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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

Archives de l'auteur : LDH Aix

«On a un pacte avec le président Bouteflika» (F. Hollande) 2 janvier 2013

« Cette année 2012 n’a pas été seulement celle des scandales de corruption. Elle a été aussi celles des plus grands ratages politiques annonciateurs de nouvelles difficultés pour le pays, (…) Le scrutin législatif du 10 mai a été boudé par les électeurs, entaché de fraude et a permis au FLN de rempiler de nouveau. Inédit et plus grave, l’argent sale a servi à acheter des sièges à l’Assemblée où siègent désormais des illettrés. Et les élections locales ont obéi aux mêmes standards. Le gouvernement avait avoué que l’Algérie n’avait pas un fichier électoral exploitable, mais Paris et Washington ont salué la “réussite” de ces deux consultations. Dans le fond, ces félicitations américaines et françaises sont un affront à l’Algérie » Extrait de 2012, quel bilan ? Éditorial du Matin DZ du 31 décembre 2012.

La question du logement en Algérie concentre une bonne partie des problèmes de la société : manque d’emplois, manque de revenus, loyers inaccessibles, sur-occupation des appartements, confinement de la jeunesse, stagnation des jeunes adultes chez leurs parents, difficulté des études, vétusté et insalubrité des immeubles, accroissement des bidonvilles, insécurité, rivalités entre les plus démunis, tensions sociales, impact environnemental…

Émeutes du logement

Le mois de novembre a commencé par de violents affrontements à Seybouse, près d’Annaba, entre les forces de l’ordre et les habitants d’un immense bidonville de plus de 200 constructions illicites. Le 3 novembre les bulldozers sont entrés dans le bidonville sous haute surveillance policière. Les autorités locales n’ayant prévu aucune solution pour le relogement des habitants, la colère et le désespoir se sont transformés en violences. Une trentaine de personnes ont été interpelées. Les émeutes du logement, quotidiennes à travers tout le pays, sont généralement consécutives à la publication des listes de bénéficiaires de logements sociaux. Le 25 novembre à Draâ Ben Khedda (wilaya de Tizi Ouzou) des centaines de personnes ont manifesté pour protester contre la corruption qui conduit souvent à écarter des listes des bénéficiaires en attente parfois depuis plus de 10 ans, au bénéfice de demandeurs connus pour n’être pas dans le besoin (et qui sous-loueront les logements sociaux). Le 3 décembre, ce sont les habitants d’un bidonville de Tizi Ouzou (cité Mokadem, 165 familles) qui sont venus faire le siège de la sous-préfecture (barricades, pneus enflammés, jets de pierres) pour protester contre l’affectation à des familles d’une autre cité des logements qu’on leur avait promis pour dans deux ans. Ils ont été dispersés sans ménagement par les forces anti-émeutes. Le 9 décembre siège et fermeture (une forme d’action qui se développe actuellement) de plusieurs mairies et sous-préfectures dans le nord-est du pays, consécutives, encore une fois, à la publication de listes de bénéficiaires d’aide à l’habitat rural jugées insuffisantes et partiales par ceux qui s’appellent eux-mêmes les “candidats recalés”. Les heurts les plus violents ont eu lieu à Beïnem entrainant neuf blessés. Au centre ville de Constantine, 600 familles d’une cité délabrée (construite en 1958) attendent leur relogement depuis 1996. Le 16 décembre des centaines de jeunes de cette cité, armés de gourdins et de cocktails Molotov, ont barré les rues, incendié des pneus et se sont heurtés aux forces de sécurité toute la journée. Enfin, entre le 20 et le 26 décembre, dans la région d’Annaba on a dénombré une dizaine d’émeutes dans différentes communes, toutes provoquées par la colère de la population après la publication de listes de bénéficiaires de logements sociaux.

Des rivalités du mal-vivre. De même que les “recalés” développent de l’animosité à l’égard de ceux dont les noms figurent sur les listes de promis au relogement, les rivalités entre cités, entre bidonvilles, entre quartiers, entre villages se multiplient. C’est ainsi que la guerre est déclarée entre les étudiants logés dans des logements sociaux promis aux habitants de Bgayet (Kabylie) et ces mêmes habitants qui dénoncent par ailleurs les comportements indécents et attentatoires aux mœurs des étudiants. Les affrontements sont quotidiens. Autre exemple, le 19 novembre les protestations (routes barrées etc.) des habitants d’un village de la wilaya de Tlemcen (Zelboun) ont provoqué une réaction hostile du village d’à côté (Beni Mester), les jeunes des deux villages se sont affrontés durement. Les mêmes types d’affrontement ont régulièrement lieu entre habitants de cités délabrées et bidonvilles les uns reprochant aux autres d’être favorisés par les pouvoirs publics en matière de relogement.

Les élections locales et sénatoriales

Le 29 novembre se sont déroulées les élections aux assemblées municipales (communes) et départementales (wilaya). Taux de participation officiel : 44%. Aux élections municipales, sur les 44 partis présentant des candidats, le FLN avec 26% des voix et le RND avec 22% des voix ont obtenus la majorité des sièges, les 42 autres partis se répartissant le reste des sièges avec des scores inférieurs à 6% des suffrages. Aucune majorité ne se dégage dans 1150 communes sur les 1541 que compte le pays. Il faudra donc dans la plupart des cas que des majorités de coalition se forment pour donner un maire à la commune. La désignation des maires au sein de chaque assemblée devait être close le 14 décembre. A la fin de ce mois aucun résultat national définitif n’est encore disponible mais il semblerait que le FLN n’obtienne pas le nombre de communes qu’il espérait.

Ces élections aussi ont donné lieu à un grand nombre de fraudes avérées (voir une vidéo sur You Tube Fraude électorale à Bir Dheb Tébessa Algérie 29.11.2012 : http://youtu.be/H5s7cTnNmc0) et à des centaines d’affrontements, prises d’assaut de bureaux de votes, destructions d’urnes : un des motifs parmi beaucoup d’autres étant la dénonciation du vote des militaires que l’on a fait voter dans les régions où il sont casernés (des régions “à problèmes”, comme la Kabylie) et pas chez eux, en violation de la loi électorale. Ces affrontements ont fait des centaines de blessés.

Le 29 décembre ont eu lieu les élections au Conseil de la Nation (Sénat). 48 sièges (un par wilaya) étaient à pourvoir, les électeurs étant les membres des assemblées populaires de wilaya (assemblées départementales) élus le 29 novembre. Le FLN, malgré ses 8 000 élus locaux, n’a obtenu que 17 sièges à ces élections. Au sein du parti, certains ont dénoncé une « trahison interne » mais on parle beaucoup dans la presse de tractations mettant en jeu des sommes d’argent considérables (voir l’article de Libération du 19 décembre http://www.liberation.fr/monde/2012/12/19/en-algerie-meme-les-mairies-s-achetent_868970). Avec 24 sièges, le RND, parti du premier ministre dans le gouvernement d’avant les législatives est donc le parti majoritaire au Sénat.

Ces deux élections consacrent la position majoritaire de l’alliance présidentielle dans le paysage politique algérien, mais elles ont donné lieu avant, pendant et après les scrutins à des luttes internes aussi bien au sein du FLN qu’au sein du RND qui ouvrent les grandes manœuvres en vue de l’élection présidentielle de 2014.

Droits de l’Homme

Voir l’éclairage n° 14 mis en ligne en même temps que cette rubrique : plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme, dont la LDH et la FIDH, ont attiré l’attention du président François Hollande, sur la situation des droits en Algérie à l’occasion de sa visite officielle du 19 au 20 décembre.

Par ailleurs, Le rapport annuel 2012 sur la situation des droits de l’homme en Algérie qui sera « bientôt » soumis par la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH, ou commission Ksentini) au président Bouteflika, indique que le système judiciaire demeure un « point noir » qui entrave la réalisation de l’État de droit. Rappelons que cette commission a été créée par Bouteflika.

Terrorisme

Début décembre, un rapport publié par l’institut américain Institute for Economics and Peace (IEP, basé à New York) affirme que l’Algérie, les États-Unis et la Colombie sont les pays qui ont réalisé « la meilleure progression » au cours des dix dernières années en termes de baisse de l’impact du terrorisme. Ainsi en 2011 l’impact des actes terroristes en Algérie s’est traduit par 25 décès, alors qu’il était de 200 en 2002. On ne connaît pas les chiffres de 2012 mais rien que dans la dernière semaine, dans la région de Boumerdés, un terroriste a été abattu par les forces de sécurité dans la nuit du vendredi 28 décembre et un membre de l’ex-GSPC a été éliminé et un militaire tué dans la soirée de samedi 29. Victimes collatérales de la lutte anti-terrorisme, dans la soirée de vendredi à samedi, cinq jeunes kabyles de Vgayet se trouvant à bord d’un véhicule ont été pris pour cible par un groupe de militaires qui disent les avoir confondus avec des terroristes. Deux jeunes ont été tués par les éléments de l’armée algérienne et deux autres ont été blessés.

Hollande en Algérie

Les 19 et 20 décembre, F. Hollande a effectué un voyage d’État en Algérie. Une visite minutieusement préparée et dont l’objectif principal était de “déminer” le terrain du contentieux historique franco-algérien et de passer aux choses sérieuses : l’alliance diplomatique, la coopération économique, le partenariat commercial.

Il fallait tourner la page du traité d’amitié signé par Chirac et Bouteflika en 2003 mais jamais ratifié, de l’attitude de Sarkozy (considérée comme raciste par l’opinion algérienne) vis-à-vis de l’immigration, du vote de l’Assemblée nationale française en 2005 sur les « aspects positifs de la colonisation » etc. Le signal avait été donné le 17 octobre dernier par F. Hollande reconnaissant la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris et saluant la mémoire des dizaines de manifestants algériens (peut-être 200) tués par la police française sous l’autorité du sinistre préfet Maurice Papon.

A Alger, après l’hommage rendu au mathématicien communiste Maurice Audin (arrêté, torturé et sans doute tué par l’armée française), le moment fort du “déminage” a été la première partie du discours de F. Hollande devant les deux chambres réunies du parlement algérien. Avec clarté (« Pendant 132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal […] Ce système a un nom : c’est la colonisation et je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien » ), avec précision (« les massacres de Sétif, de Guelma, de Kherrata » ), sans dérobade (« la France manquait à ses valeurs universelles »), ce discours qui donnait la position de la France appelait (habilement diront certains) une attitude symétrique de l’Algérie : s’en remettre aux historiens pour établir la vérité sur le passé et sur la guerre (« La paix des mémoires à laquelle j’aspire repose sur la connaissance et la divulgation de l’histoire » , « La vérité, elle doit être dite aussi sur les circonstances dans lesquelles l’Algérie s’est délivrée du système colonial », « l’histoire, même quand elle est tragique, même quand elle est douloureuse pour nos deux pays, elle doit être dite », « une lecture objective de l’histoire loin des guerres de mémoires et des enjeux conjoncturels », « il est nécessaire que les historiens aient accès aux archives »).

Mais F. Hollande ne se rendait pas en Algérie uniquement pour solder les comptes de la période coloniale. La deuxième partie du discours devait dessiner les orientations pour le futur des relations franco-algériennes : « un nouvel âge », « une nouvelle page », « des temps nouveaux », des formules déjà beaucoup entendues ces cinquante dernières années. Ces orientations ont été formalisées dans un document signé par les deux parties : la Déclaration d’Alger sur l’amitié et la coopération entre la France et l’Algérie. Un partenariat stratégique y est exposé et décliné dans quatre directions : Dialogue politique, Dimension humaine (mobilité des ressortissants des deux pays), Culture et éducation, Coopération économique. Ce document cadre de partenariat sur la période 2013-2017, s’est concrétisé par l’adoption commune d’instruments d’approbation de l’accord de défense, d’un mémorandum de coopération financière, d’une convention de partenariat dans les domaines de l’agriculture, du développement rural et de l’agroalimentaire, d’une déclaration conjointe pour un partenariat industriel et productif…Une intense activité de coopération et de business dont l’avenir dira si elle profite, et comment, aux deux pays. Et surtout si elle profite au peuple algérien.

D’autres questions, à peine évoquées dans le discours du président français justifiaient aussi cette rencontre car elles étaient objet de contentieux entre les deux états : en particulier la question Syrienne et la crise du Mali. S’agissant du conflit du Mali et plus largement de la crise du Sahel, l’Algérie ne voulant pas rompre ses relations avec certains des belligérants du Nord-Mali est favorables à une solution négociée alors que la France défend l’option d’une solution militaire encadrée par l’ONU. Officiellement les positions des deux pays se seraient rapprochées et le Conseil de Sécurité a pris dans les dernières heures du déplacement de Hollande en Algérie une résolution sur le déploiement d’une force internationale au Mali.

Pour finir, on aura noté que F. Hollande n’a pas fait la moindre allusion dans son discours à la question de la démocratie et des droits de l’homme en Algérie pas plus qu’aux souffrances du peuple algérien. En revanche il a vanté à plusieurs reprises dans les interviews la stabilité du régime algérien. Les observateurs ont noté également que le Président Bouteflika s’est très peu exprimé pendant la visite et à ce jour n’a rendu publique aucune appréciation de l’état algérien sur la venue du président français et ses conséquences pour l’avenir. Un indice cependant. A Tlemcen, dans des échanges impromptus avec les journalistes, la question a été posée aux deux présidents :

Quel est votre bilan de cette visite ?

Hollande : On a un pacte avec le président Bouteflika.

Lequel ?

Bouteflika : Il fait des compliments sur moi et j’en fais sur lui (rires).

Dans la presse algérienne certains n’écartent plus l’hypothèse, encore invraisemblable il y a quelques mois, d’une candidature de Bouteflika à un quatrième mandat aux présidentielles de 2014. Quoiqu’il en soit, le président algérien a été officiellement invité à se rendre en France en 2013.

Enfin à RUSF on a retenu cette phrase du président français « Je pense aussi aux universitaires, à ces 25.000 Algériens qui étudient en France mais aussi à tous ceux qui s’intéressent en France à l’Algérie et qui veulent, là encore, nouer des relations à un niveau d’excellence. Mais, j’insiste, je souhaite que l’on accueille mieux et davantage les étudiants algériens ». On verra…

OUI, LA LIGUE DES DROITS DE L’HOMME FAIT DE LA POLITIQUE ! 22 décembre 2012

Au cours de la réunion du conseil municipal du 17 décembre, M Gérard Bramoullé, adjoint aux finances, a tenté de justifier la diminution de la subvention accordée à notre section avec des arguments contestables. Voici la lettre que Philippe Sénégas, président de la section, vient d’adresser à la maire d’Aix, Mme Joissains, et en pièce jointe l’écho qu’en a donné La Provence.

Madame le maire,

M’ont été rapportés par des conseillers municipaux et ont été cités dans la presse des propos tenus par votre adjoint, Gérard Bramoullé , au cours du conseil municipal du 17 décembre, au sujet de la subvention accordée à la section d’Aix-en-Provence de la Ligue des Droits de l’Homme, subvention déjà très faible jusqu’à présent (1000 €) et que vous avez décidé de diminuer cette année de 20 % pour l’établir à 800 €.

Pour justifier cette baisse M Bramoullé aurait utilisé plusieurs arguments :

-  La réduction des « flux budgétaires » conduisant à diminuer les subventions : sur un budget total de près de 13 millions € de subventions accordées aux associations (d’après le récapitulatif 2011) les 1000 € que nous demandions représentent peu de choses et situent la LDH parmi les associations les moins aidées, et de loin ; par ailleurs je n’ai pas constaté dans les subventions de 2012 beaucoup de diminutions.

M Bramoullé invoque, d’après La Provence, deux autres arguments :

-  « Le problème de cette ligue, ce n’est pas qu’elle ait adopté la déclaration (des Droits de l’Homme) de 1789, mais celle de 1948 ». Cette affirmation laisse perplexe : la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 (que certains s’accordent à trouver nettement moins « révolutionnaire » que la déclaration de 1789) a été votée à l’unanimité des membres de l’ONU ; seuls se sont abstenus l’Afrique du sud (au nom de l’apartheid), l’Arabie Saoudite (qui refusait l’égalité homme-femme) et quatre Etats d’Europe de l’Est (au motif d’un différend sur la définition de l’universalité) ; la France, bien sûr, l’a votée.

-  La « vraie » raison de M Bramoulé est donc la suivante : «  La LDH a eu des prises de position idéologiques, ouvertement politiques, regardez ce qu’ils font, écoutez ce qu’ils disent ». Je suis, Madame le Maire, extrêmement choqué, outré même, par de tels propos. Oui, la Ligue des Droits de l’Homme fait de la politique quand elle défend les droits civils, sociaux, économiques ; oui elle participe ainsi à la vie et à la gestion de la cité ; c’est notre honneur d’être auprès de ceux qui souffrent d’inégalité, d’injustice, de pauvreté ou de violences ; c’est notre honneur de combattre pour tous les droits reconnus par les déclarations des droits de l’Homme, qu’il s’agisse de celle de 1789 ou de celle de 1948, et par les instances internationales.

Dois-je comprendre dès lors que la municipalité module ses subventions sur des critères politiques ? Cela explique-t-il les subventions très élevées de certaines associations et la faiblesse d’autres ? Ou bien, plus précisément, s’agit-il de sanctionner ceux qui ont cherché tout au long de cette année à apporter aide et assistance aux populations Roms que vous vous êtes efforcée de bannir du territoire aixois ? Ces subventions ne sont-elles pas payées grâce à l’impôt de tous les citoyens ?

Je veux croire qu’il s’agit d’un malentendu et que vous accepterez de revenir sur les propos de votre adjoint et de rétablir la subvention de la LDH à son niveau antérieur, à défaut d’accepter l’augmentation demandée.

Puisqu’il s’agissait lundi dernier d’un débat public vous comprendrez que je rende publique la demande que je vous adresse.

Je vous prie de croire, Madame le Maire, à l’assurance de ma considération citoyenne.

Philippe Sénégas

Pièces jointes

pdf/La_Provence_2012-12-22_LDH_1_.pdf Télécharger
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La section d’Aix-en-Provence de la Ligue des Droits de l’Homme demande aux parlementaires du Pays d’Aix de s’exprimer publiquement sur le vote des étrangers extracommunautaires à l’élection municipale. 26 novembre 2012

La moitié des pays de l’Union européenne accordent le droit de vote aux élections locales à tous les résidents étrangers sur leur sol depuis un certain temps. En France, il y a trente ans que cette mesure figure au programme des candidats de gauche.

Elle faisait de nouveau partie des propositions de F. Hollande : « J’accorderai le droit de vote aux élections locales aux étrangers (non communautaires) résidant légalement en France depuis cinq ans ».

Pourtant aujourd’hui le pouvoir recule. Comment interpréter les propos de F. Hollande, de J. M. Ayrault, de M. Valls qui déclarent que ça n’est pas le moment, que la loi ne sera pas adoptée avant les municipales de 2014, que la société française n’est pas prête etc.?

La Ligue de droits de l’Homme ne baissera pas les bras sur cette revendication de justice et d’équité. La décision à prendre nécessite une révision de la Constitution ; les parlementaires sont donc directement concernés (puisqu’il apparaît que le référendum, autre modalité pour y parvenir, ne sera pas retenu).

Voici la lettre que la section d’Aix-en-Provence vient d’adresser à ce sujet à JD Ciot, député de la 14ème circonscription des Bouches-du-Rhône, Ch Kert (11ème), FM Lambert (10ème) et à S Joissains, sénatrice.

Pièces jointes

docx/Lettre_Droit_de_vote_des_etrangers_-_D_S.docx Télécharger

Septembre-octobre 2012 en Algérie 11 novembre 2012

Une des plus grandes réserves de gaz naturel au monde, des besoins en développement énormes avec une réserve de change de 200 milliards de dollars à dépenser, une armée nombreuse et bien équipée à la frontière du Mali… les grandes puissances adorent l’Algérie en ce moment. Avec les USA, la France est au premier rang des courtisans. Il n’est pas sûr qu’elle sera payée de retour.

Et pourtant les grandes puissances ne peuvent l’ignorer : l’Algérie est aussi un pays dont un citoyen sur 3 vit au dessous du seuil de pauvreté, dont 40 % des jeunes adultes sont au chômage, d’où 150 000 personnes émigrent chaque année, où la corruption est érigée en système de gouvernance et où les droits de l’homme sont bafoués quotidiennement.

Emeutes

2 septembre à Constantine. Les membres d’une quarantaine de familles écartées du plan de relogement établi en 2010 ont encerclé le siège de la wilaya. En janvier dernier, ils avaient investi le pont suspendu de Sidi M’Cid, menaçant de se donner la mort en se jetant dans les gorges du Rummel. Ils se disent victimes d’une opération de relogement « arbitraire » et réclament une réhabilitation « urgente et immédiate ». L’intervention des policiers anti-émeute a été suivie d’affrontements ; bilan : 3 policiers blessés et 4 jeunes interpellés.

9 septembre à Bouira. Les opérations de démantèlement des baraques des commerçants informels ont entraîné une réaction violente de ces « trabendistes » dont le commerce de rue est l’unique moyen de survie. Des dizaines de jeunes ont barricadé la voie principale de la cité de l’Ecotec, à l’aide de pneus enflammés et autres blocs de pierres. Les brigades de l’Unité républicaine de sûreté (URS), dépêchées sur les lieux, ont procédé à 9 arrestations au terme de 48h. d’assauts très musclés contre les manifestants qui s’en prenaient également à plusieurs édifices publics.

13 septembre à Madinat el Hayet. (région de Bouira). Luttant depuis des mois contre l’implantation d’une décharge publique au milieu de leur cité, les habitants du quartier ont tenté une nouvelle fois d’empêcher la voierie de déposer les ordures ménagères. Les forces anti-émeute et la gendarmerie ont utilisé des bombes lacrymogènes et des balles en caoutchouc pour disperser les manifestants. Une dizaine de personne ont été hospitalisées, 10 manifestants ont été arrêtés.

17 septembre à Mizrana. (région de Tizi Ouzou). Des dizaines d’habitants, des villages de Mizrana et d’autres communes limitrophes, ont saccagé et brûlé les tout nouveaux locaux de la future brigade de gendarmerie nationale dont l’inauguration était prévue pour les jours suivants. Ils ont justifié leur acte par le fait que « la localité est dans le dénuement total, et qu’au lieu d’ériger une brigade de gendarmerie à coup de milliards de dinars, les autorités devaient plutôt se pencher sur les problèmes que nous vivons au quotidien, notamment le problème de l’eau, de l’état de nos routes, du manque dont nous souffrons, que ce soit dans le transport, l’éducation, la santé… ». Deux émeutiers ayant été arrêtés et enfermés dans les locaux de la sûreté de Makouda (localité mitoyenne) les manifestants ont ensuite assiégé ce bâtiment, jusqu’à la libération de leurs camarades.

9 octobre à Mascara. A la suite de son interpellation par une patrouille de police, Ahmed Sahnoun, 30 ans, est décédé des violences dont il a été l’objet dans les locaux de la sécurité (la version des policiers est très différente…). Pendant 3 jours des manifestations de rue et des assauts contre les bâtiments publics ont opposé des groupes de jeunes et la brigade anti-émeute, faisant des blessés parmi les forces de l’ordre et les manifestants, dont quelques-uns ont été arrêtés. Un document sur ces événements est accessible sur YouTube.

http://youtu.be/dyWjUh4PGDA

Nouveau gouvernement

Il aura finalement fallu près de quatre mois pour qu’Abdelaziz Bouteflika mette fin, début septembre, aux fonctions du premier ministre Ahmed Ouyahia et nomme à sa place Abdelmalek Sellal, un homme du système, ministre sans discontinuer depuis 1998 et ex-directeur de campagne du président algérien. Son mandat est clairement de préparer les présidentielles de 2014, c’est-à-dire la succession de Bouteflika. Les portefeuilles clés restent aux mains des mêmes ministres que dans le gouvernement précédent. Les espoirs de changement politique sont relativement modérés.

Mali

Au printemps 2012, profitant de la vacance du pouvoir à Bamako à la suite d’un coup d’État militaire, plusieurs groupes islamistes (AQMI, Ansar Dine et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest MUJAO), ont pris le contrôle des 2/3 du Mali avec l’aide du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), groupe armé touareg plutôt laïc, mais résolument indépendantiste. Depuis le début de la crise, l’Algérie, principale force militaire de la région et qui a 1 300 km de frontière commune avec le Mali, affiche sa volonté d’un règlement négocié de la question du Nord Mali. Cette position s’explique de différentes façons. D’une part les dirigeants d’AQMI au Mali sont quasiment tous des salafistes algériens repoussés au-delà de la frontière entre les deux pays ; Alger craint qu’en cas d’intervention militaire de l’Union africaine et de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (CEDEAO) ces bandes armées reviennent en Algérie. D’autre part, l’Algérie a des otages aux mains des islamistes regroupés au Mali, or Alger continue d’avoir des contacts avec les islamistes maliens d’Ansar Dine, contacts qu’une intervention armée interromprait certainement. Enfin la participation de l’armée algérienne à une intervention internationale au Mali mettrait l’Algérie en porte à faux sur deux plans : a) L’Algérie s’était opposée à une intervention armée multinationale du même genre en Lybie, b) participer à une telle opération amènerait l’armée algérienne à se trouver dans une même coalition militaire avec la France au moment ou l’Algérie renouvelle sa demande d’« une reconnaissance franche des crimes perpétrés à son encontre par le colonialisme français ».

Le 12 octobre, la résolution 2071 déposée par la France à l’ONU, autorisant les autorités maliennes et ouest-africaines à fixer les modalités d’un déploiement militaire au Nord Mali, a été adoptée. Ce plan d’action qui doit être arrêté le 26 novembre devrait mobiliser 3000 soldats issus des pays de la CEDEAO, aidés au plan logistique par la France et les États-Unis. S’il est peu probable que l’Algérie envoie ses propres troupes au Mali, elle pourrait en revanche apporter une aide précieuse aux forces de la CEDEAO en mettant à sa disposition les connaissances de ses services secrets et en sécurisant sa frontière avec le Mali ; 35000 soldats algériens sont d’ores et déjà déployés le long de la frontière. La France et les USA exercent de fortes pressions sur l’Algérie, mais aussi, en contrepartie, lui donnent des gages de reconnaissance internationale et de légitimité comme jamais auparavant, en particulier en matière des droits de l’homme (voir plus loin). Il semblerait que l’Algérie soit sur le point de se laisser convaincre.

Relations Algéro-françaises

Annoncée depuis quelques mois puis repoussée par les algériens, la visite de F. Hollande en Algérie est prévue les 19 et 20 décembre. Elle aura été précédée d’un défilé ininterrompu de ministres français à Alger. Après le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, en juillet, sont venus officiellement en Algérie ces dernières semaines : la ministre déléguée en charge de la Francophonie, Yamina Benguigui, la ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, la ministre du Logement, Cécile Duflot… La visite de Manuel Valls rappelle qu’en France c’est le Ministre de l’intérieur qui est en charge des questions d’immigration. Or d’après l’Insee les Algériens constituent la première communauté étrangère en France ; ils étaient 578 000 à détenir un titre de séjour en 2010, sans compter les binationaux. Pour réduire le flux migratoire des algériens vers la France, Nicolas Sarkozy voulait revenir sur les accords de 1968 relatifs à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leur famille. Il souhaitait imposer « à tous ceux qui veulent venir au titre du regroupement familial ou du mariage avec un Français l’obligation : 1. d’avoir un logement, 2. d’avoir un revenu, 3. d’apprendre le français et les valeurs de la République avant d’entrer sur le territoire national ». Les algériens qui n’entendaient pas revenir sur cet accord on été satisfaits d’entendre M. Valls déclarer qu’il n’était pas question de le remettre en cause. Le ministre, également ministre des cultes, a rencontré le ministre des affaires religieuses qui l’a assuré que l’Algérie a la « volonté » d’aider les musulmans de France à pratiquer leur culte dans la « sérénité » en dépêchant dans ce pays, a-t-il été précisé, des imams « formés » et « qualifiés ».

En novembre 2011, à propos de l’Algérie, Valls disait ressentir de « grandes inquiétudes quant à l’avenir de la jeunesse, à la situation économique malgré les richesses du pays »”et que ces inquiétudes étaient inspirées aussi par « la difficulté à renouveler les dirigeants »(Déclaration au quotidien algérien Liberté). Un an plus tard, le ton a changé. Ces grandes manœuvre diplomatiques et commerciales sont justifiées par le projet français d’établir un « partenariat stratégique » (pas un « traité d’amitié », les algériens n’en veulent pas) dans les domaines économique, éducatif, énergétique, militaire.

Mais rappelons aussi qu’actuellement six otages français (Pierre Legrand, Marc Féret, Thierry Dole, Daniel Larribe, Serge Lazarevic et Philippe Verdon) et trois otages algériens sont aux mains des groupes islamistes au Mali, alors que trois membres d’AQMI sont dans les prisons algériennes. Une donnée qui n’est pas sans influence sur les relations algéro-françaises.

Droits de l’Homme

Le soutien de l’ONU au régime de Bouteflika

Le rapprochement franco-algérien évoqué ci-dessus est un témoignage parmi d’autres de la cour dont l’Algérie est actuellement l’objet au niveau international. Les Etats Unis et l’ONU ont entrepris, en direction de l’Algérie, une grande campagne de séduction, notamment sur la question des droits de l’Homme. On ne surinterprètera pas le fait que le 10 septembre l’Algérien Bouzid Lazhari a été réélu au comité des droits de l’homme de l’ONU pour un mandat de 4 ans. Mais on notera la déclaration du Conseil de la Nation algérien (équivalent de notre Sénat) à cette occasion : « le retour en force de l’Algérie se confirme de nouveau au plan des relations internationales notamment dans le domaine des droits de l’homme duquel elle a été longtemps exclue pendant des années en raison des effets de la décennie noire ». Une semaine après, la Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Navi Pillay, en visite en Algérie, tout en annonçant une mission de l’ONU sur les disparition forcées de la décennie 90 (cf. Eclairage n° 11) et en appelant les forces de sécurité à « un peu de retenue » à l’égard des représentants de la société civile, a fait des déclarations qui ont surpris les chancelleries et la presse internationale. Elle a salué en effet les « énormes progrès » de l’Algérie en matière de droits de l’homme, elle s’est dit « rassurée » sur la volonté de l’Etat algérien d’œuvrer à l’exercice plein et entier des droits de l’homme en Algérie. Et pour faire bonne mesure elle a qualifié Bouteflika de « défenseur des droits de l’homme ».

Mme Pillay a aussi déclaré : « L’Algérie est sur la bonne voie pour devenir leader des droits des femmes dans la région d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ». Elle n’avait certainement pas remarqué que le nouveau gouvernement algérien de 36 membres compte seulement trois femmes alors que les femmes ont remporté presque le tiers des sièges de députés aux élections législatives. Elle n’avait sans doute pas connaissance non plus du rapport 2012 sur les écarts entre sexes, publié par le Word Economic Forum ; en matière de différences hommes femmes dans le domaine économique, l’Algérie est classée 131ème sur 135 pays évalués.

La répression sur les militants de la LADDH

Quelques jours après le passage de Mme Pillay à Alger, le 1er octobre exactement, Yacine Zaïd, 41 ans, syndicaliste et président de la section de Laghouat de la LADDH a été arrêté à un barrage de police à l’entrée d’Hassi Messaoud. Fiché et surveillé Y. Zaïd avait, deux semaines plus tôt, été contrôlé à l’aéroport d’Alger. L’arrestation du 1er octobre a été suivie de brutalités policières exercées sur le militant menotté, attestées par des certificats médicaux. C’est pourtant sous le chef d’inculpation « d’agression d’un agent de l’ordre public » (et là aucun certificat médical à l’appui de l’accusation) que Y. Zaïd a été condamné à six mois de prison avec sursis et une amende de 10.000 DA (100 €).

Abdelkader Kherba est un membre actif de la LADDH. Il a été condamné en mai dernier à un an de prison avec sursis et 200 euros d’amende pour « incitation à attroupement et usurpation d’identité », après avoir participé à un rassemblement de greffiers, alors en grève, devant le Palais de justice d’Alger. Dans une autre affaire, il avait observé une grève de la faim de 22 jours après avoir été inculpé pour « outrage à corps constitué » avant que le tribunal de Ksar El Boukhari (sud-ouest d’Alger) ne l’acquitte le 11 septembre.

Le 16 octobre, Yacine Zaïd et Abdelkader Kherba, encore eux, se trouvaient parmi les manifestants venus soutenir un militant syndicaliste poursuivi devant le Tribunal de Sétif. Ils ont été arrêtés et tabassés une nouvelle fois…

Mme Pillay semble ignorer leur existence, mais il y a en Algérie des militants des droits de l’Homme qui ne désarment pas malgré une répression impitoyable.

LA KABYLIE ENNEMI INTERIEUR OU ESPOIR DE LA DEMOCRATIE ALGERIENNE ? 11 novembre 2012

Depuis l’antiquité la Kabylie occupe une place spécifique dans la mosaïque des disparités régionales et culturelles en Algérie. Les origines berbères (et non arabes) de la population algérienne restent dans cette région plus visibles et plus affirmées qu’ailleurs. Il en résulte une résistance à la culture arabo-musulmane dominante en Algérie et une opposition au régime centralisateur et militarisé en place depuis l’indépendance. Livrée aux exactions des islamistes et à la répression militaire de l’état, la Kabylie paie chèrement ses aspirations à l’autonomie et à la démocratie.

« …le “régionalisme” est un élément constitutif de la politique algérienne. Après l’indépendance du pays, deux groupes d’hommes politiques se sont entre-déchirés pour la prise du pouvoir. Le “groupe de Tizi Ouzou”, représenté par Mohammed Boudiaf et Hocine Aït Ahmed, et le “groupe de Tlemcen” qui s’était formé autour d’Ahmed Ben Bella, le premier président de l’Algérie indépendante. Ce dernier a été renversé par son plus grand promoteur et ministre de la Défense, en l’occurrence Houari Boumediene, lui-même membre du “clan d’Oujda”, dénomination qui désigne les anciens de l’Armée des frontières restée à l’extérieur du pays pendant la guerre d’indépendance et rentrée après la libération pour prendre le pouvoir.

Après la mort suspecte de Boumediene le 27 décembre 1978, ce sont les “TBS” (l’axe de Tébessa-Batna-Souq Ahras), de l’est algérien et dont les figures les plus célèbres sont les généraux Khaled Nezzar, Mohamed Lamari, et Liamine Zeroual qui occupent le pouvoir. En 1998, ce clan perd les commandes du pays au profit du “clan d’Oujda” désormais représenté par Abdelaziz Bouteflika. L’ancien ministre et protégé de Boumediene a nommé un grand nombre de généraux et de ministres issus de Tlemcen. » Extrait d’un article d’Ali Chibani publié sur le site SlateAfrique le 5 mai 2011 : Le régionalisme en Algérie, un obstacle à la démocratie ?

Ce texte révèle à quel point l’identité régionale a engendré des solidarités politiques actives dans la lutte pour le pouvoir, pendant et après la guerre d’indépendance en Algérie. Sans doute faut-il voir là et jusqu’à aujourd’hui, la survivance d’une réalité anthropologique qui a traversé les âges : l’organisation en tribus des populations du Maghreb. La création d’un état nation a certainement affaibli l’influence de l’appartenance régionale dans les rivalités politiques, mais il ne l’a pas supprimée.

Encore faut-il distinguer entre deux variétés du combat régionaliste : d’une part les rivalités politiques intestines, de nature clanique, pour s’emparer du pouvoir central, (ce qu’illustre le texte de Ali Chibani) et d’autre part les luttes de masse, de nature culturelle, pour échapper au pouvoir central, pour s’en séparer. C’est de cette facette du régionalisme, qui s’exprime par des revendications culturelles (linguistique, religieuse, artistique…), l’affirmation d’une identité et l’aspiration à l’autonomie qu’il sera question ici. La question berbère et plus précisément la question kabyle en Algérie renvoie à cette forme de régionalisme ; elle est encore, et restera longtemps, d’une actualité brûlante en Algérie.

Berbères, Kabyles

On appelle berbères les populations autochtones de l’Afrique du Nord. Ces populations ont connu plusieurs invasions dont la plus notable est la conquête arabo-musulmane du 7ème siècle qui a eu pour conséquence principale l’arabisation et l’islamisation des berbères. On peut donc dire que tous les algériens sont des berbéro-arabes. Cependant dans certaines régions la survivance de la langue berbère (tamazight) comme langue maternelle donne aux populations qui y vivent une identité particulière, plus ou moins revendiquée. Parmi tous ces groupes (les touaregs du Sahara, les Chaouis des Aurès, les Chenouis entre Tipaza et Ténès etc.) les kabyles (imazighen) constituent une population à l’identité culturelle particulièrement saillante et vivace, notamment sur le plan linguistique mais aussi sur le plan des traditions, de la musique, de l’art populaire, de la littérature… La Kabylie dont les deux plus grandes villes sont Tizi Ouzou et Bejaïa est un espace géographique et culturel qui s’étend du massif du Djurdjura à la côte méditerranéenne. Il y a bien sûr des kabyles qui vivent dans d’autres régions d’Algérie (Alger compte probablement plus de kabyles que la Kabylie) et dans la diaspora algérienne immigrée : les liens communautaires sont très fort entre eux et avec la région mère.

Leur place dans la société algérienne

Dans leur majorité, les kabyles refusent d’être assimilés aux arabes, qui constituent pour eux une ethnie étrangère qui les a colonisés et s’est imposée par les armes depuis 14 siècles. Certains, très minoritaires, se défendent aussi d’être des musulmans et d’ailleurs c’est en Kabylie que les écarts vis-à-vis des rites de l’islam (jeûne du ramadan par exemple) sont les plus nombreux et que l’appartenance à d’autres religions que l’islam (christianisme, encore plus minoritaire) est la plus répandue. Dans un pays qui se définit comme une entité arabo-musulmane il y a là un facteur de clivage évident. Cette différence culturelle revendiquée a été exploitée par les français pendant toute la période coloniale (1830-1962). Le stéréotype du bon kabyle (blond aux yeux bleus, travailleur, loyal, fier etc.) inventé par les militaires et les administrateurs coloniaux s’est répandu non seulement chez les européens d’Algérie mais également chez les français de l’hexagone.

Le sentiment identitaire très fort des kabyles s’est manifesté dans leur engagement pendant la guerre d’indépendance. C’est de Grande Kabylie qu’est partie l’insurrection de novembre 1954. C’est en Kabylie, que s’est tenu, en aout 1956, le congrès de la Soummam, réunion clandestine des principaux chefs du FLN. Lors de cette réunion se sont confrontées les options politiques et militaires des maquis de l’intérieur (au premier rang desquels les kabyles de la très importante wilaya III) à celles de “l’armée des frontières” force militaro-politique qui menait ou coordonnait la lutte pour l’indépendance depuis la Tunisie et le Maroc. Haut lieu de la lutte contre l’armée française, la Kabylie a apporté au mouvement de libération nationale des chefs militaires ou politiques de premier plan parmi lesquels Abane Ramdane, Amirouche et Krim Belkacem. Dés cette époque les rivalités pour la direction du FLN se sont confondues avec les antagonismes régionaux au sein des forces révolutionnaires. Les trois leaders kabyles cités précédemment devaient mourir assassinés, victimes des conflits fratricides au sein du FLN avant ou après l’indépendance (Amirouche a bien été tué par les militaires français mais à l’instigation de dirigeants du FLN).

Dès 1962, le triomphe au sein du parti de la ligne arabo-musulmane et du principe de parti unique a exacerbé les tensions entre la Kabylie et le nouveau régime algérien incarné par Ben Bella puis Boumediene, des hommes de “l’armée des frontières”. Le destin de Hocine Aït Ahmed est exemplaire à cet égard. Aït Ahmed, né en Kabylie, combattant anticolonialiste dés 1947, a occupé des responsabilités de tout premier plan dans les instances de “l’extérieur” pendant la guerre. Mais déjà pendant cette période il est accusé de “berbérisme” par les autres leaders de la rébellion algérienne. Au lendemain de l’indépendance, il prend la tête de ce que l’on pourrait appeler une opposition démocratique au régime de parti unique soumis aux volontés de l’armée qui se met en place avec Ben Bella. Et le 29 septembre 1963, soit un an seulement après l’indépendance, il crée le Front des forces socialiste (FFS) et prend le maquis en Kabylie avec ses partisans. La répression conduite par le colonel Boumediene fera des centaines de morts chez les dissidents et se conclura par l’arrestation d’Aït Ahmed en octobre 1964, et sa condamnation à mort. Gracié mais maintenu en prison, il s’évade le 1er mai 1966, et se réfugie en Suisse d’où, aujourd’hui, il dirige toujours le FFS, parti légalisé en 1988.

De 1962 à nos jours, une région sécessionniste contre un état répressif.

Depuis l’indépendance, la Kabylie est le théâtre d’événements sanglants toujours liés à la défense farouche de son identité culturelle et son opposition à la mainmise du FLN et de l’armée sur le pouvoir. En réaction aussi à des provocations violentes de la part de ce pouvoir.

Le printemps berbère. Le 10 mars 1980 une conférence de l’écrivain kabyle Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle ancienne, qui devait être donnée à l’Université de Tizi Ouzou (haut lieu de la « berbérité »), est interdite sans motif et l’écrivain empêché d’entrer dans la ville. Le lendemain une manifestation d’étudiants à Tizi Ouzou, donne le départ de plusieurs semaines de grèves dans la région et à Alger (où réside une importante communauté kabyle). Le 17 avril le président algérien Chadli Bendjedid envoie l’armée dans la région après avoir déclaré que l’Algérie est un pays « arabe, musulman, algérien » , et que « la démocratie ne signifie pas l’anarchie ». La répression est extrêmement dure, elle frappe le mouvement dans toutes ses manifestations et dans tous les lieux de son expression (universités, hôpitaux, usines). Le 23 avril, le bilan des affrontements est de 32 morts. Le printemps berbère est le premier mouvement populaire spontané d’opposition aux autorités algériennes depuis l’indépendance du pays en 1962. A partir d’octobre 1980, se développe dans la population un intense travail de promotion de la culture kabyle en milieu universitaire et dans d’autres lieux institutionnels ou associatifs. Ce travail de fond pour la valorisation et la reconnaissance de la langue tamazihgt et de toutes les formes d’expression culturelle kabyle, entrainera d’autres revendications qui à leur tour provoqueront une répression féroce.

Le printemps noir. Une vingtaine d’années plus tard, le 18 avril 2001, un jeune lycéen est tué d’une rafale d’arme automatique dans les locaux de la gendarmerie d’un village de Grande Kabylie. Ce sera l’élément déclencheur d’une insurrection qui durera jusqu’en juin (avec des répliques en mars 2002) et fera 126 morts et plus de 5000 blessés.

Ces deux révoltes, commémorées tous les ans en Kabylie et dans le monde par la diaspora kabyle, constituent actuellement des repères historiques et identitaires extrêmement forts à toute une population. Elles ont permis d’arracher au pouvoir algérien quelques concessions, notamment sur le statut de la langue. Mais elles ont surtout donné naissance à une génération intellectuellement et politiquement formée que l’on retrouvera dans le mouvement, national celui-là, de la jeunesse algérienne en octobre 1988, elle aussi réprimée dans le sang (autour de 400 morts).

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui les dirigeants algériens considèrent la Kabylie, et la désigne aux algériens, comme l’ennemi intérieur qui menace l’unité nationale. L’objectif du pouvoir est double.

D’abord décrédibiliser l’opposition démocratique nationale. En effet les deux principaux partis d’opposition démocratiques et laïques, le FFS de Aït Ahmed et le RCD de Saïd Saadi sont tous les deux dirigés par des kabyles et reprennent dans leur programme des revendications régionalistes ou « berbéristes ». Compte tenu des antagonismes régionaux qui existent dans le pays, le pouvoir a beau jeu de ramener l’opposition démocratique en Algérie à l’aventurisme politique d’une clique de séparatistes berbéristes. Et cela marche, aucun des deux partis n’a réussi dans les différentes élections depuis 1988 ou au moment du printemps arabe à entraîner une fraction importante du peuple algérien, sauf en Kabylie.

Deuxième objectif, mettre la Kabylie au pas. La Kabylie est une région montagneuse qui de tous temps a constitué un refuge quasi imprenable pour les maquis et un terrain propice à la guérilla. Les islamistes l’ont bien compris depuis la décennie noire des années 90. Et les populations kabyles des villages ont payé et continuent de payer un lourd tribu (enlèvements, attentats, nettoyage ethnique, racket…) à la furie des fondamentalistes armés du GSPC ou de AQMI. Aujourd’hui encore ces maquis pratiquement disparus du reste de l’Algérie sont actifs en Kabylie. Une des conséquences de cette situation est que l’Etat algérien a entrepris un véritable quadrillage de la région justifié par la lutte antiterroriste. Les habitants de la Kabylie sont pris entre deux feux, affrontés à deux ennemis qui les terrorisent autant l’un que l’autre : le terrorisme islamiste et l’armée algérienne.

Il est possible que les deux objectifs, affaiblir l’opposition démocratique nationale et mettre la Kabylie au pas procèdent d’une même stratégie. L’ancien président algérien, Chadli Bendjedid, n’avait-il pas avoué en 2008 que le Front Islamique du Salut (FIS) a été créé dans le but de susciter une guerre entre les Kabyles et les islamistes pour contenir les militants de l’opposition de l’époque (FFS, RCD), généralement issus de la Kabylie.

L’insécurité permanente qui règne actuellement en Kabylie a des conséquences dramatiques pour son développement économique. Depuis 2009, plus de 70 grands industriels ont décidé de quitter la région ; un exemple parmi d’autres étant cette imprimerie de Tizi Ouzou de 300 salariés que son propriétaire a récemment décidé de fermer après que son fils eût fait l’objet d’un kidnapping. Les entrepreneurs en Kabylie craignent désormais pour leur vie et celles de leurs proches. De crainte de faire l’objet de kidnappings, ils ont ainsi décidé de délocaliser leurs activités pour s’installer ailleurs en Algérie.

Et demain ?

Insécurité chronique, occupation militaire, naufrage de l’économie régionale, destruction orchestrée de l’environnement (cf. les incendies de l’été dernier allumés par l’armée), et maintenant interdiction par l’état civil de mille prénoms amazighe : tout concourt à donner à la population le sentiment d’être lentement vidée de ses forces les plus vives et privée d’avenir. Accusés de faire le lit de l’islamisme, d’être les nouveaux harkis au service de la France et même d’être les alliés objectifs d’Israël, les kabyles ont à se battre sur tous les fronts pour sauvegarder leur image et faire entendre leur voix. La société civile résiste encore sur le terrain culturel et par le biais d’internet (on ne compte plus les sites kabyles en français). Les plus engagés des militants adhèrent au MAK (Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, http://www.makabylie.info/) qui depuis 2003 tente d’organiser la contestation et de lui donner une perspective politique.

Laissons la conclusion à Benjamin Stora. « Bien que les Kabyles soient souvent suspectés d’affaiblir la cohésion nationale en revendiquant pour des droits singuliers, il apparaît en fait que la bataille qu’ils livrent pour la pluralité annonce toujours des moments décisifs de passage à la démocratie. Quand cette région s’embrase, comme ce fut le cas sur des questions sociales en avril 2001, l’Algérie entière se trouve concernée. »Awal, cahier d’études berbères, n°25, Paris, 2002.

Déclaration collective de partis, d’associations et de citoyens aixois 1 octobre 2012

Exposition Camus

Déclaration collective de partis, d’associations et de citoyens aixois

En mai dernier, l’historien Benjamin Stora était dessaisi de la responsabilité de

commissaire de l’exposition Camus prévue en 2013 dans notre ville. Comme un

grand nombre d’aixois, nous avons été scandalisés par cette éviction, visiblement inspirée par les nostalgiques locaux du temps des colonies. Une décision inadmissible, qui participe de la même volonté de censure que celle qui a conduit la municipalité d’Aix en Provence à interdire dans le même temps les manifestations commémoratives du 50 ème anniversaire de l’indépendance algérienne. L’essayiste Michel Onfray, un temps pressenti pour prendre la place de Benjamin Stora, a finalement renoncé à ce qui aurait été une forme de caution de cet acte de censure.

Mais le mal est fait et l’exposition Camus est aujourd’hui menacée de ne pas se

tenir. Personne ne saurait se satisfaire d’un tel aboutissement. Nous voulons pourtant croire qu’il en ira autrement. Il est encore temps de faire en sorte qu’une exposition digne de l’apport d’Albert Camus à notre patrimoine

intellectuel et culturel se tienne à Aix en Provence. Nous appelons les organisateurs et les institutions parties prenantes de ce projet à reprendre contact avec Benjamin Stora dans cette perspective.


Aix Solidarité – ATTAC – Europe Ecologie Les Verts – Gauche Anticapitaliste – Ligue des Droits de

l’Homme – MRAP 13 – Parti Communiste Français – Parti de Gauche – Partit Occitan – Parti

Socialiste – Unis pour un Monde Solidaire/FASE

Les personnes qui souhaitent s’associer à cette pétition peuvent la signer sur

http://www.petitions24.net/appel_exposition_camus_aix

Anne Marie ALARY (enseignante, ATTAC Pays d’Aix), Gérard AMY (maître de conférences

honoraire, syndicaliste, Université d’Aix Marseille), James ATTALI (restaurateur), Célia BAUDU

(syndicaliste, militante LGTBI), Houda BENALLAL (journaliste), Nejoua BENALLAL (directrice

librairie Forum Harmonia Mundi), Lobna BEN HASSINE (Aix Solidarité), Paul BOUFFARTIGUE

(sociologue, CNRS), Jean CHENU (programmateur de cinéma), Philippe CHOUARD (militant

associatif), Geneviève CIAVAGLINI (médecin retraitée, PG), Annick DELHAYE (conseillère

régionale, EELV), Agnès DESIDERI (enseignante retraitée, CFDT), Jacques DESIDERI (responsable

syndical, CFDT), Jocelyne DUCROCQ (ATTAC Pays d’Aix), Michèle GALLY (professeur de littérature

française, Université d’Aix Marseille), Hervé GUERRERA (conseiller régional et municipal, POC),

Bernadette GUERRY (éducatrice de jeunes enfants), Pierre GUERRY (peintre), Françoise

GUICHARD (professeur de lettres classiques en CPGE, lycée Cézanne), Gérard GUIEU (ingénieur

CEA, syndicaliste, UMS/FASE), François HAMY (conseiller municipal, EELV), Geneviève HAMY

(secrétaire EELV Pays d’Aix), Dominique HELIES (professeure d’espagnol retraitée, syndicaliste,

intervenante CIMADE à la Maison d’arrêt de Luynes), Claudie HUBERT (avocate, Aix Solidarité),

Benoît HUBERT (avocat, Aix Solidarité), Jean Marie JACONO (maître de conférences, musique,

Université d’Aix Marseille), Rémy JEAN (universitaire et consultant, responsable UMS/FASE),

Philippe JONATHAN (architecte), Guy Laurent LAGIER (délégué syndical CGT AREVA TA), Bernard

LAGUNE (co-président ATTAC Pays d’Aix), Hélène LEBEL (enseignante en CPGE, lycée Cézanne), Marc LE TIRILLY (enseignant retraité, militant associatif), Mireille LE TIRILLY (enseignante

retraitée, militante associative), Patrick MAGRO (vice-président Marseille Provence Métropole,

PCF), Joëlle MAIRE (retraitée, Cité du Livre), Alexandre MEDVEDOWSKI (conseiller général,

président du groupe d’opposition municipale « Tous Ensemble Pour Aix »), Horiya MEKRELOUF

(présidente MRAP 13), Anne MESLIAND (universitaire, conseillère régionale Front de gauche

PACA, PCF), Rossana PANCANI (professeur collège-lycée), Gérard PERRIER (professeur de lettres

retraité, syndicaliste, fondateur de l’Université Populaire et Républicaine de Marseille), Vincent

PORELLI (ancien député, UMS/FASE), Gérard SAINT ARROMAN (ingénieur CEA), Michèle SAPEDE

(retraitée), Sylvie SARAFIAN (enseignante), Philippe SENEGAS (président LDH Aix), Mireille

SERRANO (professeur d’espagnol en CPGE), Jean SICARD (retraité Education Nationale, PG), Odile

SISSOKO (retraitée fonction publique hospitalière), Gilbert SOULET (cadre honoraire SNCF),

Simone SOULLIERE (conseillère d’orientation psychologue, ATTAC), Cécilia SUZZONI (chaire

supérieure Lycée Henri IV, présidente ALLE), Catherine TEISSIER (maîtresse de conférences,

allemand, Université d’Aix Marseille).