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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

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L’islamisme algérien (1) : 1962-2000 30 septembre 2011

Pour rester dans le format habituel de ces Eclairages (moins de 3 pages) le survol de l’histoire de l’islamisme algérien se fera en deux parties. Cette première partie couvre en quelques dates, la période allant de 1962 à 2000. Elle doit presque tout au remarquable travail d’historien mis en ligne par Naravas sur son blog « angles de vue » et à un article de Wikipedia bien documenté : http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_algerienne

1962 -1991 : la montée de l’islamisme politique

Dés 1963, au lendemain de l’indépendance, la toute première constitution algérienne dispose en son article 4 que l’islam est la religion de l’état. Les nouveaux dirigeants du pays financent la construction massive de mosquées et intègrent dans l’appareil d’état des représentants des franges les plus rigoristes de l’islam. Parallèlement, l’arabisation du système d’enseignement conduit à faire venir en masse des enseignants égyptiens ou syriens. Ceux-ci s’avèrent être d’ardents propagandistes de la religion musulmane. L’influence des frères musulmans égyptiens suscite l’apparition de prédicateurs fondamentalistes qui dans les années 80, en marge de l’islam officiel (contrôlé par le Ministère des affaires religieuses), s’attaquent aux idées socialistes qui avaient animé une partie des combattants pour l’indépendance, et dessinent un projet de société organisée et gouvernée selon les principes de la charia (Loi islamique). C’est aussi dans les années 80 que plusieurs milliers de jeunes algériens s’enrôlent dans la résistance afghane contre l’URSS et s’initient simultanément au combat et aux thèses fondamentalistes (les deux ingrédients de la guerre sainte ou djihad) avant de revenir en Algérie où ils vont rejoindre les groupes religieux extrémistes, auteurs de plusieurs assassinats, puis créateurs des premiers maquis islamistes.

En octobre 1988 (Chadli est Président), la jeunesse algérienne descend en masse dans les rues des principales villes du pays et manifeste son désespoir en s’attaquant aux symboles du pouvoir et de la richesse. L’armée tire sur les insurgés ; bilan : 500 morts à Alger le 5 octobre. Ce drame est suivi d’une ouverture politique comme l’Algérie n’en avait jamais connu depuis l’indépendance (et n’en a plus connu à ce jour), marquée notamment par la fin du parti unique (le FLN) et l’autorisation d’une presse d’opinion. En quelques mois, des associations, des journaux, des partis voient le jour. Les islamistes sortent de l’ombre et début 1989, Abassi Madani et Ali Belhadj fondent le Front islamique du salut (FIS) qui sera légalisé quelques mois plus tard. Le nouveau parti rassemble des groupes d’inspiration salafiste résolument orientés vers la glorification d’une identité exclusivement arabo-musulmane de l’Algérie, contre l’occidentalisation, la démocratie et la « modernité », pour l’application littérale de la charia, contre le pouvoir considéré comme oppresseur et apostat et en faveur d’une morale sociale prescrivant l’abolition de la mixité (dans la rue et dans les institutions), l’interdiction de la musique, de la cigarette et de l’alcool, l’imposition du hijab pour les femmes et des codes vestimentaires islamistes et prescrivant en général la répression des plaisirs. Parmi ces groupes, certains sont partisans de la prise du pouvoir par l’action armée. La propagande des militants du FIS, très organisés, se répand dans l’enseignement et auprès des plus défavorisés en leur apportant de l’aide matérielle mais aussi en imposant dans les quartiers un nouvel ordre moral, par le prêche, l’endoctrinement et un contrôle social souvent violent sur les comportements de la vie quotidienne. Dés cette époque, le pouvoir croit pouvoir utiliser le fondamentalisme islamiste comme repoussoir, pour asseoir sa légitimité d’instance protectrice contre les errements et la violence des extrémistes et, de la sorte marginaliser, les partis démocratiques (FFS, RCD…).

Le 12 juin 1990 ont lieu les premières élections pluralistes en Algérie. Ce sont des municipales et le FIS les remporte haut la main ; ses listes rassemblent 54% des suffrages et l’administration de 32 wilayas (régions) sur 48 passe aux mains des islamistes. Le FIS applique son programme. La mixité est supprimée partout où c’est possible, dans les bus, dans les salles d’attente, sur les trottoirs. Les cinémas sont fermés ou censurés. Les sports sont interdits ou drastiquement limités pour les femmes. Des milices s’instituent en police des mœurs impitoyable. Pendant un an la pression islamiste s’accentue sur la vie publique et s’insinue dans la vie privée des algériens. Fin mai 1991, le FIS décrète la grève générale et met des centaines de milliers d’algériens dans les rues des grandes villes. L’appel au djihad et à la création d’un état islamique accompagne la critique virulente du pouvoir en place. Le pays est paralysé.

Dans la nuit du 3 au 4 juin 1991, le gouvernement réagit ; l’affrontement avec les forces de sécurité fait des dizaines de morts. Le 4 juin l’état de siège est décrété et le couvre-feu instauré. L’armée réoccupe l’espace public, réprime les militants du FIS et finit par arrêter, fin juin, les principaux leaders islamistes parmi lesquels Abassi Madani et Ali Belhadj. La dissolution du FIS demandée par les militaires est refusée par Chadli. Les militants les plus radicaux choisissent la voie de la lutte armée et commencent à entrer en clandestinité pendant que le parti (le FIS) endosse les habits d’un acteur politique prêt à entrer dans le jeu des futures échéances électorales, pourtant contraires à ses conceptions du pouvoir.

L’état de siège est levé le 4 octobre 1991 et les élections législatives sont programmées pour le 25 décembre. A l’issue du premier tour (seulement 38% de participation), les résultats de ces élections sont sans appel : sur les 430 sièges à pourvoir, le FLN, parti du président, obtient 15 sièges, le FFS, seul parti d’opposition démocratique obtient 25 sièges et le FIS obtient 188 sièges ! Le FIS est assuré d’une majorité absolue au deuxième tour. Ses leaders annoncent que l’Algérie est prête à se débarrasser de la démocratie et à se muer en un Etat islamique sur le modèle de l’Iran ou du Soudan. Les partis démocratiques réussissent à organiser des manifestations imposantes de rejet de la perspective islamiste mais ils se divisent rapidement (et durablement) sur la question de l’interruption du processus électoral. En effet plusieurs partis, syndicats, organisations refusent qu’un parti ouvertement anti-démocratique soit amené au pouvoir par un processus électoral qu’il s’engage à supprimer. Dans les sphères du pouvoir aussi il y a désaccord sur cette question entre les militaires et les politiques. Le 4 janvier 1992 l’armée prend position autour d’Alger et contraint le président Chadli à démissionner et à dissoudre l’APN. Le processus électoral est interrompu par cette démission le 11 janvier. C’est un coup d’état. Un Haut Comité d’Etat est créé pour assurer la gouvernance et Mohamed Boudiaf, figure de la guerre d’indépendance, exilé au Maroc, est appelé à revenir en Algérie pour prendre la direction de ce Comité. Le président du FIS qui a appelé à la sédition des militaires est arrêté fin janvier, des millier de militants islamistes sont emprisonnés, l’état d’urgence est proclamé, et le 4 mars 1992 le FIS est dissous.

1991 -2000 : la décennie noire

Début 1992, les militants du FIS encore en liberté se replient dans les zones de montagne faiblement contrôlées par les forces de sécurité et, à partir de ces maquis, organisent les premiers attentats contre soldats et policiers. Pendant près de dix ans, la guérilla islamiste, encadrée par des mouvements puissants mais rapidement antagonistes, divisée sur l’utilisation de la terreur, infiltrée par le département du renseignement et de la sécurité (DRS) va mettre le pays à feu et à sang.

Le premier mouvement armé important à émerger, fut le Mouvement islamique armé (MIA), juste après le coup d’État, suivi en février 1992 par le Mouvement pour un état islamique (MEI) ; ces deux mouvements armés restaient plus ou moins fidèles au FIS clandestin représentant leur façade politique. Cette allégeance au FIS provoque en janvier 1993 une scission au sein du MIA et donne naissance au Groupe islamique armé (GIA). A partir de cette date, le MIA et le MEI occupèrent plutôt le terrain du maquis et développèrent des actions armées contre les forces de sécurité, pendant que le GIA privilégiait le terrorisme urbain, multipliait les attentats aveugles et très meurtriers contre la population, les attaques contre les étrangers et l’exécution de journalistes, d’intellectuels et de démocrates. En 1994, Liamine Zéroual, le nouveau président du Haut Conseil d’Etat (Boudiaf a été assassiné 6 mois après sa nomination à la présidence du HCE) entreprend de négocier la paix civile avec les chefs du FIS emprisonnés. Le GIA saisit cette occasion pour déclarer une guerre ouverte au FIS et à ses partisans, et accentuer encore l’usage de la terreur : attentats à la bombe sur les marchés, assassinat de musiciens, incendie d’écoles jugées insuffisamment islamistes, etc. Face à cette « montée » du GIA, le MIA et divers plus petits groupes se regroupent pour former l’Armée islamique du salut (AIS), loyale au FIS.

Les négociations avec le FIS échouèrent alors même qu’une rencontre à Rome des principaux acteurs politiques de l’Algérie (y compris le FIS) aboutissait à un accord (la plateforme de Sant’Egidio, janvier 1995) sur une série de principes de nature à ramener la paix dans le pays. Le gouvernement ne se saisit pas de cette opportunité et accentue sa politique de répression et est soupçonné de provoquer lui-même d’horribles attentats mis sur le compte des islamistes. Les années qui suivirent furent marquées à la fois par des règlements de compte sanglants entre factions islamistes (GIA vs AIS) et au sein de ces factions et par des pics de violence et de massacres notamment en 1997 autour des élections législatives (juin) et jusqu’à la fin 1998. Des femmes enceintes furent éventrées, des enfants taillés en morceaux ou jetés contre des murs, les membres des hommes furent coupés, dans leur retraite les attaquants enlevèrent des jeunes femmes pour en faire des esclaves sexuelles. Le GIA revendiqua ces massacres dans le sud et l’est d’Alger (qui avait voté pour le FIS en 1991), les qualifiant « d’offrandes à Dieu ». Cette folie sanguinaire du GIA entraina deux conséquences dans le mouvement islamiste politique et armé algérien. D’une part, l’AIS, craignant que les massacres qu’elle avait toujours condamnés lui soient imputés ordonna un cessez-le-feu unilatéral à ses troupes fin septembre 1997. D’autre part, le GIA lui-même se divisa, cette scission donnant naissance au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) en septembre 1998. Le GSPC renonce au terrorisme aveugle et sanguinaire contre les populations, il se recentre sur l’affrontement armé à l’Etat algérien et élargit la lutte au domaine international.

Le 11 septembre 1998 le président Zéroual annonce sa démission et le 15 avril 1999 Abdelaziz Bouteflika entame son premier mandat présidentiel. Dés son arrivée à la tête de l’état, Bouteflika prend des dispositions préparant sa future politique de réconciliation nationale. En juin l’AIS accepte le principe de sa dissolution, qui interviendra en janvier 2000. Bouteflika accompagne ce succès d’une amnistie d’un certain nombre d’islamistes condamnés pour des actes mineurs. Il soumet également une loi dite d’harmonie civile au parlement, loi permettant à des combattants islamistes non coupables de meurtre ou de viol d’échapper à toute poursuite s’ils se rendaient. Cette loi fut finalement approuvée par référendum le 16 septembre 1999 et un certain nombre de combattants, en profitèrent pour reprendre une vie normale provoquant la colère ceux qui avaient été victimes des islamistes. La violence diminua, sans toutefois disparaître totalement, et le calme revint en Algérie.

On estime à près de 200 000 le nombre des victimes de cette guerre civile parmi lesquelles des centaines d’intellectuels de la presse, de la littérature, de l’enseignement, de la culture…Pour certains, la plaie encore vive de ces années terribles explique, dans une large mesure, l’échec du « printemps » algérien en 2011.

Ramadan sous tension et soutien des occidentaux 31 août 2011

Mouvements sociaux

Barrages sur les routes, barricades dans les villes, assauts contre les bâtiments publics, notamment les mairies et les préfectures (wilayas), saccages de magasins, incendie de voitures et surtout affrontements très violents avec les forces anti-émeutes entrainant hospitalisation de nombreux blessés et arrestations massives : si les mouvements socio-professionnels sont discrets en cette période d’été et de ramadhan (Après plus de trois de mois de mobilisation, les médecins résidents ont fini par décider d’observer une pause en gelant leur mouvement de grève), les émeutes restent quotidiennes en Algérie. La presse gouvernementale a beau jeu de mettre cette agitation sur le compte de la dureté du ramadhan en plein été. Quand l’Algérie aura fait sa révolution, on nous expliquera que ce mouvement chronique et généralisé de révoltes populaires était annonciateur d’un bouleversement politique, mais en attendant qui en parle ? Une typologie des motifs de ces émeutes se dégage désormais assez nettement et est utilisée dans la presse

Travaux urbains

Par exemple à Hydra (hauteurs d’Alger), depuis le 10 juillet et pratiquement tous les jours, les habitants de la cité Bois-des-pins s’opposent durement à la construction d’un parking (et probablement d’un supermarché) sur le seul espace vert de la cité (arbres centenaires…risques d’effondrement des immeubles voisins), alors que le terrain est légalement inconstructible.

http://www.algerie-focus.com/2011/07/14/privee-de-son-unique-carre-de-verdure-une-cite-algeroise-se-revolte-video/

http://www.algerie-focus.com/2011/08/04/le-cri-de-revolte-des-jeunes-de-la-cite-bois-des-pins-quils-envoient-toute-larmee-nous-resisterons-jusqua-la-fin/

Et en effet, ces constructions se font souvent en violation de la réglementation, ce qui suscite d’autant plus la colère des riverains.

Ainsi, du 23 au 25 juillet les habitants de Sidi Moussa (Ouest d’Alger) se sont livrés à 3 jours de manifestations pour réclamer la réfection des routes et de l’éclairage public et le renouvellement du réseau d’au potable et du réseau d’assainissement. Ils accusent le Maire (Président de l’assemblée Communale Populaire ou par raccourci P/APC) de corruption et de détournement de l’argent public. Dernier exemple, depuis le 15 août les habitants de la commune de Bouzaréha (Alger) manifestent pour exiger le départ du P/APC qui est publiquement accusé de favoriser le promoteur d’un projet immobilier sorti de terre sans permis de construire.

Emeutes de l’électricité (vrai aussi pour l’eau)

Extrait d’un article de presse. « Du 10 au 13 juillet, dans la région de Biskra, les habitants de Ouled Djellal, excédés par des coupures d’électricité à répétition et autres délestages, sont passés à l’acte. Ils ont mis le feu au siège de Sonelgaz après avoir blessé deux agents de sécurité qui essayaient de protéger l’établissement ; ces derniers ont été hospitalisés. On déplore aussi l’incendie de pas moins de neuf véhicules de service et deux voitures personnelles stationnées dans le parc de Sonelgaz. Le mobilier administratif, les bureaux, ordinateurs, documents et autres archives ont été jetés dans la rue et incendiés par les émeutiers. Même le magasin qui abritait les fournitures et pièces de rechange électriques n’a pas échappé à la furie dévastatrice des protestataires. Au départ, ce sont, semble-t-il, les coupures et délestages opérés dimanche par le département Gestion réseau transport électrique (GRTE) basé à Sétif, pour éviter le black-out total à plusieurs régions de l’est du pays, qui sont à l’origine de l’ire des citoyens des Ziban ».

Le 21 août , révolte des habitants de Guelma , privés d’eau potable depuis 20 jours : un mort

Logement

1er juillet. De nombreuses familles, dont les noms ne figuraient pas sur la liste des 1500 bénéficiaires de logements sociaux dans la commune de Chettia, à une dizaine de kilomètres au nord de la ville de Chlef (ex-Orléansville) sont descendues, dans la rue pour crier leur mécontentement. Des dizaines de jeunes de cette localité ont barré la RN19 en brûlant des pneus et des troncs d’arbres. Ils entendaient protester contre la manière avec laquelle ont été traités les dossiers des demandes.

8 juillet. De violents affrontements ont opposé dans la matinée les habitants d’un bidonville aux agents de l’ordre dans le quartier de Zaâroura à Tiaret, venus les délocaliser (expulsion sans solution de remplacement). Huit blessés parmi les habitants ont été enregistrés et conduits à l’hôpital de Tiaret, alors que deux autres ont été transférés vers le CHU d’Oran.

Les émeutes à répétition sur le logement ont coïncidé avec la visite du 9 au 19 juillet à Alger, de la rapporteuse de l’Onu sur le logement, Raquel Rolnik.. Il s’agissait de la première mission en Algérie d’un expert des Nations Unies sur le droit au logement convenable. Cette visite doit déboucher un rapport contenant conclusions et recommandations pour renforcer la réalisation du droit au logement en Algérie. Ce rapport sera présenté au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies à sa session de mars 2012. Pendant sa visite au siège de la LADDH d’Oran pour y recueillir les témoignages de familles en détresse vivant à la rue ou dans des conditions extrêmement précaires faute d’avoir pu bénéficier d’un logement social et cela parfois depuis des décennies, la rapporteuse des NU a rencontré Rachid Malaoui le président du SNAPAP, qui devait le lendemain être victime d’une tentative d’assassinat. « Il est totalement inacceptable que quelque chose puisse arriver aux personnes que nous avons rencontrées et aux membres de la LADDH” a déclaré Raquel Rolnik qui a rapproché cet événement de l’assassinat de l’enseignant Ahmed Kerroumi, quelques semaines après qu’il se soit entretenu avec le rapporteur de l’ ONU Franck la Rue venu à Oran dans le cadre de sa mission d’évaluation de la liberté d’expression en Algérie

Commerce informel

1er juillet. A Mostaganem, expulsion des vendeurs de melons et pastèques. Voitures brûlées ; arrestations

1er août. A Tizi Ouzou où les marchands informels régulièrement expulsés de marchés de la ville tentent à chaque fois de réinvestir ces espaces. Jets de pierres contre grenades lacrymogènes.

3 août : A Tiaret à la suite de l’expulsion de 116 commerçants dont le bail de location de leur emplacement au sein d’un marché de la ville arrivait à expiration. Arrestations, blessés hospitalisés.

Harragas : recrudescence des tentatives d’exil par la mer

Les tentatives de traversée clandestine de la Méditerranée (harga) vers l’Espagne, la France ou l’Italie augmentent l’été. Depuis le début du mois de juillet, c’est par centaines que des algériens et des algériennes, généralement de moins de quarante ans, se sont entassés dans des embarcations légères pour une traversée périlleuse de plusieurs jours, après avoir versé aux passeurs une somme d’environ 1000 euros. Ainsi, dans la nuit du 13 août, 48 personnes parties de l’est algérien, ont réussi à accoster sur les rives italiennes, dans le sud-ouest de la Sardaigne, à une soixantaine de kilomètres de la ville de Cagliari. Mais beaucoup n’atteignent pas leur but ; le nombre de naufrages et des pannes est important et les arrestations en mer ne sont pas rares. La dernière tentative en date concerne treize personnes qui ont été interceptées par les gardes-côtes algériens dans la nuit du 16 août au large de Annaba (600 km à l’est d’Alger). Cette interception est intervenue quarante-huit heures seulement après que 23 autres candidats à l’émigration clandestine soient tombés dans les mailles du filet de ces mêmes éléments de la Marine nationale. Citons encore les 21 harragas interceptés le 13 août à bord de deux embarcations à quelque 6 miles à l’est d’Oran, au large de la plage de Kristel. Les harragas arrêtés sont présentés à la justice pour  » tentative d’émigration clandestine « . Ils risquent six mois de prison.

Droits de l’homme

Le 9 juillet le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH), Me Farouk Ksentini, a interpellé, dans son rapport annuel sur la situation des droits de l’homme en Algérie, le chef de l’Etat sur la détention préventive et l’usage “abusif et systématique” qui en est fait. Par ailleurs, le président de la CNCPPDH a souligné avoir interpellé le président de la République dans un rapport qu’il lui a remis deux semaines auparavant, sur d’autres sujets, notamment, la réconciliation nationale, la levée de l’état d’urgence, la liberté de la presse, la liberté d’opinion et de culte. Le rapport aborde également la question les droits sociaux et insiste, selon son auteur, sur les élections que la commission voudrait “transparentes”. Le rapport fait état aussi du “malaise social” dans le pays, de la souffrance de la jeunesse “marginalisée” et “désespérée” de trouver un logement ou du travail, et aborde le phénomène des “harraga”. Me Ksentini ajoute avoir insisté sur la nécessité d’approfondir la démocratie, car pour lui, “il ne suffit pas de proclamer la démocratie dans les textes mais il faut que la population la ressente dans la pratique quotidienne”. A ce sujet, l’avocat juge “insuffisants” les efforts consentis pour une démocratie qui demande à être “améliorée et approfondie”. Le plus important en démocratie, pour la CNCPPDH, ce sont des élections “totalement libres et transparentes, de manière à les rendre indiscutables aux yeux de l’opposition”. “C’est à partir de là que les choses changeront vers plus de démocratie”, estime l’avocat.

De son côté, le président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), Me Mustapha Bouchachi, proche de l’opposition a déclaré le 30 juillet “La torture est toujours pratiquée” en Algérie, « Rien n’a changé depuis la levée de l’état d’urgence”.

Attentats contre l’armée et la police

La fréquence des attentats a considérablement augmenté pendant l’été, période qui a correspondu aussi au mois du ramadan (1er au 28 août cette année), traditionnellement propice aux actions violentes de la part des islamistes. Les forces de l’ordre et l’armée ont multiplié les mesures de sécurité, et selon un expert en matière de questions sécuritaires, “de nombreux attentats ont été déjoués et au moins 15 terroristes préparant des attentats ont été arrêtés ces derniers temps ». La plus spectaculaire de ces interceptions s’est produite le 25 juillet. En effet ce jour-là Abdelkahar Belhadj, membre d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et fils d’Ali Belhadj l’ex-numéro deux du Front islamique de Salut (FIS, interdit depuis 1992) a été tué avec deux complices dans un véhicule kamikaze en route pour Alger. Agé de 23 ans, il avait été condamné à mort par contumace en 2009 en Kabylie pour participation à plusieurs attentats sanglants. D’autres tentatives ont échoué comme celle du 27 juillet : un kamikaze repéré par des gardes communaux s’est fait exploser à Bouhamza, à quelque 300 kilomètres à l’est d’Alger, ou celle du 16 août à Bouira (au sud-est d’Alger) où les services de sécurité du département ont désamorcé une bombe de fabrication artisanale.

Cela dit, la liste est longue des attentats qui n’ont pu être empêchés. La Kabylie et la région de Boumerdès sont les plus touchées par des attentats généralement commis et revendiqués par des islamistes qui s’en prennent aux forces de sécurité.

13 et 14 juillet : deux attentats commis à Baghlia, dans les environs de Boumerdès causant deux morts et six blessés parmi les forces de l’ANP. Revendiqués par Aqmi

16 juillet : double attentat suicide contre le commissariat de Bordj Menaïel (70 km à l’est d’Alger). Revendiqué par Aqmi, il a fait 2 morts et 14 blessés.

20 juillet : du côté de Bouira, à 120 km d’Alger, une bombe a explosé au passage d’un convoi militaire, blessant plusieurs soldats, dont deux grièvement

31 juillet : trois militaires tués et huit autres blessés, dont l’un se trouve dans un état “très grave”, dans un attentat à la bombe commis à Tahamamt dans le département de Tissemsilt (350 km au sud-ouest d’Alger)

14 août : plus d’une trentaine de personnes dont deux Chinois ont été blessées dans un attentat suicide contre un commissariat du centre de la métropole de la Kabylie, Tizi Ouzou, à une centaine de km à l’est d’Alger.

16 août : un soldat a été tué et cinq blessés par l’explosion d’une bombe au passage de leur convoi à Thénia, dans la région de Boumerdès (50 km à l’est d’Alger).

17 août : un policier et un civil sont tués et d’autres personnes sont blessées dans le mitraillage de la voiture du chef de la sûreté de la sous-préfecture de Ben Douala, en Kabylie. Le chauffeur d’un véhicule de transport de voyageurs est tué, victime d’une balle perdue. La veille, dans la même localité, les passagers armés d’un véhicule avaient ouvert le feu sur une brigade mobile de la police judiciaire en patrouille.

23 août : trois membres des forces de sécurité ont été tués et deux autres blessés dans deux attentats. Le premier s’est produit en plein centre-ville de Bordj Bouararidj (270km à l’est d’Alger) vers 21h. Trois individus armés ont tué deux policiers chargés de régler la circulation. Un peu plus tôt, dans la localité de Taourga, dans la wilaya de Boumerdès (50Km à l’est d’Alger) un militaire a été tué et deux autres ont été blessés dans l’explosion de leur camion sur une charge commandée à distance.

26 août : 18 morts et 20 blessés à la suite d’un attentat kamikaze contre le mess extérieur de l’Académie militaire inter-armes de Cherchell.

La fréquence et la violence de ces attentats contre l’armée et la police auraient de quoi, dans n’importe quel pays, susciter l’effroi et une mobilisation nationale de la population, des organisations politiques et des pouvoirs publics. Pas en Algérie ! La banalisation de l’horreur est intériorisée collectivement pendant que le pouvoir tire des profits politiques des « événements ». Alternativement, les responsables algériens affirment soit que la politique de réconciliation nationale a réduit l’islamisme armé à quelques desperados isolés, soit que la menace est toujours réelle d’un retour aux années 90, menace à laquelle le pays ne peut échapper que par un renforcement de son dispositif sécuritaire. Ainsi à la suite de l’attentat de Cherchell, Le ministère de la Défense nationale estime que ce crime terroriste « démontre une nouvelle fois que les groupuscules terroristes tentent à travers cet acte abject d’atteindre des objectifs médiatiques afin de desserrer l’étau qui leur est imposé sur le terrain par les forces combinées de sécurité qui ont réalisé des résultats remarquables, notamment durant les dernières semaines ».

Il faut noter que les pays européens, au premier rang desquels la France, ne s’émeuvent pas non plus de ce que vit le peuple algérien actuellement ; la presse ne s’en fait pas l’écho et, on y reviendra plus bas, la coopération franco-algérienne est en plein développement. Les USA sont sur la même ligne. Dans son rapport annuel sur la situation du terrorisme dans le monde (rendu public le 20 août), le département d’Etat américain juge « remarquables » les efforts de l’Algérie dans la lutte anti-terroriste. Le rapport souligne « une nette avancée » dans la lutte contre les groupes islamistes armés. Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) est désignée comme la principale menace terroriste dans les régions montagneuses de l’est algérien mais pour le département d’Etat américain, les terroristes ont échoué dans leurs stratégies et leurs complots. « Les groupes armés ont mené des opérations, sans trop de succès », est-il écrit dans le rapport. N’ignorant pas les derniers événements (relatés ci-dessus) les rédacteurs du rapport admettent que l’Algérie connait une recrudescence des attentats terroristes cet été, notamment depuis le début du Ramadhan. Mais on n’explique que cette recrudescence n’est pas aussi importante que celle qu’a connu le pays durant les années 2008 et 2009. Le retour des attentats est finalement expliqué par les tentatives des terroristes de riposter aux attaques menées par les services de sécurité et l’armée dans les wilayas de Tizi Ouzou et de Boumerdès.

En d’autres termes, la thèse américaine, qui est aussi la thèse française, c’est qu’il faut soutenir le régime de Bouteflika car il protège l’Algérie et l’Europe de l’avènement d’une république islamiste au Maghreb.

La contribution de la France à la militarisation de l’Algérie

L’expérience tunisienne ne leur a rien appris ! Quand les intérêts économiques commandent, les autorités françaises sont comme aveugles aux réalités socio-politiques des pays avec lesquels elles commercent. L’offensive de charme réciproque à laquelle on assiste depuis le printemps (cf Les Echos du mois de juin) entre les deux états est indécente dans le contexte actuel des souffrances du peuple algérien et du prix payé au Maghreb et dans les pays arabes dans les combats pour la démocratie.

A l’occasion du 14 juillet, le président Abdelaziz Bouteflika a adressé à son homologue français, le président Nicolas Sarkozy, un message dont voici quelques extraits.

“Je me réjouis de constater que les relations entre nos deux pays ont réalisé, ces derniers mois, de réelles avancées qui traduisent notre volonté commune d’imprégner à nos rapports d’amitié et de coopération l’exemplarité à laquelle nous aspirons” … “En cette heureuse circonstance, il me plait de vous réitérer ma disponibilité à œuvrer, de concert avec vous, au renforcement de cet élan par l’approfondissement du dialogue politique et la densification des relations économiques au bénéfice de nos deux pays et de nos deux peuples”. Le 11 juillet, soit quelques jours avant ce message, le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé, en visite en Algérie, plaidait pour la construction d’un “partenariat d’exception” franco-algérien. L’ex-ministre du Budget soulignait “l’impérieuse nécessité” d’un soutien économique, “si nous ne voulons pas que les extrémistes confisquent la démocratie”. Et le 15 juillet on annonçait, de source diplomatique relayée par la presse algérienne, la visite prochaine en Algérie du ministre français de la Défense, Gérard Longuet, visite précédée par la venue de délégations militaires françaises qui prépareront le terrain des futures négociations. C’est que les enjeux sont importants. L’armée algérienne s’équipe comme jamais. Le 5 juillet, l’agence Reuters annonçait la signature d’un contrat d’armement entre l’Algérie et l’Allemagne d’un montant de 10 milliards d’euros, mais la Russie a livré à l’Algérie pour l’équivalent de 16 milliards de dollars d’armements ces 5 dernières années (le marché algérien représente 13 % des ventes d’armes russes). La compétition est féroce, d’autant que l’Allemagne, a réussi à se positionner sur le marché algérien bousculant ainsi le fournisseur traditionnel du pays, la Russie. L’effort d’armement de l’Algérie est donc colossal et la France (comme les italiens et les anglais) veut sa part du gâteau. Depuis plusieurs semaines, les responsables français tentent de convaincre leurs homologues algériens d’acquérir des armes françaises, notamment les Frégates et les Corvettes, et de décrocher le chantier de rénovation de la base navale de Mers El Kébir. Il est malheureusement plus que probable que ces armes serviront un jour ou l’autre contre le peuple algérien, contre le voisin marocain et pourquoi pas comme en Lybie, contre des coalitions occidentales, i.e. les actuels pays marchands d’armes.

L’islam en Algérie 31 août 2011

Cette période de ramadan (qui tombe en août cette année) est l’occasion de proposer un éclairage sur la place de la religion dans la société algérienne. La question de l’islamisme politique sera abordée une prochaine fois.

L’amalgame entre une communauté de croyants (oumma) et une société de citoyens

On peut partir de deux faits bien établis

1. L’article 2 de la constitution algérienne stipule : « L’islam est la religion de l’état. » Aucune révision constitutionnelle ne peut porter atteinte à l’islam en tant que religion de l’état (article 178)

2. Il est généralement estimé que l’islam est la religion de 98 à 99 % des Algériens. (L’islam d’Algérie est un islam sunnite de rite malékite).

A la fois en tant qu’attribut de l’état et en tant que croyance partagée par la quasi-totalité de la population, l’islam est donc un élément essentiel de la vie publique et de la vie privée en Algérie.

La nature religieuse de l’état, se traduit, d’une part, par l’existence d’institutions spécifiques et, d’autre part, par l’existence de lois ou de règles administratives qui importent la référence à l’islam dans la gestion des affaires publiques. Du côté des institutions étatiques, il existe en Algérie un Ministère des affaires religieuses et des wakfs (Patrimoine constitué des biens donnés à des œuvres de bienfaisance par des particuliers espérant la récompense divine) dont la mission est de gérer tout ce qui, dans le domaine de la religion, affecte le fonctionnement de la société dans son entier (calendrier musulman, les horaires de prières, les jours de fête religieuse, l’annonce du ramadan, le pèlerinage à La Mecque, l’entretien des mosquées). Il existe aussi un Haut conseil islamique dont le rôle est dicté par la constitution et qui est la plus haute autorité religieuse du pays ; son rôle est essentiellement doctrinaire. D’autres organes et missions de l’état intègrent aussi la dimension religieuse. Ainsi, en matière de justice, le droit algérien n’est certes pas l’application de la loi islamique (charia) mais il s’appuie explicitement sur les principes moraux édictés par l’Islam ; les conséquences de cette adhésion sont manifestes en particulier dans le droit de la famille. On peut en prendre trois exemples : un mariage entre un-e- musulman-e- et un-e- non-musulman-e- ne peut être enregistré à l’état civil en Algérie ; le code de la famille consacre des inégalités notoires en matière d’héritage entre les filles et les garçons, reflétant les règles patrimoniales propres à la culture islamique traditionnelle ; le tuteur d’une personne mise sous tutelle ou un tuteur testamentaire doivent être de confession musulmane. L’autre domaine d’action de l’état perméable à l’influence religieuse est le domaine de l’éducation. L’enseignement de l’islam est obligatoire dans l’école publique, pendant toute la scolarité primaire et secondaire. Les enfants peuvent aussi apprendre le Coran dans les écoles Coraniques. Enfin, et pour terminer ce survol par un problème administratif qui est loin d’être anodin, il faut savoir que l’introduction du passeport biométrique a suscité l’année dernière des débats virulents sur les normes appliquées aux photos d’identité. En particulier était visé le port du voile par les femmes. Après des mois de négociation, une instruction du ministère de l’Intérieur, a arrêté que sur ces photos, les oreilles doivent être apparentes pour les femmes et la tête découverte ainsi que la barbe rasée pour les hommes.

En tant que croyance partagée par le plus grand nombre, l’islam est un trait culturel majeur de la société algérienne. L’athéisme ou l’adhésion à une autre religion que l’islam existent certes, mais de façon extrêmement marginale ; en outre, ils ne s’avouent pas et, nous y reviendrons, sont quasiment considérés comme des délits. L’islam marque toutes les étapes de la vie des algériens : naissance, baptême (circoncision pour les garçons), mariage, pèlerinage à La Mecque, décès, se déroulent selon des rites institués religieusement. Dans la vie quotidienne, les interdits alimentaires (porc, alcool) ou le respect de règles dans l’abattage d’animaux de boucherie s’imposent également à tous. Enfin, les fêtes rituelles (L’Aïd-el-Kébir et l’Aïd-el-Fitr sont les principales) et le mois de ramadan constituent des événements religieux et sociaux de première importance durant l’année. Le ramadan est une période longue (28 jours) et contraignante pendant laquelle tout le fonctionnement de la vie sociale et professionnelle, privée et publique s’ordonne à l’impératif de l’abstinence alimentaire et sexuelle entre le lever et le coucher du soleil, et de la convivialité familiale et amicale dans la soirée et la nuit, après la rupture du jeûne. C’est une période vécue avec piété et parfois avec zèle par les plus pratiquants (prières cinq fois par jour, bonnes œuvres..) mais qui est aussi ressentie comme pénible physiquement et psychologiquement par une majorité de personnes.

Bien sûr l’état tire parti de cet amalgame entre citoyenneté et religiosité ; il le fait de façon très « politique » en se présentant à la fois comme le protecteur de la société contre les dérives et les violences fondamentalistes et comme l’interlocuteur incontournable des islamistes. Il le fait aussi en donnant des gages d’islamité à la population : par exemple le Président (qui doit être musulman selon la constitution algérienne) communique beaucoup ces derniers mois sur son projet de construction de la future et monumentale Grande mosquée d’Alger.

Des contestations qui se développent

Trop de religion pour certains, pas assez pour d’autres, la question religieuse fait débat, rendue sensible par la menace (ou l’espoir pour certains) d’un passage à un régime de république islamique en cas de déstabilisation politique.

Les partis de gauche continuent d’appeler à la sécularisation de la vie politique et publique en Algérie et le thème de la laïcité figure en bonne place dans les projets de réforme de ces partis. Un thème qu’ils manient cependant avec prudence pour ne pas être accusés de tourner le dos aux valeurs de l’islam et de vouloir désislamiser la société. La prise en compte de l’ancrage psychique des Algériens dans une culture islamique traditionnelle est encore un élément essentiel de toute stratégie politique dans ce pays.

Une autre attaque, qui n’est pas nouvelle non plus, vient de la Kabylie et du mouvement berbérophone. Pour des raisons et avec des formes sur lesquelles il est indispensable de revenir dans un prochain Eclairage, l’identité kabyle s’exprime et se manifeste de façon très importante en Algérie. Les berbères se considèrent comme les descendants des peuples maghrébins envahis, soumis et convertis par les arabes au VIIème siècle. Ils contestent l’assimilation de leur culture à la culture arabo-musulmane dominante en Algérie. Cette affirmation identitaire prend depuis quelques années la forme d’une remise en cause de l’islam comme religion unique. Une attitude qui n’est pas indépendante bien sûr de la collusion que les kabyles perçoivent et contestent entre pouvoir politique et pouvoir religieux. La traduction la plus spectaculaire de cette remise en cause est le développement d’un mouvement significatif de conversion au christianisme. Il faut savoir qu’aux termes de l’islam le plus rigoureux, la renonciation à sa religion par un musulman (apostasie) est la plus grave des fautes et que selon le Coran cette faute doit être punie par la mort. Dés 2006, le parlement adoptait une loi contre le prosélytisme prévoyant des peines de prison pour toute tentative de « convertir un musulman à une autre religion ». Des peines de 2 à 5 ans de prison et une amende de 500 000 à 1 000 000 de dinars (5 000 à 10 000 euros environ) sont prévues contre toute personne qui « incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion ». La loi prévoit des sanctions similaires contre toute personne qui « fabrique, entrepose, ou distribue des documents imprimés ou métrages audio-visuels ou tout autre support ou moyen, qui visent à ébranler la foi musulmane ». En 2008, les églises protestantes d’Algérie avançaient le chiffre de 50 000 fidèles, le ministère des Affaires religieuses reconnaissant 11 000 chrétiens dans le pays, essentiellement catholiques. Depuis 2006, de nombreux chrétiens et musulmans convertis ont été poursuivis, accusés d’avoir enfreint les dispositions de la loi. Pour endiguer leur progression, 10 Églises évangéliques ont été fermées alors même que les autorités refusent constamment d’enregistrer les Églises protestantes, forçant donc leurs membres à pratiquer leur culte dans des lieux non agréés par l’État, au risque de poursuite. L’Eglise protestante d’Algérie (EPA) vient d’être officiellement reconnue par le ministère de l’Intérieur algérien Preuve supplémentaire du dualisme qui associe droit musulman et droit positif dans la législation algérienne, les dispositions de la loi de 2006 sont en contradiction manifeste avec la constitution algérienne qui proclame la liberté d’expression, la liberté de conscience et la liberté de culte.

Enfin, et pour revenir à la célébration du ramadan qui a suscité la présentation de cet Eclairage, un autre phénomène prend de l’ampleur (tout en restant marginal) depuis quelques années : le non-respect des dogmes et en particulier le refus du jeûne du ramadan. Les non-jeûneurs s’expriment sur internet mais se cachent pour se nourrir d’abord parce que leur comportement est réprouvé par leur environnement social mais aussi parce que il arrive que des poursuites soient engagés contre eux.

Le régime s’est engagé à promouvoir dans les mois qui viennent des réformes profondes du fonctionnement de l’état. Les débats et les tractations commencés au printemps reprennent après la trêve estivale et le mois de ramadan. L’un des plus grands services que les gouvernants pourraient rendre à leur pays et à ses citoyens serait d’aller vers une sécularisation des institutions publiques. Malheureusement, la confusion entre identité religieuse et identité citoyenne est tellement ancrée dans la société et les bénéfices politiques de cette confusion tellement évidents pour le pouvoir qu’il n’y a pratiquement aucune chance qu’une telle évolution se produise à court terme.

Mme Joissains et les roms : nous sommes indignés 6 juillet 2011

Lors du dernier conseil municipal, Madame Joissains s’en est prise violemment aux Roms-migrants (qui viennent des pays de l’Est) et a réclamé au Président de la République de rétablir les frontières intérieures de l’Union européenne.

Oui, la mendicité nous dérange, même si on ne peut la dire agressive.

Oui, la majorité des enfants Roms du Centre Ville ne sont pas scolarisés.

Oui, les Roms-migrants constituent une population difficile à accueillir et à gérer.

Oui, il existe en France des réseaux mafieux et des gangs « bien de chez nous ». La Police les connaît. Ils ne sont pas « LA population Rom ».

Que doit faire un maire devant une telle situation ? Assurer la sécurité des citoyens, bien sûr. Mais sont-ils en danger ? distiller la peur remplace-t-il une politique ? et la sécurité de cette population que l’on redoute, qu’en fait-on ? Le rôle d’un maire est aussi d’accueillir toute population, qu’elle lui plaise ou non :

Qu’a fait la maire pour aider l’accès au travail ? Pour corriger l’effet de réglementations et de lois (qu’elle a votées) interdisant de fait à ces Roms d’être embauchés ?

Qu’a fait la maire pour la scolarisation des enfants ?

Qu’a fait la maire pour permettre à ces gens, quel que soit leur statut administratif, de disposer du minimum en-dessous duquel les conditions de vie sont infrahumaines ?

Au contraire, Madame Joissains, avec ses collaborateurs M Susini et Mme Draouzia, produit un discours où les affirmations les plus éculées, les plus basses, sont reprises comme en un temps qu’on pensait révolu. Elle parle d’agressions, de « professionnels », de » réseaux », de « méthodes », d’enfants pour lesquels « il y a forcément des produits pour qu’ils se tiennent tranquilles », de « pratiques indignes », de la peur des personnes âgées (elles ont bon dos !), etc. Elle fait un numéro de « grand cœur », « ému par le sort de ces enfants ». Mais là, quand on sait son attitude, son (in)action, sa hargne, l’écœurement est total. D’autres habitants d’Aix, et des institutions, sont préoccupés de ce sort et tous se heurtent à ce rejet orchestré par la maire.

On a voulu faire l’Europe, source de richesse. Dans le panier se trouvaient aussi des pauvres : 15 000 roms (sur environ deux millions) sont venus en France, peut-être 2 à 300 à Aix. Et il n’y a rien d’autre à faire que les rejeter, les stigmatiser, les expulser ?

Voilà pourquoi nous sommes indignés. Et la honte nous submerge.

Comme la majorité à laquelle elle appartient Mme Joissains défigure la République ; elle participe et contribue à la xénophobie, se défausse sur des groupes ethniques de l’insécurité que le régime met en scène.

Oui, il faut en finir avec cette politique de la peur et de la discrimination. Et reconstruire une République où chacun peut être fier d’être citoyen, la République « libre, égale et fraternelle » qui est la nôtre.

Ligue des Droits de l’Homme, section d’Aix-en-Provence

Jeunesse algérienne, la « mal-vie » 30 juin 2011

Quels que soient les indicateurs auxquels on se réfère (L’âge médian des algériens est de 27 ans ; la moitié de la population algérienne est constituée de jeunes entre 15 et 25 ans ; 70% de la population algérienne a moins de 30 ans), le constat est irréfutable : le poids de la jeunesse sur le présent et l’avenir de l’Algérie est énorme. En même temps, toutes les analyses de ce qu’il est convenu d’appeler le printemps arabe mettent en avant la jeunesse comme symptôme (social, économique, éducatif, culturel…) des difficultés auxquelles ces pays ont réagi et les jeunes comme principaux acteurs de cette réaction. Et dans ces pays, en effet, la jeunesse, parce qu’elle est particulièrement exposée à la précarité et parce qu’elle ressent davantage le manque de liberté, est en première ligne dans les affrontements avec les régimes en place. Par comparaison, la singularité de la situation algérienne en ce moment est que les jeunes ne jouent pas un rôle moteur dans la lutte pour le changement ; et pourtant sur le plan des difficultés qu’ils ont à affronter au quotidien et à celles que l’avenir leur réserve inéluctablement, ils sont parmi les plus défavorisés du Maghreb. Ils sont près de 20 millions à avoir grandi dans la terreur islamiste et dans la guerre civile (200.000 morts dans les années 90) et à affronter maintenant des problèmes de valeurs morales, de structures familiales, de qualité de la formation, d’attente d’un diplôme, de chômage, d’attente dans les rues et d’occupations qui meublent le temps quand les logements sont surchargés, de capital scolaire insuffisant, de mariage difficile, d’accès à certains biens impossibles etc. On peut segmenter à l’infini la catégorie et admettre qu’il existe une jeunesse dorée en Algérie (enfants des dirigeants politiques et économiques), que les étudiants ne sont pas à confondre avec les exclus de l’éducation et de la formation, que les problèmes ne sont pas les mêmes en ville (70% de la population est urbaine) et dans les campagnes etc., les jeunes algériens ne veulent qu’une chose : partir. Beaucoup s’expatrient, parfois au risque de leur vie. On estime à 5000 le nombre morts en tentant de traverser la mer à bord de barques de fortune ; c’est le phénomène des “harragas”, qui reflète lui aussi la détresse des jeunes aspirant à une vie meilleure.

Pris par le temps et l’immensité du problème abordé dans cet Eclairage, je préfère après cette présentation rapide vous proposer deux documents dans lesquels les jeunes algériens s’expriment.

Le premier est une série d’extraits d’entretiens réalisés par Isabelle Labeyrie, correspondante de France Info à Alger. Ils ont été diffusés en février 2011.

http://www.france-info.com/chroniques-le-plus-france-info-2011-02-21-la-mal-vie-de-la-jeunesse-algerienne-516958-81-184.html

Le deuxième est un reportage de « 66 minutes », une émission de M6, diffusé le 1er mai 2011. On y voit aussi une jeunesse qui se bat.

http://www.youtube.com/watch?v=5QO1qDFymDE&feature=player_embedded

Le pays s’enlise, la France au secours de Bouteflika 30 juin 2011

Mouvements sociaux

Le caractère endémique et récurrent des émeutes de la pauvreté reflète l’absence de volonté ou l’impuissance des autorités publiques à résoudre les problèmes dramatiques que connaissent les classes populaires algériennes. Alors que les consultations politiques en cours devraient aboutir à plus d’ouverture et de respect des libertés collectives et individuelles, c’est par la répression policière que l’état répond aux tensions sociales qui persistent dans toute l’Algérie.

Le problème du logement est l’un des motifs les plus fréquents de révolte. Faute de revenus suffisants et d’un parc immobilier suffisamment important, il est impossible à la majorité des jeunes adultes de quitter le logement de leurs parents, ce qui provoque des situations de surpopulation des logis absolument insupportables. Le nombre insignifiant des logements sociaux distribués suscite chaque jour la colère dans de nombreuses communes comme par exemple à Adrar (15OOkm au Sud-ouest d’Alger) le 20 juin. L’affichage de la liste des bénéficiaires des logements sociaux dont le nombre ne dépassait pas 375 alors que plus de 16000 demandes ont été enregistrées a entrainé des affrontements violents entre les jeunes et la brigade anti-émeutes, provoquant des blessés et des interpellations. Le lendemain à Hussein Dey, dans la banlieue-est d’Alger, la publication d’une liste de bénéficiaires de logements sociaux a provoqué les protestations de dizaines de jeunes qui ont bloqué la route en brûlant des pneus. Des rassemblements et des sit-in sont organisés presque tous les jours par les habitants à Alger et dans d’autres wilayas pour protester contre leur exclusion des listes de bénéficiaires de logements sociaux et l’importance de la corruption dans l’établissement de ces listes.

Le chômage aussi est la cause de violents affrontements. Le sud de l’Algérie (région de Ouargla et Hassi Messaoud) connaît depuis plusieurs mois un climat très tendu. Les tentatives de suicide, notamment par immolation, y sont nombreuses. En mars dernier, un jeune de 20 ans s’était pendu à Hassi Messaoud. Dans cette même ville, où des dizaines de chômeurs ont entamé une grève de la faim, les jeunes manifestants ont été violemment réprimés le 2 juin par les forces de sécurité. Cinq personnes ont été évacuées à l’hôpital de la ville. A Ouargla, le 8 juin de jeunes chômeurs ont mis le feu à un commissariat de police au cours d’affrontements qui ont duré toute la nuit. Le 13 juin, pour exprimer leur désespoir face à l’annulation d’un projet de construction d’une usine dans la localité, les habitants de la municipalité de Maârif ont pris à partie le siège de la commune qui a été incendié. Le 23 juin, les membres d’une délégation du Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) reçue par le ministre du travail et de la sécurité sociale, se sont vus insultés et menacés publiquement par ledit ministre.

L’interdiction du commerce « informel » dans la rue (petits métiers de survie qui existent depuis longtemps en Algérie) est le motif de drames quotidiens. Le 19 juin dans la ville de Béchar, un jeune commerçant de 32 ans interdit d’étaler ses marchandises, essentiellement des fruits et légumes, s’est aspergé d’essence avant d’y mettre le feu et de s’accrocher à un officier de police. L’immolé, brûlé à 100% et sa victime ont été évacués par route vers le CHU d’Oran (700 km !). Le jeune est mort pendant le transport.

Les revendications socioprofessionnelles se poursuivent à un rythme d’autant plus soutenu que le gouvernement multiplie les déclarations laissant entendre qu’il est disposé à acheter la paix sociale par d’importantes concessions salariales, ce qu’il a en partie réussi avec les enseignants de l’université par exemple. Entre le 28 mai et la mi-juin, ce sont les employés de la poste algérienne qui se sont mis en grève illimitée pour obtenir un meilleur cadre de travail et des revenus plus conséquents. Le 9 juin un accord sur une augmentation de 30% du salaire de base était signé mais refusé par une partie des agents réclamant un effet rétroactif à compter de janvier 2008, comme tous les travailleurs des autres secteurs ayant bénéficié de hausses de salaires. Ce conflit a présenté la particularité d’être déclenché de façon « sauvage » et d’échapper partiellement à l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), toute puissante centrale syndicale contrôlée par le pouvoir algérien. Le bras de fer des médecins résidents grévistes avec le Ministère de la santé en est à son quatrième mois. Le mouvement est maintenant encadré par le CAMRA (Collectif autonome des médecins résidents algériens ). Les grévistes (plus de 80%) subissent non seulement la répression des forces de sécurité à chacune de leur marche (voir la vidéo ci-dessous) mais aussi des retenues de salaire pour fait de grève.

Vidéo You Tube sur la marche du 1er juin à Alger :

http://www.youtube.com/watch?v=Fk_9Joj08bo&feature=related

La CNCD suspend ses marches hebdomadaires

Après plus de quatre mois d’une présence active sur le terrain, les membres de la Coordination, réunis le 23 juin en assemblée générale, ont décidé de suspendre leurs marches hebdomadaires, insuffisamment mobilisatrices. Ali Yahia Abdennour, 85 ans, Président d’honneur de la LADDH et figure de la Coordination a déclaré : « La CNCD doit aborder une nouvelle phase. Nous devons nous rapprocher davantage des syndicats. A la rentrée, il y aura une autre situation qu’il faut préparer au mois d’août. Il est hors de question d’enterrer la CNCD. Elle restera unie jusqu’à la réalisation du changement. Il y a une dictature en Algérie et elle doit partir. Les jeunes n’ont pas seulement le droit à la parole mais aussi au pouvoir »

Bavure militaire après un attentat contre un convoi.

Des milliers d’Algériens ont participé dimanche à Azazga (environ 100 km à l’est d’Alger) à une marche de protestation contre une bavure militaire qui a entraîné le 24 juin la mort d’un habitant de cette ville kabyle. Ce jour-là, des militaires en convoi, victimes d’un attentat à la bombe ayant fait un mort et un blessé dans leurs rangs ont réagi par des tirs et des pillages pendant lesquels Mustapha Dial, père de quatre enfants, qui gardait une villa, soupçonné à tort par les soldats d’être un assaillant, a été grièvement blessé par balle, puis achevé alors qu’il cherchait à rejoindre la route principale pour demander de l’aide.

Consultation et prochaines élections

Entamées le 21 mai, les consultations (baptisées Kermesse-carnaval par la presse d’opposition) autour des « réformes politiques profondes » annoncées le 15 avril par le président Abdelaziz Bouteflika se sont achevées le 21 juin. La commission chargée de recueillir les propositions des partis politiques, des personnalités nationales, des partenaires sociaux et des organisations de la société civile dispose désormais d’une dizaine de jours pour remettre un rapport final au chef de l’État. Ce dernier en présentera sa version finale au gouvernement qui élaborera des projets de loi à soumettre à l’Assemblée nationale en septembre. Ceux qui ont boycotté la commission Bensalah militent pour une révision de la constitution qui consacre la séparation des pouvoirs, le principe de la responsabilité politique du président de la République et la nomination d’un Premier ministre issu de la majorité parlementaire par respect pour la volonté populaire. Convaincus qu’il n’est pas possible de réformer avec le système en place, ils tiennent le départ du pouvoir actuel pour un préalable à l’élaboration d’une nouvelle Constitution, qui devrait, selon eux, être confiée exclusivement à une Assemblée (constituante) élue au suffrage universel.

Dans les allées du pouvoir, ces consultations se déroulent sur fond de batailles politiques pour la succession de Bouteflika. A une année des élections législatives et locales, et à trois ans des présidentielles, les leaders des deux partis au pouvoir, le FLN (qui préside l’APN) et le RND (qui préside le sénat) dévoilent progressivement leurs ambitions. Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN, également ministre d’État et représentant personnel du président de la République multiplie les déclarations en faveur d’un changement de gouvernement, pour une nouvelle équipe avec un nouveau premier ministre pour préparer les prochaines législatives. Or on se souvient que l’actuel premier ministre, Ahmed Ouyahia, n’est autre que le secrétaire général du RND. A voir ces manœuvres, les observateurs doutent que les réformes annoncées par le Président et la coalition au pouvoir s’accompagnent d’un réel changement de la classe dirigeante.

Droits de l’homme

Près de 3 mois après l’assassinat de Ahmed Kerroumi (cf les Echos précédents), la disparition tragique de cet opposant politique et militant des droits de l’homme n’est toujours pas élucidée.

La Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), de plus en plus contrôlée et entravée dans ses actions, dénonce régulièrement l’acharnement contre ses membres dans plusieurs régions. Les services de la Wilaya d’Alger ont refusé d’autoriser la tenue de la conférence débat sur le thème « Corruption et dynamiques de changement dans le monde arabe » que la LADDH voulait organiser le vendredi 10 juin 2011 à Alger. Cette interdiction est intervenue dix jours après celle de la Wilaya d’El-Taref concernant la tenue d’une conférence à l’occasion de la journée de l’enfant.

Dans une lettre au président de l’APN (le parlement), une vingtaine de députés demandent la mise en place d’une commission d’enquête sur l’état des droits civils et politiques et des libertés publiques en Algérie. Après avoir rappelé les garanties formelles que la constitution algérienne apporte au fonctionnement d’un état de droit, ils rapportent des cas de sévices corporels, de censure et de contrôle divers sans décision judiciaire, de perturbations inexpliquées d’Internet, de détention préventive abusive, d’interdictions de réunion et de manifestation. Ils dénoncent également l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire et de la Loi contre le droit de grève et la liberté de presse.

Françalgérie : L’aide de la France à Boutef

En Algérie, la France a choisi son camp ; le soutien à la politique de Bouteflika donne lieu à une offensive spectaculaire des autorités et des milieux d’affaire français. Au plan économique, fin mai s’est déroulé un spectaculaire forum franco-algérien sur la coopération économique entre les deux pays. La délégation française conduite par Jean-Pierre Raffarin (envoyé spécial de Sarkozy) et le secrétaire d’Etat au Commerce extérieur Pierre Lelouche, représentait pas moins de 200 entreprises françaises. Le journal Liberté titrait à la Une : « Algérie-France : le temps du business ».J.P. Raffarin a salué l’ouverture d’une « période où les relations sont à la fois apaisées, pragmatiques, opérationnelles ». Les deux parties ont signé deux accords en négociation depuis des années, le rachat par Saint-Gobain du leader de la verrerie algérienne Alver, et un accord de partenariat faisant entrer l’assureur Axa sur le marché algérien.

Deux semaines plus tard, le 15 juin, c’était au tour d’ Alain Juppé, de se rendre en Algérie pour une visite de travail. La liste des sujets politiques et diplomatiques à aborder était plutôt longue. Sur la situation au Maghreb d’abord. Le soutien de l’état Algérien à Kadhafi est connu (livraisons d’armes, hébergement de membres de la famille du leader Lybien, coopération avec les forces lybiennes légitimistes..) et ne va pas dans le sens de la position internationale de la France sur la question lybienne. Les divergences entre Paris et Alger persistent également sur le Sahara occidental, la France s’étant rangée du côté du Maroc. Enfin la situation sécuritaire au Sahel : en plus de l’intérêt stratégique de cette région, quatre otages français, qui travaillaient pour AREVA, y sont retenus par AQMI depuis plus d’un an.

Le résultat de la visite d’A. Juppé (rencontres avec le président, le premier ministre et le ministre des affaires étrangères), au moins dans la version visible et publique qui en a été donnée, fût non seulement de taire les divergences avec les dirigeants Algériens mais aussi de les dédouaner quant à leurs responsabilités dans l’affaire des otages comme dans celle du soutien à Kadhafi. Il n’est pas douteux bien sûr que la France pèse de tout son poids pour que le régime algérien, à l’instar de son voisin marocain, choisisse, au moins en apparence une voie de démocratisation des institutions. Mais c’est sans compter avec l’état de désorganisation du pays et la lutte des clans au sein du sérail algérien. « Aujourd’hui, personne n’ignore que sans le soutien de la France, l’Algérie des généraux serait déjà enterrée par l’histoire ». (Lyazid Abid, Ministre des relations internationales de l’Anavad, Gouvernement provisoire kabyle)

Le gouvernement consulte, le chaos continue 31 mai 2011

Le mouvement social : grèves, manifestations et émeutes

Tous les jours quasiment, depuis le début de l’année, des manifestations, marche, émeutes, accompagnent la vie des Algériens. Les protestataires réclament des augmentations de salaires, auquel le gouvernement répond au coup par coup, mais aussi de l’emploi, des logements ou montrent tout simplement le mal-être d’une jeunesse qui se sent oubliée, dans le sillage des révolutions arabes en cours. Le pouvoir algérien nie la signification politique de ces protestations sociales et les réprime dans la rue.

Protestations populaires

De violentes manifestations ont éclaté le lundi 2 mai dans la commune d’El Bouni, dans la wilaya (département) de Annaba. Des centaines de manifestants issus de la cité populaire de Sidi Salem – plus de 50 000 habitants dont beaucoup de familles démunies – ont investi la rue dès les premières heures de la matinée, coupant la circulation routière à l’aide de pneus incendiés et d’objets hétéroclites. Ils exprimaient leur colère après l’affichage de la liste des attributaires de logements sociaux établis par les services de la daïra (sous-préfecture). Préalablement, ils se sont attaqués au siège de la daïra qu’ils ont pratiquement détruit. Malgré les renforts de la police anti-émeute accueillis par des slogans anti-pouvoir, la manifestation a pris de l’ampleur en début d’après midi.

Même motif, même scénario, le 10 mai ; les éléments de la police anti-émeute sont intervenus à coups de matraque pour disperser une manifestation organisée devant le siège de la daïra de Annaba par près de 200 demandeurs de logement. Une dizaine de jeunes manifestants ont été interpelés et autant de blessés ont été transférés par les ambulances de la Protection civile vers l’hôpital de Annaba.

Le 15 mai, des centaines d’habitants d’une cité populaire de la ville d’Ouargla ont barré la route principale pour protester contre la spoliation d’un terrain privé par la mairie. Les manifestants ont accusé l’APC (conseil municipal) de leur ville de détourner une assiette foncière au profit d’un entrepreneur. Les habitants en colère ont été rejoints par des jeunes chômeurs exaspérés que les bureaux de main d’œuvre de la région soient fermés et gardés par les forces de l’ordre.

Une dizaine d’autres manifestations, pour l’entretien de l’espace publique et surtout pour l’accès au logement, se sont déroulées dans la deuxième moitié du mois selon le même scénario : barrages routiers, assauts contre les bâtiments administratifs, répression musclée…

Médecins du secteur public

Le 16 mai un mot d’ordre de grève (avec service minimum assuré) a été lancé dans tout le pays par les organisations syndicales des médecins praticiens généralistes et spécialistes du secteur public. Depuis des mois, leurs revendications concernent leur statut, leur formation, leurs salaires, la pénurie de médicaments, l’indigence des équipements etc. Le 4 mai, le gouvernement a passé un accord avec un syndicat minoritaire, accord portant (comme d’habitude) sur une augmentation significative (70% !) des salaires des médecins. Les syndicats représentatifs n’ont pas accepté cette promesse destinée à désamorcer le mouvement. La grève (déclarée illégale par le Ministère de la Santé) a affecté près de 80% des praticiens le premier jour et se poursuit encore dans beaucoup d’établissements. Le Ministre de la santé s’est adressé aux médecins pour leur rappeler qu’ils n’avaient qu’à s’occuper « de leur pain » et a demandé aux directeurs des établissements d’empêcher les rassemblements des médecins grévistes : « Je ne veux plus de bruits dans les cours des établissements, ni de rassemblement. Vous n’avez qu’à user de la force pour les disperser et les empêcher de se réunir ». Dans le même temps, les médecins « résidents », c’est-à-dire en cours de spécialisation (7000 médecins concernés) poursuivent grèves et manifestations commencées il y a deux mois.

Etudiants

Créé le 6 février 2011 dans la foulée des émeutes de janvier, le Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) qui compte beaucoup de jeunes diplômés chômeurs a organisé le 2 mai une marche pour l’emploi et la revalorisation des diplômes. Partie de l’université d’Alger cette nouvelle manifestation, du fait de l’interdiction des marches dans la capitale, a été rapidement bloquée en fin de matinée par les forces de sécurité. Au moins neuf personnes, dont trois policiers, ont été blessées au cours de cette intervention, selon la Ligue algérienne des droits de l’homme.

La police a encore sévi à Alger le 15 mai contre les étudiants en pharmacie et chirurgie dentaire, cette fois, qui manifestaient pour la reconnaissance de leur statut. La presse parle d’une dizaine de blessés parmi les manifestants. Alors que l’état d’urgence est levé, les services de sécurité ne cessent de renforcer leur présence dans la capitale, empêchant du coup tout mouvement de protestation.

Les attentats contre les forces militaires

L’Algérie connaît un regain de terrorisme depuis le discours à la nation d’Abdelaziz Bouteflika, le 15 avril dernier. Depuis cette date, les attaques contre les militaires ont fait une cinquantaine de morts.

Ainsi, le 6 mai, cinq militaires ont été tués et cinq autres blessés, dans un attentat à la bombe contre un convoi de l’armée dans la wilaya de Jijel. Cette région de l’est algérien était réputée pacifiée depuis une décennie.

Dans la même région, le 13 mai un poste avancé de l’armée a été attaqué par des assaillants dotés d’armes lourdes, surprenant la majorité des militaires dans leur sommeil. Sept militaires et trois terroristes ont été tués. Un huitième militaire est toujours porté disparu.

Le 15 mai, un militaire est tué et deux autres blessés dans un accrochage dans la région de Tizi-Ouzou. Les militaires ont été surpris par des tirs d’un groupe armé alors qu’ils étaient en plein ratissage.

Le fait que les militaires soient ciblés en Algérie appelle plusieurs commentaires. D’abord nul ne doute que ces attentats soient l’œuvre des maquisards d’al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). C’est sur l’interprétation de ce regain d’activité de ces maquis que les hypothèses divergent. Pour certains, il s’agit d’une recrudescence du terrorisme islamiste suscitée par les mouvements de démocratisation du Maghreb et la mort de Ben Laden : les islamistes veulent rappeler qu’il faudra compter avec eux en cas de bouleversement politique en Algérie. Pour d’autres, cette recrudescence terroriste n’est pas sans rapport avec ce qui se passe en Libye ; l’Aqmi, qui avait appelé à soutenir les insurgés libyens, aurait profité du chaos régnant en Libye pour s’approvisionner en armements de toutes sortes. Cette thèse a les faveurs des autorités algériennes car elle désigne les insurgés Libyens, dont on sait qu’ils n’ont pas le soutien de l’Algérie, comme responsables d’une ingérence violente destinée à déstabiliser le pays et à exporter la révolution. Enfin pour d’autres, ces attentats contre les militaires servent opportunément les généraux de l’ANP (Armée Nationale Populaire), disqualifiés dans leur lutte contre les maquis islamistes par la politique de Concorde nationale imposée par Bouteflika à la recherche de futurs alliés (de là à soupçonner le commandement militaire ou ses officines de renseignement d’instrumentaliser les « terroristes », il n’y a qu’un pas, évidemment).

Car parallèlement à ces « événements », le gouvernement, à l’évidence négocie avec les islamistes. On parle d’une promesse de libération de 7000 détenus de l’ex-FIS.

Les assassinats d’universitaires

On rappelle (cf. Avril 2011) que le corps de Ahmed Kerroumi, 53 ans, enseignant à l’Université d’Oran et militant politique d’opposition très engagé dans la CNCD, a été découvert le 23 avril dernier au siège de son parti, le Mouvement démocratique et social (MDS), à Oran, alors qu’il était porté disparu depuis 5 jours. Depuis cette date, la police et la justice n’avaient donné ni à la famille ni à l’opinion la moindre information sur les progrès de l’enquête. Le 15 mai, le ministre de la Justice, a annoncé à Alger l’arrestation de l’auteur de l’assassinat de l’universitaire, une relation de Kerroumi, qui se serait accusé de l’enlèvement et du meurtre. Mais le lendemain, le présumé assassin, présenté devant le parquet, a nié toute implication dans ces faits. Les soupçons d’assassinat politique ne sont donc pas levés. D’autant que le 11 mai, une autre universitaire, Aïcha Ghettas, 50 ans, enseignante d’histoire à l’université d’Alger, a été retrouvée morte dans son appartement à Mohamadia, dans la banlieue est de la capitale. L’enquête a conduit à l’arrestation, le 13 mai de l’auteur présumé de ce meurtre, mais là encore aucune information n’a été rendue publique sur l’identité et les motifs du suspect.

Les réformes annoncées

Dans son discours du 15 avril, le président Bouteflika a annoncé un train de réformes pour « consolider » la démocratie. Il est prévu que ces réformes passent par l’adoption de textes législatifs relatifs au régime électoral, aux partis politiques, à la place des femmes dans les assemblées élues, au mouvement associatif, aux incompatibilités avec le mandat parlementaire, au code de wilaya et à la loi organique relative à l’information (cf. Echos d’Algérie Avril). Elles engageront, promet le président, une profonde refonte du système sociopolitique algérien, que viendra consacrer une révision radicale de la Constitution. Ces annonces ont été saluées par un concert de louanges par la France, l’Union Européenne, le Sénat américain qui ont saisi l’occasion (notamment les américains) pour envoyer le message qu’ils ne souhaitaient pas le départ Bouteflika et qu’ils le soutiendraient. Les consultations en vue des réformes sont conduites par trois hommes proches du pouvoir : le président du Sénat considéré comme un conservateur, et deux conseillers du Président : un général à la retraite proche des démocrates et un « islamiste BCBG » selon la presse. Ces consultations ont commencé le 21 mai. Deux partis d’opposition démocratique, en l’occurrence le RCD de Saïd Sadi et le FFS de Hocine Ait Ahmed (cf. Eclairage), ont décidé de les boycotter. Ce refus participe d’une position largement partagée par l’opposition algérienne qu’aucun changement démocratique en Algérie n’est à attendre d’un pouvoir qui a durablement usé de la fraude, de la fausse promesse, de l’autocratie et de la répression. Argument auquel s’ajoute qu’il suffirait que, malgré leurs imperfections, la constitution et les lois actuelles soient respectées par les détenteurs de l’autorité pour que l’Algérie vive en démocratie : remplacer des lois non respectées par d’autres lois qui ne seront pas respectées ne changera rien au fonctionnement du Système. Devant ce boycott, le pouvoir va donc devoir consulter les partis de l’alliance présidentielle et quelques uns de ses fidèles clients.

Les partis d’opposition démocratique en Algérie 31 mai 2011

La vague de démocratie qui soulève les pays arabes n’a pas atteint l’Algérie. Une des (nombreuses) causes invoquées pour expliquer l’exception algérienne est l’état de son opposition politique, jugée hétéroclite et divisée. Le panorama rapide de cette opposition, présenté dans cet Eclairage, sera limité aux principaux partis d’orientation démocratique. Jusqu’à la réforme constitutionnelle de 1989 instituant le multipartisme en Algérie, ce pays était sous régime de parti unique (le FLN). Aux élections « libres » de 1991 seuls le FIS (islamiste), le FLN, le FFS et le RCD ont obtenu des sièges malgré la naissance de près de 60 partis. Depuis cette date le FFS et le RCD sont les deux principaux partis d’opposition démocratique.

Le Front des forces socialistes (FFS)

Créé en 1963, les armes à la main, par Hocine Aït Ahmed, un chef historique du FLN, le FFS s’est toujours opposé au régime algérien, illégitime à ses yeux depuis le coup de force de 1962. Il préconise la refondation des institutions sur la base d’une Assemblée constituante qui écrirait une nouvelle Constitution (2ème République). Devenu légal en 1989, il boycotte les élections municipales de 1990 mais participe aux législatives de 1991 qui ont vu la victoire électorale du FIS. Le FFS a accepté cette victoire et condamné l’annulation des élections après le premier tour de 1991. Ce légalisme, toujours affirmé aujourd’hui, correspond à sa stratégie politique de fédérer les courants anti-islamistes dans une opposition pacifique (alternance électorale) et laïque, face au « pouvoir liberticide foncièrement opposé au pluralisme et aux Droits humains » qui règne sur l’Algérie. Le FFS est membre de l’Internationale Socialiste. Il a boycotté les élections législatives de 2002 et de 2007 ainsi que la présidentielle de 2009, contestant le fait que ces élections soient libres et équitables. Il n’a donc pas d’élus à l’Assemblée populaire nationale (le parlement algérien). Le FFS, dirigé par un leader de dimension nationale en la personne d’Aït Ahmed, incarne en même temps une forte identité régionale kabyle. Cet ancrage régional, l’exil volontaire de son leader en Suisse, son orientation résolument laïque, éloignent du FFS une grande partie de l’électorat populaire algérien.

Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD)

Fondé en 1989 par des militants provenant du FFS, avec qui ils étaient en rupture, et du mouvement culturel berbère, le RCD s’est imposé dans le champ politico- médiatique grâce au dynamisme de son leader Saïd Sadi. Le RCD participe aux premières élections municipales pluralistes en 1990, et aux élections législatives de 1991. Son anti-islamisme virulent l’amène à appuyer la décision du gouvernement d’alors (et donc de l’armée) d’interrompre le processus électoral pour éviter un « raz-de-marée intégriste » et la « menace de théocratisation de l’État et de la société ». Toujours présent lors des consultations locales et nationales, le RCD entend entrer dans les institutions et, le cas échéant, participer au pouvoir. Saïd Sadi obtient 1 200 000 voix lors de l’élection présidentielle de novembre 1995 boycottée par le FFS et d’autres partis. Cette ascension est confirmée par les législatives de 1997 à l’issue desquelles le RCD entre à l’Assemblée populaire nationale avec 19 députés. Mais aux Présidentielles de 1999 le RCD mène une campagne pour un « boycott actif ». Cela ne l’empêchera pas, finalement, de faire partie de la coalition gouvernementale – qui comporte des islamistes – formée le 24 décembre 1999 avec un ministre à la Santé et un autre aux Transports. Quand les événements de Kabylie éclatent en avril 2001, le RCD se retire du gouvernement, craignant de se couper de sa base électorale régionale. Lors de la présidentielle d’avril 2004 Saïd Sadi atteint péniblement 1 % des suffrages et en 2007 la participation du RCD aux législatives n’est pas plus glorieuse ; ses dix-neuf députés (sur 389) n’ont guère pesé quand ils se sont opposés, en novembre 2008, à la révision de la Constitution qui allait permettre à Abdelaziz Bouteflika de briguer un troisième mandat.

Les autres partis d’opposition de gauche

L’opposition démocratique en Algérie ne se limite pas aux deux « grands partis kabyles ».

Le Parti des travailleurs (PT)

Le Parti des Travailleurs, créé en 1990, est connu à travers son porte-parole, Louisa Hanoune, jeune femme populaire pour ses interventions généreuses et très critiques vis-à-vis de la situation économique et sociale. Louisa Hanoune, en militante trotskyste, développe un discours virulent contre toute réforme tendant à libéraliser l’économie. Elle préconise un renforcement du secteur public pour mieux prendre en charge les demandes sociales en matière d’emploi, de logement, de santé, de scolarisation, etc. Signataire des accords de Rome en 1995, le PT s’est satisfait de son intégration à l’Assemblée populaire nationale où il a obtenu 4 sièges en 1997 et 21 en 2002. Pendant longtemps alliés, le PT et le FFS se sont éloignés sur la revendication d’une commission d’enquête inter- nationale sur les massacres et les assassinats (Le PT était contre). Louisa Hanoune, fut en 2004 la première femme du monde arabe à se présenter comme candidate à une élection présidentielle (1% des suffrages), candidature renouvelée en 2009 (4%).

Les héritiers du Parti communiste algérien (PCA)

Le Parti Communiste Algérien (créé en 1920) participe activement à la lutte d’indépendance mais en 1964 il est interdit et dissous. Les communistes algériens se regroupent en 1967 dans le Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), qui a apporté sa caution au pouvoir militaire de Boumédiène. En 1999, ils organisent un congrès d’étape et adoptent un nouveau nom : le Mouvement de la démocratie sociale (MDS). D’un « soutien critique » au pouvoir, ils passent à une opposition systématique. À leurs yeux, le régime est coupable de laxisme, voire de complicité, avec les fondamentalistes religieux. Englués dans des débats stériles, coupés du mouvement ouvrier et paysan (totalement récupéré par le pouvoir), les communistes se déchirent depuis la disparition de leur leader, le charismatique Hachemi Cherif, cinéaste et polémiste de talent, mort le 2 août 2005. Boycottant toutes les consultations électorales depuis l’indépendance, ils sont relativement absents de la vie publique.

Bilan de ce tour d’horizon.

Les dernières élections législatives (2007) ont donné la majorité à une coalition composée du FLN, parti du président de la République, du RND, parti du premier ministre et du MSP, parti islamiste. L’opposition, très minoritaire, est composée des traditionnels partis d’opposition comme le PT de Louisa Hanoune et le RCD de Saadi, le FFS ayant boycotté cette élection.

Usés, divisés et coupés de la population, tels apparaissent les partis d’opposition démocratique en Algérie. Le FFS et le RCD, principaux animateurs de la vie politique algérienne, apparaissent comme les représentants d’une « élite » diplômée, occidentalisée, laïque, attachée aux droits de l’homme et à la démocratie ; dans un pays où les identités régionales, et les pratiques clientélistes locales sont très marquées, ils sont aussi perçus comme les partis des kabyles. A cela s’ajoute la rivalité historique entre les deux partis dont les références idéologique et la base électorale sont pourtant largement communes. Le rapprochement entre FFS et RCD semble inenvisageable à court terme. La moindre initiative de l’un des deux frères ennemis suscite méfiance et circonspection au sein de la classe politique et de l’opinion, car elle est assimilée à une manœuvre pour piéger le rival. Pour schématiser, le RCD accuse le FFS de faire le jeu des islamistes et le FFS accuse le RCD de faire le jeu de l’armée. Les effets désastreux de cette rivalité se font sentir dans le contexte actuel de revendication démocratique dans le Maghreb qui, pourtant, a redonné une visibilité aux deux partis. Le 21 janvier dernier le RCD a rejoint le mouvement lancé par la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) et des organisations de la société civile, notamment des syndicats autonomes, qui a conduit à la création de la CNCD (Coordination nationale pour le changement et la démocratie, cf. Echo 1er trimestre 2011). Le FFS ne s’est pas joint à ce mouvement. Officiellement le FFS désapprouvait ce qu’il pressentait être une stratégie de recherche d’affrontement avec les forces de l’ordre, une stratégie de guerre civile (on se souvient que depuis, une scission s’est produite au sein de la CNCD, le RCD restant seul partisan des marches du samedi !). Seul point de convergence actuel : le refus de participer aux consultations gouvernementales en vue des réformes annoncées dans le discours présidentiel du 15 avril, les deux partis utilisant les termes de « bricolage politique » à propos de ces réformes. Mais, de son côté, le PT ne s’est pas associé à la CNCD pour « ne pas marcher au côté d’un parti de droite (le RCD) qui a cautionné les réformes des pouvoirs publics, lorsqu’il était au gouvernement » et récemment son leader, Louisa Hanoune, n’excluait pas un accord avec le gouvernement sur les réformes à venir !

Ainsi va l’opposition en Algérie. Pour Selma Belaala, chercheuse à l’université de Warwick (Royaume-Uni) »L’Algérie manque cruellement d’une opposition (…). La population est sans représentant, sans organisation politique capable de reprendre à son compte un message protestataire. » Les uns agissent sans exister pendant que les autres existent sans agir.

Un régime sous tutelle de l’armée 30 avril 2011

République algérienne démocratique et populaire, telle est l’appellation officielle de l’Algérie. Son actuel Président, Abdelaziz Bouteflika, âgé de 74 ans, est à la tête de l’état depuis 12 ans et 2 mois. Il exerce son troisième mandat présidentiel successif. Jusqu’en novembre 2008, l’article 74 de la Constitution algérienne de 1996, limitait à 2 le nombre de mandats présidentiels successifs. Le 12 novembre 2008, soit quelques mois avant les présidentielles, le parlement algérien réuni en congrès votait par 500 voix contre 21 une révision de la constitution. Un des amendements adoptés abrogeait l’article 74 ; fin de la limitation des mandats présidentiels. Logiquement, Abdelaziz Bouteflika fut candidat aux élections du 9 avril 2009. Ce jour-là, il a été élu avec 90,24 % des suffrages et un taux de participation de 75 %. Aucun observateur n’a cru à la réalité de ces chiffres (surtout celui de la participation), ce qui n’a pas empêché les félicitations de Nicolas Sarkosy (et de l’Union Européenne) au nouveau/ancien Président. Les opposants au régime quant à eux ont dénoncé un scrutin truqué (25% de participation selon les estimations) et des scores a la soviétique ou à la tunisienne.

Commencer par ces faits, permet une première caractérisation du régime algérien : un régime présidentiel, quasi monarchique, dominé par un chef d’état illégitime mais tout-puissant, soutenu par des assemblées et des institutions soumises -ici le Conseil constitutionnel. D’où le président algérien tient–il un tel pouvoir ?

Toute analyse sur le régime algérien en vient nécessairement à évoquer le pouvoir de l’argent dans ce pays. Cet argent, fruit de l’exportation du pétrole et des hydrocarbures, entre par centaines de milliards tous les ans dans les caisses de l’état via la Société nationale Sonatrach. Cette manne alimente une corruption qui gangrène tous les rouages de l’état du haut en bas de l’appareil. En 2010, l’indice de perception de la corruption, publié chaque année par Transparency International, classait l’Algérie au 105ème rang sur les 178 pays évalués (à titre de comparaison, la Tunisie et le Maroc ont été classés respectivement en 59e et 85e position). Dans tous les domaines administrés par l’Etat et dans l’immense réseau économique dépendant de l’Etat, l’objectif principal des responsables politiques, militaires, administratifs, judiciaires etc. est de préserver le système qui est à l’origine de leurs privilèges et la principale source de leur fortune. Dés lors, la vie politique algérienne est le théâtre des luttes sans merci que se livrent le Président, l’armée, le parti et la sécurité militaro-policière pour conserver et développer leurs avantages. Dans ce scénario complexe, l’armée occupe, depuis longtemps, le premier rôle.

Le pouvoir de l’Armée

Depuis 1962 tous les présidents algériens (5 au total) sont issus de l’armée (Colonel Boumediene, Colonel Bendjedid, Général Zeroual) ou mis au pouvoir par elle (Ben Bella, Bouteflika). Selon un dicton bien connu « Tous les pays ont une armée, sauf l’Algérie où c’est l’armée qui a un pays ».

La lutte pour l’indépendance algérienne dans les années 50 a été conduite par une force militaire organisée, l’Armée de Libération Nationale (ALN). Les luttes fratricides et sanglantes qu’a connues le mouvement de libération avant et après l’indépendance (juillet 1962) avaient entre autres pour enjeu la place de l’armée dans le futur pouvoir algérien. Face aux différentes forces politiques et idéologiques en conflit, c’est l’armée qui a gagné. Elle institue un régime fort, une République démocratique et populaire sur le modèle des républiques satellites de l’URSS. Depuis 1965, année de l’accession à la présidence, par un coup d’état militaire, de Houari Boumediene, l’Armée nationale Populaire ( ANP) a joué un rôle capital dans tous les grands événements qu’a connu la politique de l’Algérie, un rôle de force de sécurité intérieure. Ce fut notamment le cas lors des journées d’émeutes populaires du début d’octobre 1988, qui ressemblaient beaucoup à celles que l’Algérie vient de connaître en janvier 2011. Face à ces révoltes, l’état de siège est décrété et toutes les autorités civiles, administratives et de sécurité sont placées sous commandement militaire. Les émeutes sont férocement réprimées à l’arme lourde par les soldats ; on dénombrera plus de 400 morts. Sous l’impulsion du président Chadli, cet épisode excessivement violent et qui voit la montée inexorable du courant islamiste, est suivi, via une révision de la constitution en 1989, de la légalisation du multipartisme. Comme on le sait, cette ouverture démocratique devait profiter au Front islamique du salut (FIS) qui arrive en tête du premier tour des élections législatives de décembre 1991. C’est l’ANP qui provoque l’interruption du processus électoral puis, en 1992, la dissolution du FIS et la démission de Chadli. Pendant 2 ans l’Algérie n’aura pas de Président de la République, la direction du pays étant confié, à l’initiative de l’armée, à un Haut Comité d’Etat. Le HCE est composé de 7 personnes dont 4 sont des militaires et 3 des cadres du FLN. Le HCE désigne son président qui a les attributions publiques d’un chef d’état sans en avoir la liberté d’action politique. Le premier président du HCE, Mohamed Boudiaf, qui avait dénoncé « la mafia politico-financière », meurt assassiné 6 mois après sa désignation. La décennie 90 est la période la plus dramatique de la courte histoire de l’Algérie indépendante ; la guerre civile qui oppose le Groupe islamique armé (GIA) et l’Armée islamique du salut (AIS, branche armée du FIS) aux forces de sécurité algériennes provoquera 200 000 morts et des milliers de disparus. De 1994 à 1999, c’est le Général Zéroual qui préside le pays. L’ANP est au premier rang de la lutte contre les islamistes ; mais on la soupçonne aussi d’avoir manipulé le GIA et organisé elle-même des attentats sanglants dans le triple but de retourner l’opinion publique contre les islamistes, justifier la restauration d’un état autoritaire et limiter de nouveau les libertés publiques.

En 1994, en pleine guerre civile à l’issue incertaine, les militaires proposent à Abdelaziz Bouteflika, figure historique de la guerre d’indépendance mais exilé hors d’Algérie entre 1981 et 1987 de revenir aux affaires. Ils lui offrent la présidence, il refuse. L’offre est renouvelée en 1999. Cette fois il accepte et est élu. Mais la période est délicate et les relations se compliquent entre l’ANP et le Président. Ce dernier, estimant qu’il ne pourra se passer politiquement de la force du courant populaire islamiste, instaure contre la volonté d’une grande partie des militaires qui s’y opposeront par tous les moyens, une politique dite de concorde nationale. Bouteflika est confortablement réélu en 2004, en apparence sans l’appui de l’ANP, mais en fait sur la base d’un pacte de non-agression avec elle : il s’engage en particulier à ne pas déposséder les généraux de leurs abondantes ressources pécuniaires puisées à la source de la rente pétrolière. Déjà chef suprême de toutes les forces armées et ministre de la Défense nationale en vertu de ses pouvoirs constitutionnels, Bouteflika est élevé au grade de général de corps d’armée (le plus haut grade de l’ANP), en juillet 2006.

Aujourd’hui, il est difficile de savoir comment s’établit exactement le rapport de force entre Bouteflika et l’ANP. Certains pensent que le processus de rajeunissement et de professionnalisation des forces armées entamé à partir des années 2000 a conduit à leur retrait effectif du champ politique. Ce processus s’est accompagné d’un découplage entre l’état-major de l’ANP et les services de renseignement (le DRS sur lequel il faudra revenir dans un prochain Eclairage). Un découplage que le Président de la République a entretenu pour éviter la constitution d’un pôle de pouvoir trop puissant au sein du ministère de la Défense Nationale. Bouteflika ne manque pas d’affirmer la subordination de l’armée au pouvoir civil, c’est à dire lui-même. D’autres pensent que c’est toujours l’armée qui gouverne en Algérie et que l’après Bouteflika est d’ores et déjà dans les cartons des généraux. Cette hypothèse est la plus réaliste, mais on voit qu’elle peut se réaliser sous deux formes différentes. L’une de ces formes est la perpétuation du « Système » par la mise en place d’un homme de confiance qui conduirait le changement sans changer la réalité du pouvoir (les militaires seraient en particulier intéressés par les dividendes juteux qu’il y aurait à retirer d’une privatisation de l’économie bien contrôlée). L’autre forme que pourrait prendre l’intervention de l’ANP dans le processus politique est envisagé par certains démocrates algériens qui en substance tiennent le discours suivant : puisque depuis 1962, l’armée pratique le coup d’état permanent en Algérie, qu’elle poursuive dans cette tradition en destituant le Président Bouteflika et ….en rendant le pays au peuple.

1- Le 22 décembre 1981, Bouteflika est poursuivi pour « gestion occulte de devises au niveau du ministère des Affaires étrangères » (entre 1965 et 1978) par la Cour des comptes. Dans son arrêt définitif du 8 août 1983, la Cour des comptes donnait son verdict : « M. Abdelaziz Bouteflika a pratiqué à des fins frauduleuses une opération non conforme aux dispositions légales et réglementaires, commettant de ce fait des infractions prévues et punies par l’ordonnance n° 66-10 du 21 juin 1966 et les articles 424 et 425 du Code pénal. » (El Moudjahid du 9 août 1983.). Entre 1981 et 1989, Abdelaziz Bouteflika vécut entre Paris, Genève et Abu Dhabi, après une tentative d’exil ratée à Damas.

Chacun joue sa partition 30 avril 2011

Le mouvement social : manifestations et émeutes

Les émeutes locales contre des conditions de vie intenables (et pour l’emploi, le logement, les réseaux d’adduction en eau potable et d’évacuation des eaux usées, l’amélioration de l’état des routes, la revendication de centres de santé, d’école à proximité, de transport scolaire…) continuent à un rythme quotidien et dans tout le pays. Elles prennent très souvent la forme de barrage de routes comme, pour ne prendre qu’un exemple, le 11 avril dans la région de Tizi Ouzou. Ce jour-là, près de Fréha plus d’une centaine de familles ont protesté contre les lenteurs administratives des aides à l’autoconstruction en milieu rural. Les forces de l’ordre sont intervenues pour disperser les manifestants parmi lesquels, au terme d’une journée d’affrontement on comptait une vingtaine de blessés et une dizaine d’arrestations. Le même jour, non loin de là, les habitants du village de Chaoufa ont bloqué une route pendant plusieurs heures ; ils réclamaient des autorités la mise en service du réseau d’alimentation en gaz de ville. Quant aux habitants du village voisin de Yakouren, ils fermaient un autre axe routier afin de presser les autorités d’accélérer les travaux d’amélioration urbaine qui s’éternisent sans justification. Ils avaient déjà fermé la route en question 15 jours avant et pour les mêmes raisons.

Les mobilisations catégorielles ne faiblissent pas non plus pendant ce mois d’avril. Ces manifestations prennent souvent la forme de sit-in devant les ministères concernés. Quand il ne s’agit pas de catégories professionnelles en quête de revalorisation de leur situation (gardes communaux, médecins en spécialisation dans les hôpitaux, appelés “médecins résidents”, personnels de l’administration publique, etc), il peut s’agir de groupes d’intérêts particuliers comme les 800 personnes qui ont fait le 14 avril un sit-in devant le Ministère de l’Habitat pour demander pourquoi, souscripteurs dans le cadre d’un programme de logement, ils ne savent toujours pas, au bout de 10 ans, quand ils pourront entrer dans l’appartement qu’on leur a promis.

Au nombre de ces mouvements catégoriels, le mouvement étudiant s’est manifesté en ce mois d’avril de façon spectaculaire, dans un contexte de grèves nombreuses et prolongées dans les universités d’Algérie, parfois durement réprimées comme à Boumerdès et à Oran les 6 et 7 avril. La coordination nationale autonome des étudiants (CNAE) avait décidé, lors d’un rassemblement le samedi 26 mars, à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, d’organiser une marche le mardi 12 avril à Alger. Cette manifestation, interdite malgré la levée de l’Etat d’urgence depuis le 24 février a rassemblé environ 15000 étudiants venus de tout le pays. Aucune manifestation politique depuis janvier 2011 n’a rassemblé un nombre aussi important de protestataires. En outre, cette foule a pu, et c’est aussi une première, forcer l’imposant dispositif policier et atteindre le siège de la Présidence sur les hauteurs d’Alger. Aux revendications de nature pédagogique (la valorisation des diplômes universitaires et leur reconnaissance par la fonction publique, l’assurance d’emploi décents pour les étudiants diplômés, la possibilité pour les titulaires de diplôme de licence d’accéder aux postes de l’enseignement secondaire, l’augmentation de la bourse d’études, etc.) se sont ajouté des slogans politiques nettement hostiles au pouvoir (pouvoir assassin, gouvernement terroriste, Harouabia – ministre de l’enseignement supérieur – dégage ! Halte à la répression des étudiants, etc.). La manifestation s’est terminée sous les coups des policiers chargeant les étudiants à coup de matraques et de boucliers. Des dizaines d’étudiants souffrant de fractures ont été admis dans les hôpitaux d’Alger.

Une grève générale des journalistes des médias publics est annoncée pour le 2 mai.

Quant aux manifestations proprement politiques initiées le 12 février à Alger par la CNCD (Coordination nationale pour le changement et la démocratie), on se rappelle qu’elles ont lieu tous les samedi matin à Alger. On se rappelle aussi que ce principe de manifestations hebdomadaires a été un des motifs de divergences au sein de la CNCD qui a abouti à un CNCD « partis politiques ». Les marches des 2, 9 et 16 avril se sont déroulées selon un rituel désormais immuable : ces marches étant interdites, un important service d’ordre neutralise rapidement les manifestants, peu nombreux, et interdisent les lieux aux journalistes. Le 20 avril a pour une partie de la population algérienne une signification particulière : chaque année à cette date, les algériens se réclamant de l’identité berbère ou amazigh (particulièrement représentée en Kabylie mais aussi ….) célèbrent par des marches dans toute l’Algérie le « printemps berbère » de 1980. L’interdiction, le 10 mars 1980 à Tizi Ouzou d’une conférence de l’écrivain Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle provoquera jusqu’au 23 avril une réaction identitaire de masse (manifestations, grève générale, occupations) très durement réprimée sur fond d’intolérance de l’état algérien (Chadli Bendjedid est Président) à l’égard du régionalisme linguistique (30% de la population algérienne est berbérophone) et plus largement culturel de l’entité berbère. Ce 20 avril 2011…

Vendredi 15 avril : discours du président Abdelaziz Bouteflika

Première intervention nationale et télévisée du président depuis le début des « événements » en Algérie et dans le « monde arabe ». C’est d’abord l’image qui frappe http://www.youtube.com/watch?v=Tsgq-chiivk, celle d’un homme affaibli ne détachant pas son regard des feuilles qu’il lit de façon monotone pendant 20 minutes. Le contenu du discours (qui commence par « Au nom de Dieu le Clément le Miséricordieux, Que le salut de Dieu soit sur le plus noble des messagers, ses proches et ses compagnons jusqu’au jour du jugement dernier ») est accessible en français à l’adresse http://www.consulatalgerielille.org/pr_discours.htm. Après l’exposé des réformes sociales et économiques qui à ses yeux ont d’ores et déjà répondu à l’essentiel des revendications populaires, le président algérien expose les grandes lignes d’un « programme de réformes politiques, visant à approfondir le processus démocratique et à permettre aux citoyens de contribuer davantage aux décisions dont dépendent leur avenir et celui de leurs enfants ». Ce programme tient en une série impressionnante d’annonces, mais sans indication de calendrier.

- Annonce d’une révision de la constitution pour « renforcer la démocratie » ; « Ceci passera par la création d’une commission constitutionnelle, à laquelle participeront les courants politiques agissants et des experts en droit constitutionnel ».

- Annonce d’une révision de la loi électorale pour « permettre aux algériens d’exercer leurs droits dans les meilleures conditions, empreintes de démocratie et de transparence »

- Annonce d’une révision de la loi sur les partis « à travers la révision de leur rôle, de leur mission et de leur organisation, afin qu’ils contribuent plus efficacement au processus de renouveau »

- Annonce d’une « révision prévue de la loi régissant l’activité des associations » ; « Le respect des droits de l’homme doit devenir une préoccupation permanente des différentes ligues et associations nationales chargées de cette question « 

- Annonce d’une révision du code communal qui actuellement accorde un rôle tout puissant au préfet (wali)

- Annonce d’une révision de la loi sur l’information « notamment à travers la dépénalisation du délit de presse ».

Ces annonces, ajoutées à d’autres aveux (« Des fléaux sociaux tels la corruption, le népotisme et le gaspillage sévissent et l’Etat s’emploie à les combattre avec vigueur et détermination ») constituent, en creux, un état des lieux accablant de la « démocratie » algérienne. Pour finir on trouve encore dans ce discours, une mise en garde contre le retour de la violence, une mise en garde contre les ingérences étrangères et le rappel que les prochaines élections législatives auront lieu dans un an.

Comme on peut l’imaginer, les réactions politiques à ce discours ont été nombreuses et celles de l’opposition particulièrement critiques. En bref, aucun parti d’opposition ne croit que Bouteflika va défaire l’arsenal législatif de fermeture politique et le dispositif d’enfermement des libertés qu’il a lui-même mis en place depuis avril 1999. Le président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), Mustapha Bouchachi : « Le problème en Algérie n’est pas dans les textes, mais dans les attitudes et comportements des institutions, lesquelles agissent en dehors de la loi. Quelle que soit la nature des législations, elles ne conduisent pas forcément à des réformes politiques » « Est-ce qu’on peut faire confiance à un Parlement illégitime et un gouvernement qui ne respecte pas les lois de la république ? »

L’opinion très répandue est que Abdelaziz Bouteflika ne pourra aller au bout de son mandat qui expire en 2014. La thèse d’une présidentielle anticipée, en 2012, se pose avec insistance et sa concrétisation ne tient plus qu’un seul détail : Le nom du successeur de Bouteflika. Car le résultat des élections présidentielles (le nom de l’élu et son score) est toujours connu avant le dépouillement en Algérie…

Vendredi 15 avril : reprise du terrorisme islamiste.

Lors de son adresse à la nation, le président Bouteflika s’est félicité de sa politique de la main tendue aux islamistes armés. Le président algérien a indiqué une nouvelle fois que sa politique de réconciliation nationale a ramené la paix et la sécurité en Algérie. Or le jour-même de cette déclaration, l’une des plus sanglantes embuscades tendues aux services de sécurité par un groupe armé depuis les trois dernières années se déroulait à quelques kilomètres de la ville d’Azazga, à l’est de Tizi Ouzou. Les cibles étaient des militaires de l’Anp stationnés dans cette région, précisément pour en éradiquer les maquis islamistes. Après avoir placé des engins explosifs et bloqué les routes avoisinantes avec des arbres pour empêcher l’arrivée de renforts militaires, au moins 50 terroristes ont attaqué un poste de l’Anp (Armée nationale populaire) avec des mitrailleuses, des bombes et des grenades. Les affrontements se sont poursuivis pendant plus de deux heures. Quatorze soldats ont trouvé la mort lors de cette attaque. Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a revendiqué l’attaque contre les « maléfiques apostats » dans un communiqué rendu publique le 20 avril. D’autres attentats ont fait 5 victimes entre le 15 et le 17 avril.

Les violences impliquant des islamistes armés ont considérablement baissé d’intensité ces dernières années, elles reprennent ces jours-ci, près de deux mois après la levée de l’état d’urgence et sont tournées vers le bras armé de l’état lui-même soumis à de fortes contestations populaires. Il est clair que les islamistes d’Aqmi ou de sa branche algérienne le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc) saisissent l’occasion des événements qui secouent le Maghreb pour rappeler qu’ils sont toujours actifs et qu’en Algérie il faudra compter avec eux sur le plan politique. Il est clair aussi que d’ores et déjà le gouvernement algérien tire argument de ces attentats pour justifier la poursuite de sa politique sécuritaire et la mise en veilleuse des projets de démocratisation ; faisant d’une pierre deux coups, le gouvernement algérien, notoirement pro-Kadhafi, critique les insurgés libyens en les accusant d’armer massivement les maquisards du Gspc (ingérence étrangère).

Entre le 18 et le 23 avril, l’assassinat de Ahmed Kerroumi

Ahmed Kerroumi, âgé de 53 ans, enseignant à l’Université d’Oran et chercheur au CRASC (Centre de Recherches en Anthropologie Culturelle) a disparu dans la journée du 18 avril. Militant du Mouvement démocratique et social (MDS) et de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie section d’Oran (CNCD), Ahmed Kerroumi était très engagé dans la défense des droits de l’home en Algérie. Le 23 avril, son corps a été retrouvé dans le local du MDS. Son enterrement a eu lieu le 26 avril. A ce jour, les autorités algériennes tant politiques que judiciaires n’ont toujours pas réagi, ni pour condamner, ni pour informer l’opinion sur les causes présumées de l’assassinat ou sur l’avancement des investigations. Des indiscrétions, de source médicale (CHU d’Oran), font état de blessures à la tête ayant entrainé la mort. Les journaux proches du régime se sont empressés de distiller des hypothèses sur un vol de voiture qui aurait mal tourné ou même sur une affaire de mœurs. Les démocrates algériens et la LADDH n’ont aucun doute sur l’origine politique de l’exécution d’Ahmed Kerroumi. C’est aussi la conviction de Frank La Rue, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression qui avait rencontré Ahmed Kerroumi le 15 avril, lors d’une réunion à Oran sur la situation des droits humains dans le pays. Dans un communiqué du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies diffusé hier sur le site de cette instance, le rapporteur onusien appelle le Gouvernement algérien à mener « l’enquête la plus détaillée et indépendante qui soit sur ce meurtre tragique afin de traduire ses auteurs en justice ». Une telle action, dit-il « doit être couplée à une indispensable condamnation publique de la part du Gouvernement pour garantir que cet acte odieux n’aura pas d’effet dissuasif sur la liberté d’expression dans tout le pays ». L’opposition s’attend, elle, à la publication prochaine d’une « version téléguidée » par le pouvoir, pouvoir soupçonné d’être le commanditaire de cette exécution. Ce samedi 30 avril, les marches hebdomadaires organisées par la CNCD devaient rendre hommage à Ahmed Kerroumi. A Oran, environ deux cent personnes se sont rassemblées en silence autour des portraits de Kerroumi, mais la police a empêché la marche qui avait pourtant fait l’objet d’une demande légale.

Pièces jointes