et des hydrocarbures, entre par centaines de milliards tous les ans dans les caisses de l’état via la Société nationale Sonatrach. Cette manne alimente une corruption qui gangrène tous les rouages de l’état du haut en bas de l’appareil. En 2010, l’indice de perception de la corruption, publié chaque année par Transparency International, classait l’Algérie au 105ème rang sur les 178 pays évalués (à titre de comparaison, la Tunisie et le Maroc ont été classés respectivement en 59e et 85e position). Dans tous les domaines administrés par l’Etat et dans l’immense réseau économique dépendant de l’Etat, l’objectif principal des responsables politiques, militaires, administratifs, judiciaires etc. est de préserver le système qui est à l’origine de leurs privilèges et la principale source de leur fortune. Dés lors, la vie politique algérienne est le théâtre des luttes sans merci que se livrent le Président, l’armée, le parti et la sécurité militaro-policière pour conserver et développer leurs avantages. Dans ce scénario complexe, l’armée occupe, depuis longtemps, le premier rôle.

Le pouvoir de l’Armée

Depuis 1962 tous les présidents algériens (5 au total) sont issus de l’armée (Colonel Boumediene, Colonel Bendjedid, Général Zeroual) ou mis au pouvoir par elle (Ben Bella, Bouteflika). Selon un dicton bien connu « Tous les pays ont une armée, sauf l’Algérie où c’est l’armée qui a un pays ».

La lutte pour l’indépendance algérienne dans les années 50 a été conduite par une force militaire organisée, l’Armée de Libération Nationale (ALN). Les luttes fratricides et sanglantes qu’a connues le mouvement de libération avant et après l’indépendance (juillet 1962) avaient entre autres pour enjeu la place de l’armée dans le futur pouvoir algérien. Face aux différentes forces politiques et idéologiques en conflit, c’est l’armée qui a gagné. Elle institue un régime fort, une République démocratique et populaire sur le modèle des républiques satellites de l’URSS. Depuis 1965, année de l’accession à la présidence, par un coup d’état militaire, de Houari Boumediene, l’Armée nationale Populaire ( ANP) a joué un rôle capital dans tous les grands événements qu’a connu la politique de l’Algérie, un rôle de force de sécurité intérieure. Ce fut notamment le cas lors des journées d’émeutes populaires du début d’octobre 1988, qui ressemblaient beaucoup à celles que l’Algérie vient de connaître en janvier 2011. Face à ces révoltes, l’état de siège est décrété et toutes les autorités civiles, administratives et de sécurité sont placées sous commandement militaire. Les émeutes sont férocement réprimées à l’arme lourde par les soldats ; on dénombrera plus de 400 morts. Sous l’impulsion du président Chadli, cet épisode excessivement violent et qui voit la montée inexorable du courant islamiste, est suivi, via une révision de la constitution en 1989, de la légalisation du multipartisme. Comme on le sait, cette ouverture démocratique devait profiter au Front islamique du salut (FIS) qui arrive en tête du premier tour des élections législatives de décembre 1991. C’est l’ANP qui provoque l’interruption du processus électoral puis, en 1992, la dissolution du FIS et la démission de Chadli. Pendant 2 ans l’Algérie n’aura pas de Président de la République, la direction du pays étant confié, à l’initiative de l’armée, à un Haut Comité d’Etat. Le HCE est composé de 7 personnes dont 4 sont des militaires et 3 des cadres du FLN. Le HCE désigne son président qui a les attributions publiques d’un chef d’état sans en avoir la liberté d’action politique. Le premier président du HCE, Mohamed Boudiaf, qui avait dénoncé « la mafia politico-financière », meurt assassiné 6 mois après sa désignation. La décennie 90 est la période la plus dramatique de la courte histoire de l’Algérie indépendante ; la guerre civile qui oppose le Groupe islamique armé (GIA) et l’Armée islamique du salut (AIS, branche armée du FIS) aux forces de sécurité algériennes provoquera 200 000 morts et des milliers de disparus. De 1994 à 1999, c’est le Général Zéroual qui préside le pays. L’ANP est au premier rang de la lutte contre les islamistes ; mais on la soupçonne aussi d’avoir manipulé le GIA et organisé elle-même des attentats sanglants dans le triple but de retourner l’opinion publique contre les islamistes, justifier la restauration d’un état autoritaire et limiter de nouveau les libertés publiques.

En 1994, en pleine guerre civile à l’issue incertaine, les militaires proposent à Abdelaziz Bouteflika, figure historique de la guerre d’indépendance mais exilé hors d’Algérie entre 1981 et 1987 de revenir aux affaires. Ils lui offrent la présidence, il refuse. L’offre est renouvelée en 1999. Cette fois il accepte et est élu. Mais la période est délicate et les relations se compliquent entre l’ANP et le Président. Ce dernier, estimant qu’il ne pourra se passer politiquement de la force du courant populaire islamiste, instaure contre la volonté d’une grande partie des militaires qui s’y opposeront par tous les moyens, une politique dite de concorde nationale. Bouteflika est confortablement réélu en 2004, en apparence sans l’appui de l’ANP, mais en fait sur la base d’un pacte de non-agression avec elle : il s’engage en particulier à ne pas déposséder les généraux de leurs abondantes ressources pécuniaires puisées à la source de la rente pétrolière. Déjà chef suprême de toutes les forces armées et ministre de la Défense nationale en vertu de ses pouvoirs constitutionnels, Bouteflika est élevé au grade de général de corps d’armée (le plus haut grade de l’ANP), en juillet 2006.

Aujourd’hui, il est difficile de savoir comment s’établit exactement le rapport de force entre Bouteflika et l’ANP. Certains pensent que le processus de rajeunissement et de professionnalisation des forces armées entamé à partir des années 2000 a conduit à leur retrait effectif du champ politique. Ce processus s’est accompagné d’un découplage entre l’état-major de l’ANP et les services de renseignement (le DRS sur lequel il faudra revenir dans un prochain Eclairage). Un découplage que le Président de la République a entretenu pour éviter la constitution d’un pôle de pouvoir trop puissant au sein du ministère de la Défense Nationale. Bouteflika ne manque pas d’affirmer la subordination de l’armée au pouvoir civil, c’est à dire lui-même. D’autres pensent que c’est toujours l’armée qui gouverne en Algérie et que l’après Bouteflika est d’ores et déjà dans les cartons des généraux. Cette hypothèse est la plus réaliste, mais on voit qu’elle peut se réaliser sous deux formes différentes. L’une de ces formes est la perpétuation du « Système » par la mise en place d’un homme de confiance qui conduirait le changement sans changer la réalité du pouvoir (les militaires seraient en particulier intéressés par les dividendes juteux qu’il y aurait à retirer d’une privatisation de l’économie bien contrôlée). L’autre forme que pourrait prendre l’intervention de l’ANP dans le processus politique est envisagé par certains démocrates algériens qui en substance tiennent le discours suivant : puisque depuis 1962, l’armée pratique le coup d’état permanent en Algérie, qu’elle poursuive dans cette tradition en destituant le Président Bouteflika et ….en rendant le pays au peuple.

1- Le 22 décembre 1981, Bouteflika est poursuivi pour « gestion occulte de devises au niveau du ministère des Affaires étrangères » (entre 1965 et 1978) par la Cour des comptes. Dans son arrêt définitif du 8 août 1983, la Cour des comptes donnait son verdict : « M. Abdelaziz Bouteflika a pratiqué à des fins frauduleuses une opération non conforme aux dispositions légales et réglementaires, commettant de ce fait des infractions prévues et punies par l’ordonnance n° 66-10 du 21 juin 1966 et les articles 424 et 425 du Code pénal. » (El Moudjahid du 9 août 1983.). Entre 1981 et 1989, Abdelaziz Bouteflika vécut entre Paris, Genève et Abu Dhabi, après une tentative d’exil ratée à Damas.

Chacun joue sa partition 30 avril, 2011

Le mouvement social : manifestations et émeutes

Les émeutes locales contre des conditions de vie intenables (et pour l’emploi, le logement, les réseaux d’adduction en eau potable et d’évacuation des eaux usées, l’amélioration de l’état des routes, la revendication de centres de santé, d’école à proximité, de transport scolaire…) continuent à un rythme quotidien et dans tout le pays. Elles prennent très souvent la forme de barrage de routes comme, pour ne prendre qu’un exemple, le 11 avril dans la région de Tizi Ouzou. Ce jour-là, près de Fréha plus d’une centaine de familles ont protesté contre les lenteurs administratives des aides à l’autoconstruction en milieu rural. Les forces de l’ordre sont intervenues pour disperser les manifestants parmi lesquels, au terme d’une journée d’affrontement on comptait une vingtaine de blessés et une dizaine d’arrestations. Le même jour, non loin de là, les habitants du village de Chaoufa ont bloqué une route pendant plusieurs heures ; ils réclamaient des autorités la mise en service du réseau d’alimentation en gaz de ville. Quant aux habitants du village voisin de Yakouren, ils fermaient un autre axe routier afin de presser les autorités d’accélérer les travaux d’amélioration urbaine qui s’éternisent sans justification. Ils avaient déjà fermé la route en question 15 jours avant et pour les mêmes raisons.

Les mobilisations catégorielles ne faiblissent pas non plus pendant ce mois d’avril. Ces manifestations prennent souvent la forme de sit-in devant les ministères concernés. Quand il ne s’agit pas de catégories professionnelles en quête de revalorisation de leur situation (gardes communaux, médecins en spécialisation dans les hôpitaux, appelés “médecins résidents”, personnels de l’administration publique, etc), il peut s’agir de groupes d’intérêts particuliers comme les 800 personnes qui ont fait le 14 avril un sit-in devant le Ministère de l’Habitat pour demander pourquoi, souscripteurs dans le cadre d’un programme de logement, ils ne savent toujours pas, au bout de 10 ans, quand ils pourront entrer dans l’appartement qu’on leur a promis.

Au nombre de ces mouvements catégoriels, le mouvement étudiant s’est manifesté en ce mois d’avril de façon spectaculaire, dans un contexte de grèves nombreuses et prolongées dans les universités d’Algérie, parfois durement réprimées comme à Boumerdès et à Oran les 6 et 7 avril. La coordination nationale autonome des étudiants (CNAE) avait décidé, lors d’un rassemblement le samedi 26 mars, à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, d’organiser une marche le mardi 12 avril à Alger. Cette manifestation, interdite malgré la levée de l’Etat d’urgence depuis le 24 février a rassemblé environ 15000 étudiants venus de tout le pays. Aucune manifestation politique depuis janvier 2011 n’a rassemblé un nombre aussi important de protestataires. En outre, cette foule a pu, et c’est aussi une première, forcer l’imposant dispositif policier et atteindre le siège de la Présidence sur les hauteurs d’Alger. Aux revendications de nature pédagogique (la valorisation des diplômes universitaires et leur reconnaissance par la fonction publique, l’assurance d’emploi décents pour les étudiants diplômés, la possibilité pour les titulaires de diplôme de licence d’accéder aux postes de l’enseignement secondaire, l’augmentation de la bourse d’études, etc.) se sont ajouté des slogans politiques nettement hostiles au pouvoir (pouvoir assassin, gouvernement terroriste, Harouabia – ministre de l’enseignement supérieur – dégage ! Halte à la répression des étudiants, etc.). La manifestation s’est terminée sous les coups des policiers chargeant les étudiants à coup de matraques et de boucliers. Des dizaines d’étudiants souffrant de fractures ont été admis dans les hôpitaux d’Alger.

Une grève générale des journalistes des médias publics est annoncée pour le 2 mai.

Quant aux manifestations proprement politiques initiées le 12 février à Alger par la CNCD (Coordination nationale pour le changement et la démocratie), on se rappelle qu’elles ont lieu tous les samedi matin à Alger. On se rappelle aussi que ce principe de manifestations hebdomadaires a été un des motifs de divergences au sein de la CNCD qui a abouti à un CNCD « partis politiques ». Les marches des 2, 9 et 16 avril se sont déroulées selon un rituel désormais immuable : ces marches étant interdites, un important service d’ordre neutralise rapidement les manifestants, peu nombreux, et interdisent les lieux aux journalistes. Le 20 avril a pour une partie de la population algérienne une signification particulière : chaque année à cette date, les algériens se réclamant de l’identité berbère ou amazigh (particulièrement représentée en Kabylie mais aussi ….) célèbrent par des marches dans toute l’Algérie le « printemps berbère » de 1980. L’interdiction, le 10 mars 1980 à Tizi Ouzou d’une conférence de l’écrivain Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle provoquera jusqu’au 23 avril une réaction identitaire de masse (manifestations, grève générale, occupations) très durement réprimée sur fond d’intolérance de l’état algérien (Chadli Bendjedid est Président) à l’égard du régionalisme linguistique (30% de la population algérienne est berbérophone) et plus largement culturel de l’entité berbère. Ce 20 avril 2011…

Vendredi 15 avril : discours du président Abdelaziz Bouteflika

Première intervention nationale et télévisée du président depuis le début des « événements » en Algérie et dans le « monde arabe ». C’est d’abord l’image qui frappe http://www.youtube.com/watch?v=Tsgq-chiivk, celle d’un homme affaibli ne détachant pas son regard des feuilles qu’il lit de façon monotone pendant 20 minutes. Le contenu du discours (qui commence par « Au nom de Dieu le Clément le Miséricordieux, Que le salut de Dieu soit sur le plus noble des messagers, ses proches et ses compagnons jusqu’au jour du jugement dernier ») est accessible en français à l’adresse http://www.consulatalgerielille.org/pr_discours.htm. Après l’exposé des réformes sociales et économiques qui à ses yeux ont d’ores et déjà répondu à l’essentiel des revendications populaires, le président algérien expose les grandes lignes d’un « programme de réformes politiques, visant à approfondir le processus démocratique et à permettre aux citoyens de contribuer davantage aux décisions dont dépendent leur avenir et celui de leurs enfants ». Ce programme tient en une série impressionnante d’annonces, mais sans indication de calendrier.

- Annonce d’une révision de la constitution pour « renforcer la démocratie » ; « Ceci passera par la création d’une commission constitutionnelle, à laquelle participeront les courants politiques agissants et des experts en droit constitutionnel ».

- Annonce d’une révision de la loi électorale pour « permettre aux algériens d’exercer leurs droits dans les meilleures conditions, empreintes de démocratie et de transparence »

- Annonce d’une révision de la loi sur les partis « à travers la révision de leur rôle, de leur mission et de leur organisation, afin qu’ils contribuent plus efficacement au processus de renouveau »

- Annonce d’une « révision prévue de la loi régissant l’activité des associations » ; « Le respect des droits de l’homme doit devenir une préoccupation permanente des différentes ligues et associations nationales chargées de cette question « 

- Annonce d’une révision du code communal qui actuellement accorde un rôle tout puissant au préfet (wali)

- Annonce d’une révision de la loi sur l’information « notamment à travers la dépénalisation du délit de presse ».

Ces annonces, ajoutées à d’autres aveux (« Des fléaux sociaux tels la corruption, le népotisme et le gaspillage sévissent et l’Etat s’emploie à les combattre avec vigueur et détermination ») constituent, en creux, un état des lieux accablant de la « démocratie » algérienne. Pour finir on trouve encore dans ce discours, une mise en garde contre le retour de la violence, une mise en garde contre les ingérences étrangères et le rappel que les prochaines élections législatives auront lieu dans un an.

Comme on peut l’imaginer, les réactions politiques à ce discours ont été nombreuses et celles de l’opposition particulièrement critiques. En bref, aucun parti d’opposition ne croit que Bouteflika va défaire l’arsenal législatif de fermeture politique et le dispositif d’enfermement des libertés qu’il a lui-même mis en place depuis avril 1999. Le président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), Mustapha Bouchachi : « Le problème en Algérie n’est pas dans les textes, mais dans les attitudes et comportements des institutions, lesquelles agissent en dehors de la loi. Quelle que soit la nature des législations, elles ne conduisent pas forcément à des réformes politiques » « Est-ce qu’on peut faire confiance à un Parlement illégitime et un gouvernement qui ne respecte pas les lois de la république ? »

L’opinion très répandue est que Abdelaziz Bouteflika ne pourra aller au bout de son mandat qui expire en 2014. La thèse d’une présidentielle anticipée, en 2012, se pose avec insistance et sa concrétisation ne tient plus qu’un seul détail : Le nom du successeur de Bouteflika. Car le résultat des élections présidentielles (le nom de l’élu et son score) est toujours connu avant le dépouillement en Algérie…

Vendredi 15 avril : reprise du terrorisme islamiste.

Lors de son adresse à la nation, le président Bouteflika s’est félicité de sa politique de la main tendue aux islamistes armés. Le président algérien a indiqué une nouvelle fois que sa politique de réconciliation nationale a ramené la paix et la sécurité en Algérie. Or le jour-même de cette déclaration, l’une des plus sanglantes embuscades tendues aux services de sécurité par un groupe armé depuis les trois dernières années se déroulait à quelques kilomètres de la ville d’Azazga, à l’est de Tizi Ouzou. Les cibles étaient des militaires de l’Anp stationnés dans cette région, précisément pour en éradiquer les maquis islamistes. Après avoir placé des engins explosifs et bloqué les routes avoisinantes avec des arbres pour empêcher l’arrivée de renforts militaires, au moins 50 terroristes ont attaqué un poste de l’Anp (Armée nationale populaire) avec des mitrailleuses, des bombes et des grenades. Les affrontements se sont poursuivis pendant plus de deux heures. Quatorze soldats ont trouvé la mort lors de cette attaque. Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a revendiqué l’attaque contre les « maléfiques apostats » dans un communiqué rendu publique le 20 avril. D’autres attentats ont fait 5 victimes entre le 15 et le 17 avril.

Les violences impliquant des islamistes armés ont considérablement baissé d’intensité ces dernières années, elles reprennent ces jours-ci, près de deux mois après la levée de l’état d’urgence et sont tournées vers le bras armé de l’état lui-même soumis à de fortes contestations populaires. Il est clair que les islamistes d’Aqmi ou de sa branche algérienne le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc) saisissent l’occasion des événements qui secouent le Maghreb pour rappeler qu’ils sont toujours actifs et qu’en Algérie il faudra compter avec eux sur le plan politique. Il est clair aussi que d’ores et déjà le gouvernement algérien tire argument de ces attentats pour justifier la poursuite de sa politique sécuritaire et la mise en veilleuse des projets de démocratisation ; faisant d’une pierre deux coups, le gouvernement algérien, notoirement pro-Kadhafi, critique les insurgés libyens en les accusant d’armer massivement les maquisards du Gspc (ingérence étrangère).

Entre le 18 et le 23 avril, l’assassinat de Ahmed Kerroumi

Ahmed Kerroumi, âgé de 53 ans, enseignant à l’Université d’Oran et chercheur au CRASC (Centre de Recherches en Anthropologie Culturelle) a disparu dans la journée du 18 avril. Militant du Mouvement démocratique et social (MDS) et de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie section d’Oran (CNCD), Ahmed Kerroumi était très engagé dans la défense des droits de l’home en Algérie. Le 23 avril, son corps a été retrouvé dans le local du MDS. Son enterrement a eu lieu le 26 avril. A ce jour, les autorités algériennes tant politiques que judiciaires n’ont toujours pas réagi, ni pour condamner, ni pour informer l’opinion sur les causes présumées de l’assassinat ou sur l’avancement des investigations. Des indiscrétions, de source médicale (CHU d’Oran), font état de blessures à la tête ayant entrainé la mort. Les journaux proches du régime se sont empressés de distiller des hypothèses sur un vol de voiture qui aurait mal tourné ou même sur une affaire de mœurs. Les démocrates algériens et la LADDH n’ont aucun doute sur l’origine politique de l’exécution d’Ahmed Kerroumi. C’est aussi la conviction de Frank La Rue, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression qui avait rencontré Ahmed Kerroumi le 15 avril, lors d’une réunion à Oran sur la situation des droits humains dans le pays. Dans un communiqué du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies diffusé hier sur le site de cette instance, le rapporteur onusien appelle le Gouvernement algérien à mener « l’enquête la plus détaillée et indépendante qui soit sur ce meurtre tragique afin de traduire ses auteurs en justice ». Une telle action, dit-il « doit être couplée à une indispensable condamnation publique de la part du Gouvernement pour garantir que cet acte odieux n’aura pas d’effet dissuasif sur la liberté d’expression dans tout le pays ». L’opposition s’attend, elle, à la publication prochaine d’une « version téléguidée » par le pouvoir, pouvoir soupçonné d’être le commanditaire de cette exécution. Ce samedi 30 avril, les marches hebdomadaires organisées par la CNCD devaient rendre hommage à Ahmed Kerroumi. A Oran, environ deux cent personnes se sont rassemblées en silence autour des portraits de Kerroumi, mais la police a empêché la marche qui avait pourtant fait l’objet d’une demande légale.

Pièces jointes

Forum social mondial de Provence à Gardanne 22 avril, 2011

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Dans cet article nous en rendons compte en trois points.

1 – La laïcité : qu’est-ce que c’est ? Rappel et histoire

Par Anne Torunczyk, vice présidente de la section d’Aix en Provence de la ldh.

Sources : Annie Rouquier, historienne, LDH, Aix

Jean-Paul Scot, historien (cf article trouvé sur Médiapart, 14 avril 2011 « Liberté-Egalité-Laïcité ».)

Laïcité : un principe républicain. Conseil d’Etat, rapport public 2004.

La loi de 1905 instituant le principe de la laïcité est le résultat d’un long processus de sécularisation de la société française, c’est-à-dire de la séparation du sacré et du profane.

Déjà sous l’Ancien Régime, il y avait eu des conflits entre le pouvoir politique des rois et l’autorité du pape, qui avaient accoutumé les esprits à distinguer les deux domaines.

La France fut le premier état à reconnaître la tolérance religieuse, dans l’Edit de Nantes accordé en 1598 par Henri IV à ses sujets protestants. Mais cette tolérance n’est pas un droit égal accordé à tous – y compris aux non-croyants. C’est une faveur du prince. L’Edit de Nantes sera d’ailleurs annulé en 1685 par Louis XIV. La pluralité des religions, ce n’est pas l’égalité des droits. La laïcité ne se réduit pas à la seule tolérance.

C’est la Révolution Française qui représente l’étape décisive dans le processus de laïcisation de l’Etat et de sécularisation de la société, avec la Déclaration des droits de l’Homme.

Article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

La proclamation de la liberté de conscience (qui ne se réduit pas à la liberté religieuse, donc qui n’exclut plus les non-croyants) n’émane plus d’un roi mais de la nation, et, surtout, elle fait partie d’une déclaration qui affirme aussi l’égalité des droits (« Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits »)

Après la Révolution, pour conforter son pouvoir et garder droit de regard sur la nomination des membres du clergé, Napoléon Bonaparte impose en 1802 le régime des « cultes reconnus » : catholique, protestant, juif, dont les ministres sont payés par l’Etat.

Tout le XIXe siècle est traversé par les conflits entre les forces de l’Ancien Régime soutenus par l’Eglise, et les républicains, anticléricaux parce qu’hostiles à ce que le clergé se mêle des affaires publiques.

La Troisième République qui s’établit en 1871 fait très vite des lois laïques : gratuité de l’enseignement primaire (1881), obligatoire pour les filles et les garçons (1882), laïque (1883) et réservant les fonds publics à l’enseignement public.

L’Affaire Dreyfus (1894-1906) marque l’exacerbation du conflit entre les deux courants, clérical et antirépublicain, anticlérical et républicain : l’Affaire révèle en effet que de nombreux catholiques préfèrent défendre l’honneur de l’armée que les droits d’un Juif victime d’une erreur judiciaire. De violentes émeutes remettent en question la république, déchirant le pays et menaçant de tourner à la guerre civile.

 

La loi de 1905, relative à la « séparation de l’Eglise et de l’Etat », est l’aboutissement de la conquête de la laïcité. Elle se veut une loi d’apaisement. Ses principes devraient être sérieusement révisés aujourd’hui par nos gouvernants, Nicolas Sarkozy en tête.

Article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions… de l’ordre public ».

La laïcité n’est donc pas instituée contre les religions, encore moins contre une religion. Elle permet au contraire à tous – croyants de toutes religions et non-croyants – de vivre ensemble, avec l’obligation de respecter le droit commun. C’est donc un principe de liberté et de tolérance.

Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucune culte. »

La France met ainsi fin au régime des « cultes reconnus » – contrairement à la plupart des autres Etats européens. La République ne reconnaît que des citoyens, pas des croyants ou des incroyants.

Cette neutralité – que nos gouvernants actuels ne cessent de transgresser lorsqu’ils font des musulmans des boucs émissaires – signifie que l’Etat n’a pas à se mêler de religions ni de croyances et, inversement, qu’aucune institution religieuse ne peut prétendre exercer un pouvoir politique ni imposer ses dogmes aux institutions civiles.

Par contre, l’Etat reconnaît l’existence des religions et leur pluralisme : garant de la liberté religieuse, il se doit de protéger les cultes minoritaires contre les discriminations. Là encore, nos dirigeants devraient réviser leurs connaissances en la matière !

La laïcité repose sur l’articulation des principes de liberté de conscience, d’égalité des droits et de neutralité de l’Etat à l’égard de toutes les convictions.

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». C’est le préambule de la Constitution qui l’affirme.

On ne peut sans la dénaturer couper la laïcité des autres valeurs républicaines – ce que font allègrement les Guéant, Copé, Sarkozy, sans parler de Marine Le Pen – en désignant « les musulmans » (c’est-à-dire les Arabes !) à la vindicte publique.

2 – L’instrumentalisation xénophobe de la laïcité

Notes prises au cours de l’exposé de Laurent Lévy, avocat, auteur en particulier de « « La gauche », les noirs et les arabes », éditions La Fabrique, 2010.

Pendant des décennies, on n’a plus parlé de la laïcité. Ce qui a fait ressurgir le débat sur la laïcité, ce sont les problèmes liés à l’immigration, le régime instauré en Iran, et surtout le 11-septembre. On a « islamisé » les gens d’origine maghrébine. Une génération de Français est apparue, d’origine maghrébine, de culture musulmane. Le regard jeté sur le « bougnoul », hérité du colonialisme, devenait intenable vis-à-vis de Français. Mais, d’autre part, on a refusé d’assumer notre passé colonial. D’où l’instrumentalisation de la laïcité. L’usage de la laïcité n’est pas anodin. On a substitué au mot Etat le mot « société ». L’ Etat est laïque, la société non ! Lorsqu’on impose aux citoyens un devoir de réserve sur leurs opinions, religieuses ou pas, dans l’espace public, il y a confusion des genres. L’espace public n’appartient pas à l’Etat mais à la Société, à tout un chacun. C’est un espace de socialité et aussi un espace privé dans lequel tout un chacun doit se sentir libre d’être comme il l’entend, ses droits étant limités uniquement par ceux des autres (je ne peux pas me coucher en travers du trottoir parce que je gêne la circulation des autres, l’exhibition est une agression des autres – d’ailleurs qui change selon les époques, etc.). Dans une école, le personnel est représentant de l’Etat et doit donc à ce titre être neutre, mais les usagers, élèves ou leurs parents sont libres – devraient l’être – de leurs opinions et ne sont pas tenus à un devoir de réserve (reste la question du prosélytisme, religieux, politique…). Cette confusion entre l’Etat et la société a permis l’interdiction du voile à l’école ; et celle de la burqa. Pour promulguer la loi sur la burqa il fallait la faire reposer sur l’« ordre public » ; et on a inventé un principe d’ »ordre public sociétal ». Une telle logique est grosse d’une dérive totalitaire, car elle introduit la possibilité pour l’Etat d’imposer des interdits dans l’espace sociétal – ce qui est un abus de pouvoir, et dans la vie privée des citoyens.

La laïcité est la garantie pour tous les citoyens de leur liberté d’opinion, de conscience, y compris dans l’espace public dans lequel se déroule leur vie. Elle est intrinsèquement liée à la liberté, l’égalité et la fraternité, elle en est la garantie. Elle assure le respect de tous par tous dans leurs opinions diverses, elle est la base d’un vouloir vivre ensemble, dans les différences. L’utilisation de la laïcité pour stigmatiser une religion (l’Islam) ou toute opinion, est une perversion. Elle est alors au service d’une négation de la liberté des citoyens, elle nie la fraternité.

3 – Comment progresser ? Comment engager le dialogue sur ces questions de laïcité, xénophobie, islamophobie ?

C’était l’objectif de l’atelier : nos modes d’expression habituels (tracts, débats…) ne sont pas toujours adéquats ; nous avons de grandes difficultés pour rencontrer, dialoguer, convaincre en particulier avec deux types de populations :

- celles et ceux qui sont ou sont susceptibles d’être sensibles aux thèses xénophobes du Front national et du gouvernement,

- les jeunes, en particuliers des quartiers populaires.

Les propositions issues des réflexions de l’atelier peuvent être ainsi résumées :

a – Attitudes

> écouter, laisser s’exprimer

> respecter l’autre, apprendre à vivre ensemble

> penser l’identité hors de la sphère religieuse ou de celle des origines (bien souvent un gosse de cité est élève de tel collège, membre de tel club de foot, membre de telle bande de copains, avant d’être musulman ou arabe). Faire passer de la « masse identitaire » aux personnes qui sont toutes différentes

> dans le dialogue reconnaître les peurs, et aussi les nôtres, et les démystifier après

> aux crispations de la société française « de souche » répondent les crispations des immigrés ou français descendants proches d’immigrés, c’est une réalité qu’il faut prendre en compte.

> ne pas jeter l’anathème

> être tolérants, mais « pas trop »

> se préoccuper des militants politiques et syndicaux qui peuvent être influencés par les propos xénophobes.

b – Propos

> informer sur la laïcité, sur les discriminations

> aborder par le concret, la vie quotidienne

> Nous sommes tous quelque part xénophobes. Il faut poser le problème autrement : comment vivre ensemble avec toutes nos diversités ? il faut se référer à une identité hors religion : chaque individu a le choix entre un grand éventail de possibilités et a le droit de vivre la vie qu’il s’est choisie

> ne pas répondre aux propos racistes par de la morale : celle-ci ne fait que renforcer l’autre dans ses convictions, et coupe toute possibilité de discussion

> par des questions amener les protagonistes à voir les conséquences de leurs affirmations. Amener à la nécessité de pouvoir vivre ensemble.

c – Modes, formes

> les intermédiaires privilégiés sont les partis politiques, les syndicats, les associations de terrain. Il faut les mobiliser tout comme il faut se tourner vers les enseignants

> les fêtes, théâtres de rue, musiques etc. doivent permettre à tous de réaliser qu’ils sont chez eux ici et maintenant : les « Maghrébins » ne sont plus des immigrés mais des habitants de leur quartier, les « Français de souche » habitent maintenant leurs quartiers qui sont différents de ce qu’ils imaginaient dans leur enfance, tous sont chez eux ici, actuellement. Nous constituons le peuple de France, dans toute sa diversité

> films + débat

> utiliser l’Internet : sites et réseaux sociaux

> les tracts doivent être simples, rédigés dans un style compréhensible

> actions vis-à-vis des élèves

> campagnes pour inciter au vote (surtout auprès des jeunes)

> se former au dialogue, à la maïeutique.

Philippe Sénégas

Président de la section d’Aix en Provence de la LDH

Pièces jointes

Le faux départ de l’insurrection algérienne 31 mars, 2011

Les émeutes initiales

Les émeutes populaires spontanées sont chroniques en Algérie depuis des années. Pour des raisons évidentes, celles qui explosent dans les premiers jours de janvier sont assimilées à l’embrasement insurrectionnel parti de Tunisie et d’Egypte. En fait, à partir du 3 janvier, c’est la forte hausse des prix des denrées alimentaires de base qui provoque une augmentation de ces révoltes. Les émeutiers sont des jeunes qui dans leurs expéditions s’en prennent aux symboles de l’état (sièges communaux, bureaux de poste) et de la consommation (grands magasins, concessionnaires automobiles…). Les manifestations s’étendent en quelques jours à l’ensemble du pays. Les interventions de la police et de l’armée sont musclées : cinq morts sont à dénombrer entre le 7 et le 9 janvier. Plusieurs tentatives d’immolation par le feu se produisent entre le 12 et le 17 janvier ; elles se solderont par 2 décès. Exploitant le caractère inorganisé et violent des manifestations, les autorités algériennes assurent que les jeunes n’ont aucune revendication politique et que leur seul but est de « détruire et piller ». Face à cette position de l’état, face aussi aux très nombreuses arrestations et comparutions devant les tribunaux de jeunes manifestants, des organisations d’opposition entreprennent une tentative de politisation et d’organisation du mouvement.

L’organisation de la protestation

Il faut d’abord rappeler que depuis 1992, la population est soumise à un régime d’Etat d’Urgence qui limite de façon considérable les libertés publiques en Algérie, en particulier la liberté d’association et la liberté de manifestation.

Le 22 janvier, un parti d’opposition le RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie, à ne pas confondre avec le RCD de Moubarak en Egypte !), tente d’organiser une manifestation à Alger, manifestation interdite (Etat d’Urgence) qui ne réunira que quelques centaines de participants assez fortement réprimés par les forces de l’ordre (nombreux blessés et des arrestations).

La veille, le 21 janvier, a été créée la CNCD (Coordination nationale pour le changement et la démocratie) à l’initiative de syndicats autonomes, des organisations de défense des droits de l’homme parmi lesquelles la LADDH (Ligue Algérienne pour la défense des droits de l’homme), des associations estudiantines et de jeunes, des comités de quartier, des collectifs citoyens, des associations de disparus, des figures intellectuelles et des partis politiques. Les objectifs de la CNCD sont la libération des manifestants arrêtés, la levée de l’Etat d’Urgence, l’ouverture de l’espace public (médiatique, politique, associatif…) au militantisme politique et associatif.

Des marches pacifiques (toujours interdites) sont appelées par la CNCD, le 12 février (3000 manifestants, 30 000 policiers) et le 19 février (participation équivalente, durcissement de la répression) ; ce jour-là un député du RCD est durement frappé par la police et des affrontement ont lieu entre manifestants et « pros-Bouteflika ».

http://www.france24.com/fr/20110303-reporters-algerie-jeunesse-defie-pouvoir-manifestations-alger-greves-bouteflika-armee-suicides-immolations-changement

Parallèlement à ces manifestations spontanées ou organisées, d’autres formes de protestations émergent , en particulier des grèves en séries, motivées par des revendications catégorielles : greffiers, enseignants, étudiants, contractuels, gardes municipaux, cheminots, médecins des CHU etc.

Situation actuelle : fausse libéralisation, baisse de la protestation politique organisée, émeutes quasi-quotidiennes

La fin du mois de mars est marquée par une baisse de la protestation organisée et la persistance quotidienne d’émeutes spontanées, d’affrontements violents entre jeunes et forces de sécurité : ces émeutes réparties sur tout le pays sont essentiellement motivées par le chômage et les conditions de logement déplorables que connaissent les algériens. Cinq décès par immolation sont à déplorer depuis le début de l’année.

L’affaiblissement des manifestations citoyennes initiées fin janvier est en grande partie explicable par l’ampleur des pressions et répression policières opposée à la mobilisation des organisations d’opposition. Concrètement, les rassemblements sont tout simplement empêchés par la force. Mais le pouvoir a réagi aussi par des annonces sur le terrain social et sur le terrain politique. Sur le terrain social, il a désamorcé (ou tenté de désamorcer) une partie des jacqueries populaires en ramenant à des valeurs abordables les prix des denrées courantes et en faisant des promesses mirifiques d’aides à l’emploi et au logement. Sur le terrain politique, on se souvient des revendications de la CNCD : libération des manifestants arrêtés, levée de l’état d’urgence, ouverture de l’espace public (médiatique, politique, associatif…) au militantisme pacifique. Or dés le début février, le président algérien Bouteflika allaient donner des gages formels sur ces questions. Le 24 février, le décret abrogeant l’Etat d’Urgence qui était en vigueur depuis 1992 est publié au journal officiel. Dans les faits, ce desserrement formel de l’étau dans lequel sont maintenues les libertés publiques en Algérie n’a rien changé. La manifestation organisée le 26 février, soit deux jours après l’annonce de l’abrogation de l’Etat d’Urgence a été durement réprimée par la police. « Les marches ne sont pas interdites, elles sont soumises à autorisation. Pour être autorisées, les marches doivent offrir le maximum de garanties quant aux risques. Le moment ne paraît pas être venu pour autoriser les marches à Alger », a indiqué le ministre de l’Intérieur, Dahou Ould Kablia, à la radio algérienne. Par ailleurs, l’agrément de nouveaux partis politiques ne semble pas à l’ordre du jour. « Cela ne veut pas dire qu’ils ne le seront pas lorsque le moment apparaîtra opportun. Aucun agrément n’a été délivré pour l’instant », a encore indiqué le ministre de l’Intérieur. Enfin, le président Bouteflika avait promis début février l’ouverture de la télévision publique à tous les partis d’opposition. Mais hormis les partis de l’Alliance présidentielle (FLN et partis satellites) et les formations favorables au pouvoir, comme le Parti des Travailleurs (PT), aucun mouvement d’opposition n’a été convié sur les plateaux de la télévision pour débattre de la situation de politique du pays.

Cette triple stratégie, associant répression, annonces sur le plan économique et social et promesses de démocratisation a atteint en partie un de ses objectifs : diviser le mouvement protestataire. Pour mieux le comprendre il faut connaître l’état de l’opposition politique en Algérie (ce que pourrait permettre un prochain « Eclairage »). Un désaccord sur la stratégie de la contestation a conduit le 22 février à un éclatement de la CNCD. Pour faire bref, un courant « partis politiques » conduit par le RCD s’oppose à un courant « société civile » conduit par la LADDH. Les premiers maintiennent les appels hebdomadaires aux manifestations. Les seconds préfèrent l’organisation de meetings et de conférences en vue de toucher les travailleurs, les chômeurs, les étudiants. Mais derrière ces divergences presque techniques (et dont on ne voit pas pourquoi elles seraient incompatibles) à vrai dire, ce sont des analyses différentes sur les voies de la démocratisation en Algérie qui s’opposent actuellement. Les uns croient à une révolution « à la tunisienne ou à l’égyptienne » et veulent se présenter comme les leaders politiques de cette révolution et de l’alternance qui suivra, les autres considèrent que la complexité de la situation algérienne exige un travail en profondeur au cœur de la société algérienne et donc se méfient des risques que les appétits politiciens peuvent faire courir à la société civile.

Les droits de l’Homme en Algérie 31 mars, 2011

1. La situation des droits de l’Homme en Algérie

Le rapport 2010 d’Amnesty International sur « Les droits humains en République algérienne démocratique et populaire » donne une vue d’ensemble de la situation. Depuis janvier 2011, les effets de l’Etat d’Urgence se sont faits sentir à la faveur des mouvements et manifestations pour la démocratie. Même si l’Etat d’Urgence a été supprimé il y a quelques semaines, la pression policière et militaire ne s’est pas affaiblie. On constatera le poids encore très important des suites de la guerre civile des années 90.

Des personnes soupçonnées d’actes de terrorisme ont été arrêtées et incarcérées sans contact avec le monde extérieur ; certaines ont été jugées dans le cadre de procès ne respectant pas les normes d’équité. Les autorités ont harcelé des défenseurs des droits humains, des avocats et des journalistes, dont certains ont fait l’objet de poursuites pour avoir critiqué des responsables gouvernementaux. Une nouvelle loi érigeant en infraction la migration clandestine a été adoptée. Cette année encore, les autorités n’ont pris aucune mesure pour élucider le sort des milliers de personnes qui ont été victimes de disparition forcée, entre autres atteintes graves aux droits humains commises par le passé, ni pour traduire les responsables en justice.

Contexte

Le 9 avril, le président Abdelaziz Bouteflika a été réélu après qu’une modification de la Constitution adoptée en 2008 l’eut autorisé à briguer un troisième mandat. Le 19 avril, il a exprimé son engagement à poursuivre le processus de « réconciliation nationale » démarré lors de son accession au pouvoir en 1999. En vertu de ce processus, le gouvernement a proclamé une amnistie ainsi que d’autres mesures qui institutionnalisent l’impunité pour les atteintes massives aux droits humains commises dans le cadre du conflit interne des années 1990 et qui privent les victimes de leur droit à connaître la vérité, à obtenir justice et à recevoir une réparation appropriée. Durant sa campagne électorale, le président Bouteflika a proposé la proclamation d’une amnistie pour les groupes armés.

Des groupes armés ont poursuivi leurs attaques ; celles perpétrées sans discrimination contre des civils ont toutefois diminué par rapport aux années précédentes. Quelque 30 civils et 90 membres des forces de sécurité auraient trouvé la mort dans de telles circonstances, essentiellement lors d’attentats à l’explosif dans des lieux publics. Plusieurs dizaines de membres de groupes armés présumés auraient été tués par les forces de sécurité au cours d’affrontements ou d’opérations de ratissage. Dans la plupart des cas, les circonstances étaient peu claires et on craignait que certains de ces homicides n’aient été des exécutions extrajudiciaires. Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) était, semble-t-il, le principal groupe islamiste armé actif en Algérie.

L’année a été marquée par une série d’émeutes, de grèves et de manifestations, organisées dans différentes régions pour protester notamment contre le chômage, l’insuffisance des salaires et la pénurie de logements.

En août, le gouvernement a promulgué la Loi 09-04 ainsi qu’un décret présidentiel visant à accroître la transparence et l’indépendance de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH). En mars, le sous-comité d’accréditation du Comité international de coordination des institutions nationales de promotion et protection des droits de l’homme (CIC) avait recommandé de ne pas accréditer entièrement la CNCPPDH car elle ne respectait pas les Principes de Paris concernant le statut et le fonctionnement des institutions nationales des droits humains.

Lutte contre le terrorisme et sécurité

Le Département du renseignement et de la sécurité (DRS, le service de renseignement militaire) continuait d’arrêter des personnes soupçonnées d’actes de terrorisme et de les placer en détention. Incarcérés pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, sans contact avec le monde extérieur, ces détenus risquaient d’être torturés ou maltraités.

Les personnes soupçonnées d’actes de terrorisme voyaient leur droit à un procès équitable bafoué. Certaines d’entre elles ont comparu devant des tribunaux militaires. Dans plusieurs cas, les détenus ont été privés de l’assistance d’un avocat, en particulier dans la période précédant le procès. Les autorités n’ont pas enquêté sur les allégations faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements subis par des détenus et, cette année encore, les tribunaux ont retenu à titre de preuve, sans ordonner aucune enquête, des « aveux » qui auraient été obtenus sous la torture ou la contrainte.

• Moussa Rahli a été enlevé le 17 mars à son domicile d’Ouled Aïssa, dans la préfecture de Boumerdès, par des membres des services de sécurité en civil. Il a été maintenu au secret pendant près de 50 jours avant que sa famille ne soit informée qu’il se trouvait à la prison militaire de Blida. Bien que civil, Moussa Rahli allait, semble-t-il, être jugé par un tribunal militaire pour des infractions liées au terrorisme. Son procès n’avait pas débuté à la fin de l’année.

• Mohamed Rahmouni, également civil, était maintenu en détention dans la prison militaire de Blida, en attente de son procès devant un tribunal de l’armée pour des infractions liées au terrorisme. Arrêté en juillet 2007, il avait été maintenu au secret pendant les six premiers mois de sa détention. Les pouvoirs publics ne l’avaient pas autorisé à se faire représenter par l’avocat de son choix, ni à le consulter ; le tribunal militaire lui a désigné un avocat qu’il n’a pas accepté.

Le 17 janvier, Bachir Ghalaab est devenu le huitième Algérien à être renvoyé de la prison américaine de Guantánamo Bay. Ces huit hommes étaient tous en liberté. Deux d’entre eux devaient être jugés pour appartenance à un groupe terroriste opérant à l’étranger. Bachir Ghalaab et deux autres anciens prisonniers de Guantánamo étaient placés sous contrôle judiciaire aux fins d’enquête. En novembre, un tribunal d’Alger a acquitté Feghoul Abdelli et Mohammed Abd al Qadir, qui étaient poursuivis pour appartenance à un groupe terroriste opérant à l’étranger et falsification de documents. Le huitième homme a bénéficié d’un non-lieu.

Liberté d’expression

Des défenseurs des droits humains, des journalistes et d’autres personnes ont fait l’objet de poursuites, notamment pour diffamation, pour avoir dénoncé la situation des droits humains dans le pays ou critiqué des agents de l’État ou les pouvoirs publics en général.

• Hafnaoui Ghoul, journaliste et militant des droits humains, membre de la section de Djelfa de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), a été déclaré coupable de diffamation et d’outrage envers une institution publique par le tribunal de première instance de Djelfa, le 27 octobre, à l’issue de deux procès distincts. Il a été condamné à quatre mois d’emprisonnement – dont deux avec sursis –, au paiement d’une amende et au versement de dommages et intérêts. Il a interjeté appel dans les deux affaires et demeurait en liberté en attendant qu’il soit statué sur son recours. Une procédure avait été ouverte à son encontre après que des fonctionnaires du gouvernorat de Djelfa se furent plaints d’articles qu’il avait publiés dans le quotidien Wasat et qui faisaient état de mauvaise gestion et de corruption. En janvier, il a été poignardé dans la rue par un inconnu.

• Kamal Eddine Fekhar, membre de la LADDH et militant du Front des forces socialistes (FFS), faisait l’objet de poursuites dans le cadre de plusieurs procédures. En octobre, le tribunal de première instance de Ghardaïa l’a condamné à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis assortie d’une amende pour « injure », ce dont il se déclarait innocent. Il était également en instance de procès pour avoir incité à incendier un véhicule de police en février. Arrêté en juin pour cet acte, il avait été placé sous contrôle judiciaire et son passeport avait été confisqué. Son interpellation faisait suite à un appel à la grève lancé le 1er juin par le FFS à Ghardaïa pour protester contre une présumée erreur judiciaire.

• Amine Sidhoum, avocat défenseur des droits humains, était toujours en instance d’appel devant la Cour suprême. En 2008, il avait été déclaré coupable d’avoir jeté le discrédit sur la justice algérienne pour des remarques qui lui avaient été attribuées dans un article de presse paru en 2004, et condamné à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis assortie d’une amende.

Disparitions forcées

Les autorités n’ont pris aucune mesure pour enquêter sur les milliers de disparitions forcées qui ont eu lieu au cours du conflit interne des années 1990.

• Aucun progrès n’a été accompli dans la recherche de la vérité sur le sort subi par Fayçal Benlatreche, disparu en 1995, ni pour traduire les responsables en justice. Le père de cet homme, qui pendant des années avait fait campagne pour connaître la vérité et obtenir justice, et qui avait fondé l’Association des familles de disparus à Constantine, est décédé en septembre.

Un ministre aurait affirmé, en août, que près de 7 000 familles de disparus avaient accepté une indemnisation de l’État, pour un montant total de 11 milliards de dinars (environ 9,7 millions d’euros). Farouk Ksentini, président de la CNCPPDH, aurait demandé au gouvernement de présenter des excuses publiques aux familles des disparus, mais il aurait aussi affirmé que certaines demandes de vérité et de justice étaient impossibles à satisfaire.

Les associations de familles de disparus étaient la cible de harcèlement et leur action était entravée, mais elles continuaient à organiser des manifestations.

• Le 16 juin, des responsables de l’application des lois ont empêché des personnes d’accéder à un lieu privé à Bachedjarah (Alger), où devait se tenir une conférence organisée par des associations de familles de disparus et de victimes de « terrorisme ».

• Les autorités de Jijel n’ont pas répondu à la demande d’agrément déposée en mai par l’antenne locale de l’Association Michaal des enfants de disparus, qui venait d’être créée, bien qu’elles soient tenues par la loi de le faire dans un délai de 60 jours. D’autres associations de familles de disparus actives depuis des années n’avaient toujours pas réussi à se faire enregistrer officiellement.

Droits des migrants

Le 25 février, le président a approuvé des modifications au Code pénal qui, entre autres, érigeaient en infraction pénale le fait de quitter l’Algérie « d’une façon illicite », en utilisant des documents falsifiés ou à partir de lieux autres que les postes frontaliers officiels. Ces modifications restreignaient également la liberté de mouvement et faisaient de la migration une infraction. La sortie « illicite » du territoire algérien était passible d’une peine comprise entre deux et six mois d’emprisonnement et d’une amende, ou de l’une des deux peines. Des milliers d’Algériens et de ressortissants d’autres pays ont néanmoins tenté de gagner clandestinement l’Europe depuis l’Algérie. Plusieurs centaines – et peut-être bien davantage – ont été interceptés en mer ou alors qu’ils se préparaient à partir en bateau. Les médias ont indiqué que de nombreuses personnes avaient été jugées et condamnées aux termes des nouvelles dispositions sur la sortie « illicite » du territoire.

On ne disposait pas de statistiques officielles sur le nombre d’étrangers expulsés d’Algérie, mais dans son rapport initial au Comité sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, le gouvernement algérien avait déclaré que 7 000 étrangers en moyenne étaient refoulés aux frontières ou expulsés d’Algérie chaque année. Bon nombre de ces expulsions étaient, semble-t-il, effectuées hors de toute procédure régulière et en l’absence des garanties appropriées.

Discriminations contre les femmes

Le 15 juillet, l’Algérie a levé les réserves à l’article 9-2 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes en ce qui concerne l’égalité des droits entre hommes et femmes s’agissant de la nationalité de leurs enfants. Des modifications introduites en 2005 au Code de la nationalité avaient déjà permis aux Algériennes mariées à des étrangers de transmettre leur nationalité à leurs enfants. Le Code de la famille contenait toujours un certain nombre de dispositions discriminatoires, tout particulièrement en matière de mariage, de divorce, de garde d’enfants et d’héritage, ainsi que l’illustraient les réserves persistantes de l’Algérie à plusieurs autres articles de la Convention.

Peine de mort

Plus d’une centaine de prisonniers restaient sous le coup d’une condamnation à la peine capitale, mais les autorités maintenaient le moratoire de facto sur les exécutions en vigueur depuis 1993. La majorité des sentences capitales ont été prononcées, dans la plupart des cas par contumace, dans des affaires liées au terrorisme, mais il y a également eu des condamnations à mort pour assassinat.

On a appris en juin le rejet par le gouvernement d’une proposition de loi visant à abolir la peine de mort. Le texte avait été déposé par un député de l’opposition.

2. La défense des droits de l’homme en Algérie

Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH). Dite aussi « Commission Ksentini » du nom de son président

Comme la plupart des pays, l’Algérie est dotée d’une institution officielle, gouvernementale, baptisée Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH). Le Comité International de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (CIC) procède chaque année à une évaluation des institutions du même type à travers le monde et leur accorde un statut. Ainsi le statut « A » leur permet de participer aux sessions et aux travaux du Conseil des droits de l’homme, de prendre la parole sur tous les points de l’ordre du jour en qualité d’entité indépendante et d’entrer en relation avec ses divers mécanismes. L’institution nationale accréditée peut également soumettre des déclarations écrites, diffuser une documentation portant la côte que les Nations Unies leur assignent et agir auprès des organes conventionnels et des procédures spéciales de l’ONU. Pour la troisième année consécutive l’Algérie n’obtient pas le Statut A pour pratiquement les mêmes motifs : la sujétion de la Commission au pouvoir exécutif, l’absence de transparence dans la nomination de ses membres, le manque de coopération avec les organes de l’ONU et avec les ONG indépendantes de défense des droits de l’homme.

Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH)

http://www.algerie-laddh.org/ http://www.la-laddh.org/?lang=fr

Sa création remonte à 1985. Elle est affiliée à la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), au réseau Euro-Méditéranéen des Droits de l’Homme (REMDH), à la Coordination Maghrébine des Organisations des Droits Humains (CMODH). Son président actuel est un avocat Mostefa Bouchachi. Depuis sa création la LADDH a joué un rôle de premier plan dans la défense des droits de l’Homme en Algérie ; nombre de ses membres ont été emprisonnés et poursuivis pour leur activité militante. Aujourd’hui elle est à la pointe de la contestation du régime algérien. C’est la LADDH qui est à l’initiative de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) qui a animé la scène politique algérienne depuis deux mois. Il y a quelques semaines, cette coordination qui organise les manifestations du samedi s’est divisée sur la méthode de mobilisation mais aussi sur les objectifs du mouvement. A sa création la Coordination (LADDH +syndicats autonomes+ quelques partis) avait trois revendications essentielles : la libération des détenus arrêtés en janvier, la levée de l’état d’urgence, l’ouverture du champ médiatique, politique et d’association pour permettre aux Algériens de militer pacifiquement afin d’aller à la démocratie. A l’annonce de la manifestation du 12 février, tous les détenus ont été libérés et le conseil des ministres a annoncé la levée imminente de l’état d’urgence. Il semblerait qu’à partir de là la LADDH ait opté pour une stratégie plus pédagogique, pacifique, négociée avec des objectifs décris de al façon suivante par Mostefa Bouchachi « On peut envisager la mise en place d’un gouvernement de coalition nationale qui organise de vraies élections dans lesquelles tout le monde participera. Cela peut nous mener vers la démocratie et le départ du système de manière contrôlé. C’est la seule vraie sortie. Une révolution à la tunisienne, à l’égyptienne ou libyenne je pense que ce n’est pas ce qu’il nous faut, c’est porteur de trop grands dangers.« (12/03/2011, pour l’interview complète du président aller sur le site la LADDH). Donc plus de manifestations du samedi, pas de slogans « Boutef dégage » ou « Pouvoir assassin ». Sous le titre  » Les Algériens qui marchent et qui ne marchent pas Le « peuple introuvable » de la CNCD », Mohamed BOUHAMIDI développe l’analyse politique de la Ligue dans un article en ligne sur le site (http://www.algerie-laddh.org/?action=actualite_detail&actualite_id=364). A l’intérieur de la LADDH il n’y a pas unanimité sur cette ligne. Ainsi le président d’honneur de la Ligue Ali Yahia Abdennour, 90 ans, s’est vite retrouvé samedi dernier immobilisé sur un trottoir par la police. « Nous continuerons à essayer de marcher chaque samedi. Il faut que ce pouvoir parte. 50 ans, ça suffit« , a-t-il lancé. A. Ali Yahia est l’auteur de « La dignité humaine » (Editions INAS, Alger, 2007) une longue réflexion sur l’histoire politique de l’Algérie contemporaine examinée depuis l’observatoire des droits de l’homme.

A signaler une publication remarquable de la LADDH, la revue Errabita : première revue des droits de l’homme en Algérie. La publication, explique Abdelmoumen Khelil, secrétaire général de la LADDH, se veut être un espace de réflexion, de débat, mais surtout d’expression, dans un pays où les libertés collectives et individuelles sont en perpétuelle régression. En réussissant à éditer cette revue de 58 pages, la LADDH réussit un défi qu’aucune autre organisation, et même les partis politiques, n’a réalisé pour le moment. A ce jour 4 numéros parus. Ils sont tous accessibles et téléchargeables en ligne à l’adresse

http://www.la-laddh.org/spip.php?rubrique5&lang=fr

N° 4 (19/07/2010) Ni juste ni indépendante, la justice au service de qui ?

N° 3 (29/10/2009) Liberté d’association et de réunion, une nécessité sociale

N°2 : (20/07/2009) L’urgence qui dure ! (à propos de l’Etat d’Urgence)

N°1 (05/04/2009) La dignité humaine est au cœur des droits de l’homme.

Algeria-Watch. Information sur la situation des droits humains en Algérie

http://www.algeria-watch.de/francais.htm

Algeria-Watch est une association de défense des droits humains en Algérie. Créée en 1997 en Allemagne, elle existe également en France depuis 2002, où elle a constitué une association (loi de 1901) du même nom. Toutes les activités d’Algeria-Watch sont le fruit de l’engagement et du travail bénévole de ses membres et de ses amis.

Le double objectif de l’association Algeria-Watch est :
- de rassembler les informations permettant de mieux comprendre les ressorts complexes de la guerre qui déchire l’Algérie depuis 1992, provoquant des ravages tant sur le plan humain (150 000 à 200 000 morts, des centaines de milliers d’orphelins, des dizaines de milliers de torturés, plus de 10 000 disparus, au moins 1,5 million de personnes déplacées, plus de 500 000 exilés, etc.), que sur les plans économique, écologique et éthique ;
- de prendre et soutenir toute initiative visant au rétablissement de la paix, la vérité et la justice en Algérie.

Le site d’Algeria-Watch est extraordinairement documenté (articles, dossiers, débats…). Pour rester dans le sujet de cette lettre, voici les liens de la rubrique permanente « Violations des droits humains « 

• Répression

• « Disparus »

• Torture

• Massacres

• Milices

• Réfugiés

• Rapports – Déclarations

Pour finir, sur le site Algérie-politique « Travaillons ensemble à l’instauration de la 2ème république », dont il sera question dans un autre N° d’Eclairages, une page est consacrée aux droits de l’homme en Algérie ; on y trouve des informations réactualisée presque tous les jours. http://ffs1963.unblog.fr/tag/droits-de-lhomme/

Les libertés individuelles en débat à Venelles 5 février, 2011

Pourquoi Venelles ? Ce n’est sans doute pas un hasard si la Ligue des Droits de l’Homme a choisi cette commune pour organiser son premier débat public.

D’autant qu’ici, on est à la veille d’imiter la grande soeur aixoise en matière de vidéosurveillance.

Même si l’objectif affiché par les organisateurs est avant tout de poser des questions en matière de sécurité. Et, sur certains points, de faire des propositions…

Philippe Senegas, président de la section aixoise de la LDH a introduit la séance devant un public venu nombreux. Précisant que ce premier débat faisait suite à la signature, au plan national, par une cinquantaine d’organisations associatives et syndicales, du « Pacte pour les droits et la citoyenneté ».

Pour illustrer et lancer la réflexion, Gilles Sainati, magistrat membre du Syndicat de la magistrature, a fait un long exposé sur le développement des outils de vidéosurveillance, le fichage, la biométrie… et leur compatibilité avec les libertés individuelles.

Quel encadrement ? Pourquoi cette généralisation ? Quelles conséquences ? Sécurité et liberté vont-elles de pair ? « Depuis 2002 nous enregistrons 42 nouvelles lois sécuritaires, cela engendre une augmentation des poursuites pénales », note-t-il.  » Et puis on a évacué le contradictoire… on a démantelé la section économique… on a introduit l’automaticité des peines, prenant exemple des pénalités routières… avec pour conséquences la tenue de fichiers… ». Et de citer le fichier STIC (Système de traitement des infractions constatées) regroupant les informations concernant les auteurs d’infractions « présumés coupables, témoins ou victimes » interpellés par les services de la police nationale.

Le public n’a pas manqué de poser des questions. François Hamy, élu aixois d’opposition, s’est interrogé sur Facebook qu’il a qualifié de « STIC caché » en tant que réseau social consultable.

Anne Mesliand, conseillère régionale et présidente de la commission « solidarité et sécurité, santé et services publics », a rappelé que la vidéosurveillance n’était pas une politique de la Région qui reste attachée à la prévention.

« Il ne faudrait pas qu’il y ait détournement des dispositifs sociaux », s’est-elle inquiétée. « Il est prévu de renforcer la police nationale par des effectifs citoyens fortement indemnisés avec les risques que l’on imagine », a dit tel autre. « D’autant que l’argument des maires est de dire que la population le demande ».

« Y a-t-il donc un risque de clientélisme ? » Luc Foulquier, responsable du Parti communiste, s’exprime en tant que citoyen et demande instamment que l’on se projette dans l’avenir… « Est-il bon de remplacer les humains par des caméras et d’exploiter la peur ? » Gilles Sainati s’inquiète au final des conséquences de la LOPPSI (loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) qui vise, dit-il, « à développer la vidéosurveillance et le transfert au privé de la sécurité. » Philippe Senegas rappelle pour conclure les propositions concrètes du Pacte qui concernent la démocratie, la protection de la vie privée et des données personnelles, les droits et libertés face à la justice, à la police et au système pénitentiaire, la lutte contre les discriminations, l’égalité sociale et les solidarités. « Je suis preneur de l’avis des élus », a-t-il précisé. « Il faut que leurs réponses éclairent les citoyens. »

A noter enfin qu’aucun élu de la majorité municipale de Venelles n’était présent. Le maire, Jean-Pierre Saez, a simplement déclaré : « J’assume complètement le choix largement partagé par les Venellois de la mise en oeuvre de la vidéoprotection ».

Marie-Pierre Peyrou, élue d’opposition, présente au débat, a déclaré avoir voté contre cette mise en oeuvre. Et, au-delà de Venelles, le débat reste donc très

ouvert.

S.L.

Gilles Sainati est l’auteur de la « Décadence sécuritaire », éditions La Fabrique.

Pièces jointes

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