Tribune de Patrick Baudouin, président de la LDH
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Le plan de partage de la Palestine adopté par l’ONU le 29 novembre 1947 prévoyait la création d’un Etat juif et d’un Etat arabe. Si l’Etat d’Israël a pris naissance le 14 mai 1948, il n’en est toujours pas de même d’un Etat de Palestine. Ce constat traduit à lui seul la faillite de la communauté internationale. Alors que l’Etat d’Israël dispose des mêmes droits mais aussi des mêmes obligations que tous les autres Etats, c’est en toute impunité qu’il a pu de façon quasi constante s’affranchir du respect du droit international. Ainsi en va-t-il de l’absence d’application des résolutions du Conseil de Sécurité des Nations-unies, exigeant le retrait des territoires occupés et prônant la mise en œuvre du droit de chacun des peuples de vivre en paix dans des frontières sûres et reconnues.
C’est en violation complète de ces résolutions qu’Israël a poursuivi et intensifié sa politique de colonisation, suscitant des mouvements de révolte des palestiniens et générant des deux côtés un cycle infernal de violences. Israël a passé outre un avis de la Cour internationale de justice (CIJ) du 8 juillet 2004 selon lequel la construction d’un mur de séparation par la puissance occupante dans le territoire palestinien occupé est « contraire au droit international ». Israël a refusé toute coopération avec la Cour pénale internationale (CPI), pourtant compétente pour instruire les crimes relevant de sa juridiction commis depuis le 13 juin 2014 sur le territoire palestinien occupé. Israël a rejeté l’application de la résolution 2334 adoptée le 23 décembre 2016 par le Conseil de Sécurité exigeant qu’il soit mis un terme à l’expansion des colonies de peuplement pour préserver la solution de deux Etats.
A l’encontre de cette résolution, une nouvelle loi fondamentale du 19 juillet 2018 intitulée « Israël Etat nation du peuple juif », outre l’établissement d’un sous statut pour les citoyens non juifs, proclame que « l’Etat considère le développement de la colonisation juive comme un objectif national et agira en vue d’encourager et de promouvoir ses initiatives et son renforcement ». Cette politique d’humiliation et de négation des droits des palestiniens n’a pu qu’entretenir une stratégie de la terreur, en réalité favorable au mouvement fondamentaliste Hamas, amplifiée avec la constitution de l’actuel gouvernement d’extrême droite. L’inexorable explosion qui menaçait est survenue le 7 octobre 2023 dans des conditions aussi horribles qu’imprévues, à la stupéfaction du monde entier. Les milices terroristes du Hamas ont procédé au massacre d’environ 1300 hommes, femmes, enfants, bébés, et à la prise d’au moins 240 otages. Les auteurs de ces actes de barbarie ne sauraient rester impunis. Mais si l’inhumanité des atrocités imputables au Hamas peut justifier une riposte d’Israël traumatisé dans son existence, cela n’autorise nullement le recours à une violence elle-même inhumaine dictée par une vengeance aveugle. Or c’est pourtant, là encore en violation absolue du droit international, la voie choisie par les autorités israéliennes, celle d’une véritable punition collective d’une brutalité inouïe, frappant indistinctement les populations civiles, entraînant la mort ou les blessures de dizaines de milliers d’innocents dont beaucoup d’enfants. Chaque jour, depuis quatre mois, ce sont des centaines de victimes supplémentaires. Les destructions sont massives, n’épargnant pas même les hôpitaux et transformant la zone de Gaza en un champ de ruines. La population, dont deux millions de déplacés font craindre une épuration ethnique, est soumise aux privations d’eau, d’électricité, de carburants, et de nourriture jusqu’à la famine. La situation est décrite comme une catastrophe humanitaire sans précédent par les organisations humanitaires entravées dans les secours.
C’est dans ce contexte que la CIJ saisie par l’Afrique du Sud a rendu une ordonnance fondée sur la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. La CIJ estime, avant toute décision sur le fond, qu’il y a urgence à prendre des mesures conservatoires de protection au regard d’un risque réel et imminent de préjudice irréparable. Tout en soulignant aussi que toutes les parties sont liées par le droit international humanitaire, et en appelant donc à la libération immédiate et inconditionnelle des otages détenus par le Hamas, la CIJ juge que l’Etat d’Israël doit prendre toutes les mesures effectives en son pouvoir pour prévenir et empêcher la commission de tout acte génocidaire, pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide, pour permettre sans délai la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire, et pour assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes pouvant relever de la Convention sur le génocide.
Cette décision ayant une force contraignante s’impose à Israël. Elle s’impose aussi aux autres Etats parties à la Convention qui ont l’obligation d’apporter leur concours à la prévention du génocide, sous peine de s’en rendre complices. Plusieurs de ces Etats, dont sans surprise les Etats-Unis, au lieu de faire état de leur coopération, ont annoncé de façon choquante une décision précipitée de suspension du financement de l’UNRWA à la suite d’accusations d’Israël dénonçant la participation de 12 membres, sur les 30.000 que compte cette agence onusienne, aux attaques du Hamas du 7 octobre. Or la suppression du soutien financier à l’UNRWA, en contradiction avec la décision de la CIJ, ne peut qu’aggraver la catastrophe humanitaire. La communauté internationale, dont la France au sein de l’Europe s’honorerait d’être un élément moteur, doit exiger de l’Etat d’Israël la mise en œuvre au plus vite de toutes les mesures conservatoires ordonnées par la CIJ impliquant en réalité l’instauration d’un cessez le feu immédiat et durable. Seule cette démarche constructive peut permettre de parvenir à l’impérative libération concomitante de tous les otages, et à l’amorce d’un processus de paix devant permettre aux deux peuples, israélien et palestinien, de vivre à l’intérieur d’Etats aux frontières sûres et garanties. Il est temps enfin de ne plus fermer les yeux sur les violations réitérées du droit international par l’Etat d’Israël, et de mettre un terme à un deux poids deux mesures dévastateur. Israël doit cesser d’être un Etat exonéré de sanctions que ce soit pour la fourniture d’armements ou pour les poursuites pénales des responsables des crimes commis. Loin de garantir la sécurité de la population israélienne, la primauté donnée au droit de la force plutôt qu’à la force du droit ne fait qu’engendrer son insécurité. Il est grand temps d’exiger d’Israël une inversion de ce choix mortifère.
Patrick Baudouin
Avocat
Président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme)
Président d’honneur de la Fédération internationale des droits humains (FIDH)