L’islam en Algérie 31 août 2011
Cette période de ramadan (qui tombe en août cette année) est l’occasion de proposer un éclairage sur la place de la religion dans la société algérienne. La question de l’islamisme politique sera abordée une prochaine fois.
L’amalgame entre une communauté de croyants (oumma) et une société de citoyens
On peut partir de deux faits bien établis
1. L’article 2 de la constitution algérienne stipule : « L’islam est la religion de l’état. » Aucune révision constitutionnelle ne peut porter atteinte à l’islam en tant que religion de l’état (article 178)
2. Il est généralement estimé que l’islam est la religion de 98 à 99 % des Algériens. (L’islam d’Algérie est un islam sunnite de rite malékite).
A la fois en tant qu’attribut de l’état et en tant que croyance partagée par la quasi-totalité de la population, l’islam est donc un élément essentiel de la vie publique et de la vie privée en Algérie.
La nature religieuse de l’état, se traduit, d’une part, par l’existence d’institutions spécifiques et, d’autre part, par l’existence de lois ou de règles administratives qui importent la référence à l’islam dans la gestion des affaires publiques. Du côté des institutions étatiques, il existe en Algérie un Ministère des affaires religieuses et des wakfs (Patrimoine constitué des biens donnés à des œuvres de bienfaisance par des particuliers espérant la récompense divine) dont la mission est de gérer tout ce qui, dans le domaine de la religion, affecte le fonctionnement de la société dans son entier (calendrier musulman, les horaires de prières, les jours de fête religieuse, l’annonce du ramadan, le pèlerinage à La Mecque, l’entretien des mosquées). Il existe aussi un Haut conseil islamique dont le rôle est dicté par la constitution et qui est la plus haute autorité religieuse du pays ; son rôle est essentiellement doctrinaire. D’autres organes et missions de l’état intègrent aussi la dimension religieuse. Ainsi, en matière de justice, le droit algérien n’est certes pas l’application de la loi islamique (charia) mais il s’appuie explicitement sur les principes moraux édictés par l’Islam ; les conséquences de cette adhésion sont manifestes en particulier dans le droit de la famille. On peut en prendre trois exemples : un mariage entre un-e- musulman-e- et un-e- non-musulman-e- ne peut être enregistré à l’état civil en Algérie ; le code de la famille consacre des inégalités notoires en matière d’héritage entre les filles et les garçons, reflétant les règles patrimoniales propres à la culture islamique traditionnelle ; le tuteur d’une personne mise sous tutelle ou un tuteur testamentaire doivent être de confession musulmane. L’autre domaine d’action de l’état perméable à l’influence religieuse est le domaine de l’éducation. L’enseignement de l’islam est obligatoire dans l’école publique, pendant toute la scolarité primaire et secondaire. Les enfants peuvent aussi apprendre le Coran dans les écoles Coraniques. Enfin, et pour terminer ce survol par un problème administratif qui est loin d’être anodin, il faut savoir que l’introduction du passeport biométrique a suscité l’année dernière des débats virulents sur les normes appliquées aux photos d’identité. En particulier était visé le port du voile par les femmes. Après des mois de négociation, une instruction du ministère de l’Intérieur, a arrêté que sur ces photos, les oreilles doivent être apparentes pour les femmes et la tête découverte ainsi que la barbe rasée pour les hommes.
En tant que croyance partagée par le plus grand nombre, l’islam est un trait culturel majeur de la société algérienne. L’athéisme ou l’adhésion à une autre religion que l’islam existent certes, mais de façon extrêmement marginale ; en outre, ils ne s’avouent pas et, nous y reviendrons, sont quasiment considérés comme des délits. L’islam marque toutes les étapes de la vie des algériens : naissance, baptême (circoncision pour les garçons), mariage, pèlerinage à La Mecque, décès, se déroulent selon des rites institués religieusement. Dans la vie quotidienne, les interdits alimentaires (porc, alcool) ou le respect de règles dans l’abattage d’animaux de boucherie s’imposent également à tous. Enfin, les fêtes rituelles (L’Aïd-el-Kébir et l’Aïd-el-Fitr sont les principales) et le mois de ramadan constituent des événements religieux et sociaux de première importance durant l’année. Le ramadan est une période longue (28 jours) et contraignante pendant laquelle tout le fonctionnement de la vie sociale et professionnelle, privée et publique s’ordonne à l’impératif de l’abstinence alimentaire et sexuelle entre le lever et le coucher du soleil, et de la convivialité familiale et amicale dans la soirée et la nuit, après la rupture du jeûne. C’est une période vécue avec piété et parfois avec zèle par les plus pratiquants (prières cinq fois par jour, bonnes œuvres..) mais qui est aussi ressentie comme pénible physiquement et psychologiquement par une majorité de personnes.
Bien sûr l’état tire parti de cet amalgame entre citoyenneté et religiosité ; il le fait de façon très « politique » en se présentant à la fois comme le protecteur de la société contre les dérives et les violences fondamentalistes et comme l’interlocuteur incontournable des islamistes. Il le fait aussi en donnant des gages d’islamité à la population : par exemple le Président (qui doit être musulman selon la constitution algérienne) communique beaucoup ces derniers mois sur son projet de construction de la future et monumentale Grande mosquée d’Alger.
Des contestations qui se développent
Trop de religion pour certains, pas assez pour d’autres, la question religieuse fait débat, rendue sensible par la menace (ou l’espoir pour certains) d’un passage à un régime de république islamique en cas de déstabilisation politique.
Les partis de gauche continuent d’appeler à la sécularisation de la vie politique et publique en Algérie et le thème de la laïcité figure en bonne place dans les projets de réforme de ces partis. Un thème qu’ils manient cependant avec prudence pour ne pas être accusés de tourner le dos aux valeurs de l’islam et de vouloir désislamiser la société. La prise en compte de l’ancrage psychique des Algériens dans une culture islamique traditionnelle est encore un élément essentiel de toute stratégie politique dans ce pays.
Une autre attaque, qui n’est pas nouvelle non plus, vient de la Kabylie et du mouvement berbérophone. Pour des raisons et avec des formes sur lesquelles il est indispensable de revenir dans un prochain Eclairage, l’identité kabyle s’exprime et se manifeste de façon très importante en Algérie. Les berbères se considèrent comme les descendants des peuples maghrébins envahis, soumis et convertis par les arabes au VIIème siècle. Ils contestent l’assimilation de leur culture à la culture arabo-musulmane dominante en Algérie. Cette affirmation identitaire prend depuis quelques années la forme d’une remise en cause de l’islam comme religion unique. Une attitude qui n’est pas indépendante bien sûr de la collusion que les kabyles perçoivent et contestent entre pouvoir politique et pouvoir religieux. La traduction la plus spectaculaire de cette remise en cause est le développement d’un mouvement significatif de conversion au christianisme. Il faut savoir qu’aux termes de l’islam le plus rigoureux, la renonciation à sa religion par un musulman (apostasie) est la plus grave des fautes et que selon le Coran cette faute doit être punie par la mort. Dés 2006, le parlement adoptait une loi contre le prosélytisme prévoyant des peines de prison pour toute tentative de « convertir un musulman à une autre religion ». Des peines de 2 à 5 ans de prison et une amende de 500 000 à 1 000 000 de dinars (5 000 à 10 000 euros environ) sont prévues contre toute personne qui « incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion ». La loi prévoit des sanctions similaires contre toute personne qui « fabrique, entrepose, ou distribue des documents imprimés ou métrages audio-visuels ou tout autre support ou moyen, qui visent à ébranler la foi musulmane ». En 2008, les églises protestantes d’Algérie avançaient le chiffre de 50 000 fidèles, le ministère des Affaires religieuses reconnaissant 11 000 chrétiens dans le pays, essentiellement catholiques. Depuis 2006, de nombreux chrétiens et musulmans convertis ont été poursuivis, accusés d’avoir enfreint les dispositions de la loi. Pour endiguer leur progression, 10 Églises évangéliques ont été fermées alors même que les autorités refusent constamment d’enregistrer les Églises protestantes, forçant donc leurs membres à pratiquer leur culte dans des lieux non agréés par l’État, au risque de poursuite. L’Eglise protestante d’Algérie (EPA) vient d’être officiellement reconnue par le ministère de l’Intérieur algérien Preuve supplémentaire du dualisme qui associe droit musulman et droit positif dans la législation algérienne, les dispositions de la loi de 2006 sont en contradiction manifeste avec la constitution algérienne qui proclame la liberté d’expression, la liberté de conscience et la liberté de culte.
Enfin, et pour revenir à la célébration du ramadan qui a suscité la présentation de cet Eclairage, un autre phénomène prend de l’ampleur (tout en restant marginal) depuis quelques années : le non-respect des dogmes et en particulier le refus du jeûne du ramadan. Les non-jeûneurs s’expriment sur internet mais se cachent pour se nourrir d’abord parce que leur comportement est réprouvé par leur environnement social mais aussi parce que il arrive que des poursuites soient engagés contre eux.
Le régime s’est engagé à promouvoir dans les mois qui viennent des réformes profondes du fonctionnement de l’état. Les débats et les tractations commencés au printemps reprennent après la trêve estivale et le mois de ramadan. L’un des plus grands services que les gouvernants pourraient rendre à leur pays et à ses citoyens serait d’aller vers une sécularisation des institutions publiques. Malheureusement, la confusion entre identité religieuse et identité citoyenne est tellement ancrée dans la société et les bénéfices politiques de cette confusion tellement évidents pour le pouvoir qu’il n’y a pratiquement aucune chance qu’une telle évolution se produise à court terme.