Tribune signée par Patrick Baudouin, président de la LDH
Lire la tribune dans Le Monde
Un collectif de dirigeants d’ONG et de personnalités engagées pour le respect du droit international appelle Emmanuel Macron à agir pour mettre fin à l’importation par la France de biens et services provenant des colonies israéliennes.
Nous appelons le président de la République et les parlementaires français à mettre fin à l’importation de biens et de services produits dans les colonies israéliennes en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. Alors que la Cour internationale de justice (CIJ) a reconnu, le 26 janvier, le risque de génocide à l’encontre de la population civile de la bande de Gaza, la France doit prendre des mesures concrètes pour contraindre l’Etat d’Israël à s’attaquer aux causes profondes des cycles répétés de violences, liés à la colonisation territoriale et économique du territoire palestinien occupé. Elle doit interdire le commerce avec les colonies israéliennes.
La question de la colonisation du territoire occupé de Cisjordanie peut paraître éloignée de la catastrophe humanitaire dans la bande de Gaza. Pourtant, la colonisation, qui constitue un crime de guerre au regard de la quatrième convention de Genève, est au cœur de la spirale de tensions et de violences entre Israéliens et Palestiniens. Aujourd’hui, environ 700 000 colons israéliens sont installés en Cisjordanie, dont plus de 225 000 à Jérusalem-Est, au prix, notamment, d’accaparements de terres et de biens de la population palestinienne, de violences, de déplacements forcés et d’un système inégal d’accès aux services essentiels comme l’eau, l’électricité ou encore le transport.
Plus de 32 500 personnes ont été tuées dans la bande de Gaza, en majorité des femmes et des enfants. Mais les attaques et les violences des colons et de l’armée israélienne contre les communautés palestiniennes ont aussi atteint un niveau inégalé en Cisjordanie, où plus de 430 Palestiniens ont été tués depuis le 7 octobre 2023.
Occupation illégale
Le président de la République a rappelé à juste titre qu’à la réponse d’urgence d’un cessez-le-feu dans la bande de Gaza doit se joindre une réponse politique à la question israélo-palestinienne. Or, la colonisation, outre d’être facteur de violences, rend irréalisable une issue politique entre les deux peuples en déniant aux Palestiniens une égalité en droits à même de leur permettre de négocier une solution de paix juste et durable.
En 2016, la résolution 2334 du Conseil de sécurité, adoptée à l’unanimité des membres permanents, a reconnu l’illégalité de l’occupation israélienne du territoire palestinien. En conséquence, elle exige de l’Etat d’Israël l’arrêt immédiat et complet de « toutes ses activités de peuplement dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est » et « demande à tous les Etats (…) de faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’Etat d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 ».
Deux ans plus tard, en 2018, la loi Israël Etat-nation du peuple juif indique cependant que « l’Etat considère le développement des colonies juives comme une valeur nationale et agit pour encourager et promouvoir leur création et leur renforcement ». L’accélération de la colonisation en Cisjordanie démontre l’impunité dont bénéficie l’Etat d’Israël et le manque de volonté des Etats occidentaux, dont la France, à faire respecter le droit international.
L’importation par la France de produits et de services issus des colonies, encourage de fait la commission du crime de guerre que sont la colonisation et son cortège de violences envers les Palestiniens. En 2022, la France a importé 1,5 milliard d’euros de biens israéliens, dont une partie proviennent des colonies. Cela concerne notamment les fruits et légumes cultivés de manière intensive dans la vallée du Jourdain et vendus en France.
Principe de différenciation
Le commerce des produits des colonies permet leur viabilité économique et, par effet d’entraînement, joue un rôle indéniable dans le maintien de la colonisation et son expansion territoriale et économique. En outre, de nombreuses entreprises françaises ont des activités dans les colonies. C’est le cas du groupe Carrefour, qui a noué des partenariats avec des entreprises liées à la colonisation, et distribue des produits estampillés de son logo dans des magasins situés dans les colonies.
Le développement d’une relation économique entre la France et Israël autour de l’activité des colonies viole par ailleurs l’obligation des Etats de ne pas reconnaître et de ne pas prêter assistance au maintien d’une situation illégale telle que la colonisation, et le principe de différenciation qui vise à exclure les activités et organisations liées aux colonies israéliennes des relations bilatérales avec Israël, régulièrement rappelé par la diplomatie française.
En interdisant l’importation des biens et services des colonies sur son territoire, la France se mettrait en accord avec ses nombreuses déclarations condamnant la colonisation israélienne de la Cisjordanie et jouerait un rôle moteur au sein de l’Union européenne pour faire respecter le droit international et agir en faveur de l’arrêt de la colonisation.
Notre pays ferait par ailleurs preuve de cohérence politique, en envoyant le message clair à l’Etat d’Israël qu’un ordre international fondé sur le droit international et les droits humains est seul capable de créer un avenir de paix entre Israéliens et Palestiniens.
Premiers signataires : Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières ; Véronique Bontemps, anthropologue, CNRS/IRIS-EHESS ; Sylvie Bukhari-de Pontual, présidente du CCFD-Terre solidaire ; Stéphanie Latte Abdallah, directrice de recherche CNRS (Centre d’études en sciences sociales du religieux-EHESS) ; François Leroux, président de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine ; Eléonore Morel, directrice générale de la Fédération internationale pour les droits humains ; Elias Sanbar, écrivain, ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco ; Jean-Claude Samouiller, président d’Amnesty International France ; Dominique Vidal, journaliste et historien.