Vers les élections législatives 9 janvier 2012
Pour clore l’année 2011, cette rubrique prendra la forme d’un rapide bilan de l’année écoulée, marquée par la résistance du pouvoir algérien au vent de contestation qui a soufflé sur le Maghreb et dans le pays. Marquée aussi par la préparation des futures législatives dans un contexte de forte instabilité politique des principaux partis au pouvoir ou dans l’opposition.
La préparation des échéances électorales : l’après-Bouteflika.
2011 a commencé par un mouvement de protestations populaires et politiques sans précédent depuis 1988, au diapason avec les autres soulèvements dans le Maghreb et ailleurs qui devaient donner naissance à ce qu’il est convenu d’appeler le printemps arabe. Alors qu’au Maroc, en Tunisie, en Lybie, en Egypte, sous des formes et par des voies différentes, un coup d’arrêt a été mis aux régimes autocratiques en place depuis des dizaines d’années, en Algérie le “Système” n’a pas fléchi et l’élan démocratique s’est brisé au bout de quelques semaines. Tout a été dit sur les causes de cet échec : la peur d’un retour à la guerre civile, la dureté de la répression militaire et policière, la division des oppositions…
Il reste que pour les dirigeants algériens, une réaction s’imposait, destinée à contenir d’éventuels sursauts des aspirations à la liberté. Un double mouvement a été enclenché par le pouvoir : annoncer des réformes et composer avec les islamistes.
L’annonce des réformes
L’offensive réformiste du pouvoir a été inaugurée par des consultations des différents partis politiques et une concertation tripartite gouvernement, patronat, UGTA. Mais très tôt, les forces d’opposition ont dénoncé une parodie de dialogue social, certains partis ont refusé d’y participer et ont critiqué des promesses peu crédibles tant que le pouvoir resterait aux mains d’une oligarchie constituée de profiteurs de la rente pétrolière, gangrénée par la corruption et protégée par l’armée et les services de renseignements (DRS). Les projets de réformes qui ont alors fleuri, suivis de l’adoption de nouvelles lois par l’APN ont été vivement critiqués par les démocrates et défenseurs des droits de l’homme ; en voici quelques exemples.
Loi sur les associations. Jugée particulièrement restrictive et répressive par la LADDH, la loi a été vivement critiquée principalement à 5 niveaux : 1) la procédure de création des associations soumise à autorisation préalable ; 2) le mode de financement des associations ; 3) les limitations à la coopération avec des organisations étrangères ; 4) le régime auquel sont soumises les associations étrangères et 5) les conditions particulièrement larges dans lesquelles les associations peuvent être suspendues ou dissoutes
Loi sur les partis politiques destinée à restreindre le champ d’action de l’opposition et faire barrage à tout retour du Front islamique du salut (FIS), interdit depuis 1992. Le Front des forces socialistes (FFS) du vieux militant nationaliste Hocine Ait Ahmed, qui vit en exil en Suisse, a remis en cause cette nouvelle loi, considérant qu’elle « impose l’hégémonie du ministère de l’intérieur sur la vie politique et empêche d’amorcer une dynamique de changement démocratique en Algérie. »
Loi sur l’information. (cf l’Eclairage de ce mois-ci) « Le texte comporte des restrictions graves, introduites au nom de la défense de la politique étrangère et des intérêts économiques du pays » selon Mostefa Bouchachi, président de la LADDH. Pour lui, la liberté d’expression est contrôlée dans la nouvelle loi par « une série de considérations adaptées par le régime à ses propres intérêts. »
D’autres lois comme le projet d’un quota de 33% de femmes sur toutes les listes électorales ont été rejetées par les députés.
Les tractations avec la mouvance islamiste.
Depuis 1999, début de son règne présidentiel, Bouteflika a donné des gages aux occidentaux (et au peuple algérien) en combattant le terrorisme islamiste tout en négociant en permanence le soutien des partis religieux à sa politique (en particulier par le biais de la réconciliation nationale). Cette attitude avait un but déclaré : atomiser la mouvance islamistes. Les tentatives en ce sens se sont multipliées ces derniers mois. Mais de ce côté non plus, la stratégie n’a pas eu les effets escomptés. D’une part, les divisions, réelles, provoquées au sein de la mouvance islamiste ont conduit cette dernière à occuper un espace politique extrêmement large : présents dans la coalition présidentielles au parlement et au gouvernement (le MSP), dans l’opposition légale (Ennahda…) et dans certaines organisations ayant recyclés les militants de l’ex-FIS, les tenants d’un islam politique semblent être partout. A cela s’est ajouté l’effet des révolutions arabes. Le succès des islamistes dans les premières élections organisées dans les pays voisins, a ouvert, en Algérie, des perspectives inespérées à des courants jusqu’alors concurrents dans leurs stratégies de conquête du pouvoir ; des courants qui se prennent à rêver maintenant d’une union leur assurant un triomphe aux prochaines législatives en 2012. Du coup, pour les islamistes, l’époque des compromis avec Bouteflika (condition de la survie politique) est dépassée ; c’est l’après-Bouteflika qu’il faut préparer.
Les élections législatives de mai 2012 (ou de février en cas d’anticipation) ne manqueront pas d’influencer les présidentielles de 2014. Dans l’état actuel du paysage politique algérien, la coalition présidentielle éclate. Le FLN connaît une importante crise interne opposant « les caciques et les jeunes cadres, les conservateurs et les modernistes et, pis encore, les corrompus contre les partisans d’une pratique politique saine ». Le MSP prépare, contre ses alliés d’aujourd’hui, une union des partis islamistes (il devrait logiquement quitter la coalition gouvernementale à brève échéance) et le parti nationaliste du premier ministre (le RND) est isolé dans une défense inconditionnelle de réformes critiquées de toutes parts.
Qu’en est-il de l’opposition progressiste ? On l’a dit dans de précédentes rubriques le FFS et le RCD, outre qu’ils doivent assumer historiquement des contradictions importantes dans leurs relations avec le pouvoir et avec les islamistes, outre qu’ils sont perçus par une partie des algériens comme les représentants d’une bourgeoisie francisée et par une autre partie comme les représentants de la minorité kabyle, ont échoué à rassembler le peuple révolté en janvier et février derniers. Il est clair que le débat politique aujourd’hui en Algérie entre les islamistes, le pouvoir et l’armée laisse peu de place aux deux partis démocratiques et modernistes. Ainsi, ces derniers conditionnent leur participation aux prochains scrutins à la présence d’observateurs internationaux, alors que Bouteflika a déjà assuré que ce serait le cas ; ils demandent depuis toujours une révision de la constitution algérienne alors que Bouteflika a assuré que cette révision aurait lieu après les législatives. On le voit, les marges de manœuvre sont étroites aujourd’hui pour les démocrates algériens. On imagine mal, dans ces conditions, que les prochaines élections soient l’occasion d’une alternance démocratique en Algérie.
Mouvements sociaux et droits de l’homme
Depuis un an que cette rubrique existe, chaque compte rendu mensuel sur la situation dans le pays commence par une longue liste d’émeutes, de grèves, de manifestations, d’attentats, de bavures qui sont le quotidien de la vie des algériens. Pour cette dernière rubrique de l’année, on n’entrera pas dans les détails. On se contenter d’indiquer que la gendarmerie algérienne elle-même a recensé 11.500 émeutes à travers tout le territoire en 2011. Par ailleurs, le climat d’insécurité et de violence n’a pas faibli dans la dernière période. Le nombre élevé de victimes des tensions politico-sociales en novembre et décembre en reste la preuve la plus dramatique : neuf “terroristes islamistes” abattus par l’armée, deux chasseurs tués accidentellement par l’armée ; deux jeunes abattus par des policiers lors de manifestations ; un lycéen et un jeune chômeur morts après s’être immolés par le feu.
Les révoltes, comme la création de multiples syndicats corporatistes indépendants, témoignent indiscutablement de la combattivité et des aspirations des algériens. Mais elles révèlent aussi trois choses : d’une part le pouvoir algérien n’a pas l’intention de changer sa stratégie de domination par la répression, les subventions clientélistes et des ersatz de réformes ; d’autre part, les révoltes sont des adresses directes et violentes du peuple à l’état, les élus locaux ne jouant plus aucun rôle de représentation et d’intervention en faveur de la population ; et enfin, l’absence d’une société civile organisée rend impossible pour l’instant l’émergence de contre-pouvoirs susceptibles de peser sur les orientations politiques des gouvernants. Or, de façon circulaire, c’est probablement la nature même du fonctionnement des institutions algériennes (politiques, syndicales, religieuses, militaires, éducatives) qui rend impossible la naissance d’une conscience citoyenne et d’une société civile active. L’Algérie vient d’être classée par Transparency International à la 112e place sur la liste des 180 pays les plus corrompus de la planète.
Au nom de la LADDH, Mostefa Bouchachi conclue en ces termes son message de fin d’année : « Quand on sait que la démocratie sera effective en Tunisie et qu’au Maroc il y a une ouverture, tandis qu’en Libye la dictature est tombée par la force des armes, je dis qu’il vaut mieux qu’il y ait une transition pacifique en Algérie. Mais si les décideurs optent pour le maintien de la situation actuelle, les conséquences seront dramatiques pour le pays et pour eux-mêmes ». Il faut dire que “la situation actuelle” n’est guère favorable pour la LADDH qui s’est vu refuser, le 10 décembre, l’organisation de deux conférences-débats programmées dans le cadre de la célébration de la Journée internationale des droits de l’Homme : l’une prévue à l’hôtel El-Biar d’Alger autour du thème La justice et les droits de l’Homme, et l’autre à la Maison des jeunes de Boumerdès sous l’intitulé La citoyenneté et les droits de l’Homme.