Le pays s’enlise, la France au secours de Bouteflika 30 juin 2011
Mouvements sociaux
Le caractère endémique et récurrent des émeutes de la pauvreté reflète l’absence de volonté ou l’impuissance des autorités publiques à résoudre les problèmes dramatiques que connaissent les classes populaires algériennes. Alors que les consultations politiques en cours devraient aboutir à plus d’ouverture et de respect des libertés collectives et individuelles, c’est par la répression policière que l’état répond aux tensions sociales qui persistent dans toute l’Algérie.
Le problème du logement est l’un des motifs les plus fréquents de révolte. Faute de revenus suffisants et d’un parc immobilier suffisamment important, il est impossible à la majorité des jeunes adultes de quitter le logement de leurs parents, ce qui provoque des situations de surpopulation des logis absolument insupportables. Le nombre insignifiant des logements sociaux distribués suscite chaque jour la colère dans de nombreuses communes comme par exemple à Adrar (15OOkm au Sud-ouest d’Alger) le 20 juin. L’affichage de la liste des bénéficiaires des logements sociaux dont le nombre ne dépassait pas 375 alors que plus de 16000 demandes ont été enregistrées a entrainé des affrontements violents entre les jeunes et la brigade anti-émeutes, provoquant des blessés et des interpellations. Le lendemain à Hussein Dey, dans la banlieue-est d’Alger, la publication d’une liste de bénéficiaires de logements sociaux a provoqué les protestations de dizaines de jeunes qui ont bloqué la route en brûlant des pneus. Des rassemblements et des sit-in sont organisés presque tous les jours par les habitants à Alger et dans d’autres wilayas pour protester contre leur exclusion des listes de bénéficiaires de logements sociaux et l’importance de la corruption dans l’établissement de ces listes.
Le chômage aussi est la cause de violents affrontements. Le sud de l’Algérie (région de Ouargla et Hassi Messaoud) connaît depuis plusieurs mois un climat très tendu. Les tentatives de suicide, notamment par immolation, y sont nombreuses. En mars dernier, un jeune de 20 ans s’était pendu à Hassi Messaoud. Dans cette même ville, où des dizaines de chômeurs ont entamé une grève de la faim, les jeunes manifestants ont été violemment réprimés le 2 juin par les forces de sécurité. Cinq personnes ont été évacuées à l’hôpital de la ville. A Ouargla, le 8 juin de jeunes chômeurs ont mis le feu à un commissariat de police au cours d’affrontements qui ont duré toute la nuit. Le 13 juin, pour exprimer leur désespoir face à l’annulation d’un projet de construction d’une usine dans la localité, les habitants de la municipalité de Maârif ont pris à partie le siège de la commune qui a été incendié. Le 23 juin, les membres d’une délégation du Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) reçue par le ministre du travail et de la sécurité sociale, se sont vus insultés et menacés publiquement par ledit ministre.
L’interdiction du commerce « informel » dans la rue (petits métiers de survie qui existent depuis longtemps en Algérie) est le motif de drames quotidiens. Le 19 juin dans la ville de Béchar, un jeune commerçant de 32 ans interdit d’étaler ses marchandises, essentiellement des fruits et légumes, s’est aspergé d’essence avant d’y mettre le feu et de s’accrocher à un officier de police. L’immolé, brûlé à 100% et sa victime ont été évacués par route vers le CHU d’Oran (700 km !). Le jeune est mort pendant le transport.
Les revendications socioprofessionnelles se poursuivent à un rythme d’autant plus soutenu que le gouvernement multiplie les déclarations laissant entendre qu’il est disposé à acheter la paix sociale par d’importantes concessions salariales, ce qu’il a en partie réussi avec les enseignants de l’université par exemple. Entre le 28 mai et la mi-juin, ce sont les employés de la poste algérienne qui se sont mis en grève illimitée pour obtenir un meilleur cadre de travail et des revenus plus conséquents. Le 9 juin un accord sur une augmentation de 30% du salaire de base était signé mais refusé par une partie des agents réclamant un effet rétroactif à compter de janvier 2008, comme tous les travailleurs des autres secteurs ayant bénéficié de hausses de salaires. Ce conflit a présenté la particularité d’être déclenché de façon « sauvage » et d’échapper partiellement à l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), toute puissante centrale syndicale contrôlée par le pouvoir algérien. Le bras de fer des médecins résidents grévistes avec le Ministère de la santé en est à son quatrième mois. Le mouvement est maintenant encadré par le CAMRA (Collectif autonome des médecins résidents algériens ). Les grévistes (plus de 80%) subissent non seulement la répression des forces de sécurité à chacune de leur marche (voir la vidéo ci-dessous) mais aussi des retenues de salaire pour fait de grève.
Vidéo You Tube sur la marche du 1er juin à Alger :
http://www.youtube.com/watch?v=Fk_9Joj08bo&feature=related
La CNCD suspend ses marches hebdomadaires
Après plus de quatre mois d’une présence active sur le terrain, les membres de la Coordination, réunis le 23 juin en assemblée générale, ont décidé de suspendre leurs marches hebdomadaires, insuffisamment mobilisatrices. Ali Yahia Abdennour, 85 ans, Président d’honneur de la LADDH et figure de la Coordination a déclaré : « La CNCD doit aborder une nouvelle phase. Nous devons nous rapprocher davantage des syndicats. A la rentrée, il y aura une autre situation qu’il faut préparer au mois d’août. Il est hors de question d’enterrer la CNCD. Elle restera unie jusqu’à la réalisation du changement. Il y a une dictature en Algérie et elle doit partir. Les jeunes n’ont pas seulement le droit à la parole mais aussi au pouvoir »
Bavure militaire après un attentat contre un convoi.
Des milliers d’Algériens ont participé dimanche à Azazga (environ 100 km à l’est d’Alger) à une marche de protestation contre une bavure militaire qui a entraîné le 24 juin la mort d’un habitant de cette ville kabyle. Ce jour-là, des militaires en convoi, victimes d’un attentat à la bombe ayant fait un mort et un blessé dans leurs rangs ont réagi par des tirs et des pillages pendant lesquels Mustapha Dial, père de quatre enfants, qui gardait une villa, soupçonné à tort par les soldats d’être un assaillant, a été grièvement blessé par balle, puis achevé alors qu’il cherchait à rejoindre la route principale pour demander de l’aide.
Consultation et prochaines élections
Entamées le 21 mai, les consultations (baptisées Kermesse-carnaval par la presse d’opposition) autour des « réformes politiques profondes » annoncées le 15 avril par le président Abdelaziz Bouteflika se sont achevées le 21 juin. La commission chargée de recueillir les propositions des partis politiques, des personnalités nationales, des partenaires sociaux et des organisations de la société civile dispose désormais d’une dizaine de jours pour remettre un rapport final au chef de l’État. Ce dernier en présentera sa version finale au gouvernement qui élaborera des projets de loi à soumettre à l’Assemblée nationale en septembre. Ceux qui ont boycotté la commission Bensalah militent pour une révision de la constitution qui consacre la séparation des pouvoirs, le principe de la responsabilité politique du président de la République et la nomination d’un Premier ministre issu de la majorité parlementaire par respect pour la volonté populaire. Convaincus qu’il n’est pas possible de réformer avec le système en place, ils tiennent le départ du pouvoir actuel pour un préalable à l’élaboration d’une nouvelle Constitution, qui devrait, selon eux, être confiée exclusivement à une Assemblée (constituante) élue au suffrage universel.
Dans les allées du pouvoir, ces consultations se déroulent sur fond de batailles politiques pour la succession de Bouteflika. A une année des élections législatives et locales, et à trois ans des présidentielles, les leaders des deux partis au pouvoir, le FLN (qui préside l’APN) et le RND (qui préside le sénat) dévoilent progressivement leurs ambitions. Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN, également ministre d’État et représentant personnel du président de la République multiplie les déclarations en faveur d’un changement de gouvernement, pour une nouvelle équipe avec un nouveau premier ministre pour préparer les prochaines législatives. Or on se souvient que l’actuel premier ministre, Ahmed Ouyahia, n’est autre que le secrétaire général du RND. A voir ces manœuvres, les observateurs doutent que les réformes annoncées par le Président et la coalition au pouvoir s’accompagnent d’un réel changement de la classe dirigeante.
Droits de l’homme
Près de 3 mois après l’assassinat de Ahmed Kerroumi (cf les Echos précédents), la disparition tragique de cet opposant politique et militant des droits de l’homme n’est toujours pas élucidée.
La Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), de plus en plus contrôlée et entravée dans ses actions, dénonce régulièrement l’acharnement contre ses membres dans plusieurs régions. Les services de la Wilaya d’Alger ont refusé d’autoriser la tenue de la conférence débat sur le thème « Corruption et dynamiques de changement dans le monde arabe » que la LADDH voulait organiser le vendredi 10 juin 2011 à Alger. Cette interdiction est intervenue dix jours après celle de la Wilaya d’El-Taref concernant la tenue d’une conférence à l’occasion de la journée de l’enfant.
Dans une lettre au président de l’APN (le parlement), une vingtaine de députés demandent la mise en place d’une commission d’enquête sur l’état des droits civils et politiques et des libertés publiques en Algérie. Après avoir rappelé les garanties formelles que la constitution algérienne apporte au fonctionnement d’un état de droit, ils rapportent des cas de sévices corporels, de censure et de contrôle divers sans décision judiciaire, de perturbations inexpliquées d’Internet, de détention préventive abusive, d’interdictions de réunion et de manifestation. Ils dénoncent également l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire et de la Loi contre le droit de grève et la liberté de presse.
Françalgérie : L’aide de la France à Boutef
En Algérie, la France a choisi son camp ; le soutien à la politique de Bouteflika donne lieu à une offensive spectaculaire des autorités et des milieux d’affaire français. Au plan économique, fin mai s’est déroulé un spectaculaire forum franco-algérien sur la coopération économique entre les deux pays. La délégation française conduite par Jean-Pierre Raffarin (envoyé spécial de Sarkozy) et le secrétaire d’Etat au Commerce extérieur Pierre Lelouche, représentait pas moins de 200 entreprises françaises. Le journal Liberté titrait à la Une : « Algérie-France : le temps du business ».J.P. Raffarin a salué l’ouverture d’une « période où les relations sont à la fois apaisées, pragmatiques, opérationnelles ». Les deux parties ont signé deux accords en négociation depuis des années, le rachat par Saint-Gobain du leader de la verrerie algérienne Alver, et un accord de partenariat faisant entrer l’assureur Axa sur le marché algérien.
Deux semaines plus tard, le 15 juin, c’était au tour d’ Alain Juppé, de se rendre en Algérie pour une visite de travail. La liste des sujets politiques et diplomatiques à aborder était plutôt longue. Sur la situation au Maghreb d’abord. Le soutien de l’état Algérien à Kadhafi est connu (livraisons d’armes, hébergement de membres de la famille du leader Lybien, coopération avec les forces lybiennes légitimistes..) et ne va pas dans le sens de la position internationale de la France sur la question lybienne. Les divergences entre Paris et Alger persistent également sur le Sahara occidental, la France s’étant rangée du côté du Maroc. Enfin la situation sécuritaire au Sahel : en plus de l’intérêt stratégique de cette région, quatre otages français, qui travaillaient pour AREVA, y sont retenus par AQMI depuis plus d’un an.
Le résultat de la visite d’A. Juppé (rencontres avec le président, le premier ministre et le ministre des affaires étrangères), au moins dans la version visible et publique qui en a été donnée, fût non seulement de taire les divergences avec les dirigeants Algériens mais aussi de les dédouaner quant à leurs responsabilités dans l’affaire des otages comme dans celle du soutien à Kadhafi. Il n’est pas douteux bien sûr que la France pèse de tout son poids pour que le régime algérien, à l’instar de son voisin marocain, choisisse, au moins en apparence une voie de démocratisation des institutions. Mais c’est sans compter avec l’état de désorganisation du pays et la lutte des clans au sein du sérail algérien. « Aujourd’hui, personne n’ignore que sans le soutien de la France, l’Algérie des généraux serait déjà enterrée par l’histoire ». (Lyazid Abid, Ministre des relations internationales de l’Anavad, Gouvernement provisoire kabyle)