A l’attention des sénatrices et sénateurs : Projet de loi « confortant le respect des principes de la République » 19 avril 2021
Lettre ouverte commune, dont Malik Salemkour, président de la LDH, est signataire
Paris, le 7 avril 2021
Madame la Sénatrice, monsieur le Sénateur,
A la veille du vote du Sénat sur le projet de loi « confortant le respect des principes républicains », nous tenons à réaffirmer auprès de vous notre totale opposition à cette loi fourre-tout, qui propose des mesures tantôt imprécises, tantôt disproportionnées, mais globalement dangereuses pour les libertés, notamment au regard d’un certain nombre de libertés fondamentales. De plus, cette loi jette une suspicion généralisée sur les personnes de confession musulmane ou supposées l’être.
Différents aspects de cette loi nous inquiètent particulièrement et nous partageons les critiques émises par des instances comme la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) ou la Défenseure des droits (DDD). L’objet de ce courrier est d’attirer votre attention sur les multiples raisons qui nous poussent à rejeter unanimement la mise en place d’un « contrat d’engagement républicain », contrat que toute association sollicitant une subvention auprès de l’Etat ou d’une collectivité territoriale se verrait dans l’obligation de signer.
Comme l’a souligné le Haut conseil à la vie associative (HCVA) dans l’avis très critique qu’il a émis en décembre 2020, un grand nombre d’administrations centrales sollicitent d’ores et déjà des associations demanderesses de subventions un engagement de respecter les valeurs de la République. Le non-respect de celui-ci entraîne le remboursement des sommes versées. D’ores et déjà encore, aucune demande de subvention ne peut être adressée à l’Etat ou à une collectivité territoriale, sans que l’association demanderesse ne s’engage, via la référence à la Charte des engagements réciproques, à respecter les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Nous ne pouvons donc que nous joindre au constat du HCVA lorsque celui-ci considère qu’ « en s’engageant à respecter les valeurs et principes de la charte des engagements réciproques, toute association prend une obligation contractuelle suffisamment forte sans qu’il soit besoin de confirmer cet engagement en signant un nouveau texte ».
En réalité, ce contrat d’engagement républicain se révèle être surtout « un contrat de défiance » envers les associations et, si elle était adoptée, cette disposition affaiblirait gravement la vie associative qui est dans notre pays un pilier de la citoyenneté.
Le projet incite toutes les administrations et collectivités locales à conditionner leurs subventions à la définition des missions générales de l’association ainsi qu’à ses modalités d’action. Une telle disposition est dangereuse car elle reviendrait sur les fondements mêmes de la liberté des associations qui repose sur le respect de leur indépendance, de leur fonction critique et de libre conduite de leurs projets comme rappelés dans la Charte de 2014. Par ailleurs, s’il s’agissait seulement d’exiger des associations qu’elles respectent la loi, nous rappelons que celles-ci, comme toutes les personnes morales, sont déjà tenues de le faire et que des sanctions sont prévues lorsqu’elles ne le font pas. En réalité, ce contrat d’engagement n’a de sens que s’il va au-delà de cette exigence et c’est bien ce qui nous inquiète. L’objectif des fonds publics serait ainsi détourné, ceux-ci ne viseraient plus à promouvoir la vie associative dans sa diversité mais à transformer les associations en rouages de l’Etat. Il nous semble donc utile de rappeler que les associations, même lorsqu’elles sollicitent un soutien des pouvoirs publics, locaux ou nationaux, n’ont pas vocation, en tant que telles, à refléter les options d’un gouvernement, les priorités de l’Etat ou les préférences politiques d’une majorité municipale.
Notre inquiétude est d’autant plus vive que la loi ne prévoit pas de définir clairement le contenu de ce « contrat » et la représentation nationale, une fois de plus marginalisée, ne va être amenée à se prononcer que sur son cadre, puisque l’exécutif entend agir par décret. Face à une polémique croissante sur les intentions cachées du gouvernement, les ministres portant ce projet de loi ont dévoilé un pré-projet de ce décret. Il est des plus inquiétants, avec des contraintes très intrusives sur le fonctionnement interne des associations et des champs à contrôler très généraux, laissant place à de grands risques d’arbitraire, de démarche inquisitoriale et de tensions.
Nous pensons que par le biais de « ce contrat républicain », ce projet entend donner aux administrations et aux élus locaux un pouvoir de police morale et de la pensée dans une logique de surveillance généralisée et de mise au pas de toutes les associations et de leurs membres. Il ouvrirait un risque sérieux de déstabilisation, de fragilisation, voire pour l’existence même des associations et des syndicats, autant de structures qui jouent pourtant un rôle déterminant dans le maintien de la cohésion sociale, comme en témoigne chaque jour leur engagement pour aider des millions de nos concitoyennes et concitoyens à faire face à la crise sanitaire, sociale et environnementale. C’est avoir bien peu de considération pour leur apport à la vie démocratique que de vouloir ainsi porter atteinte à leur liberté.
Pour toutes ces raisons, nous considérons que ce projet de loi ne respecte pas les principes républicains mais, qu’au contraire, il les bafoue.
C’est pourquoi nous vous demandons instamment madame la Sénatrice, monsieur le Sénateur, de ne pas le voter. Vous comprendrez que notre démarche soit rendue publique.
Veuillez agréer, madame la Sénatrice, monsieur le Sénateur, nos cordiales salutations.
Mehmet Ali Boduk, président de l’Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (Acort),
Nacer El Idrissi, président de l’Association des travailleurs Maghrébins de France (ATMF),
Aurélie Trouvé, porte-parole nationale de l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac),
Bernard Dreano, président du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (Cedetim),
Mouhieddine Cherbib, porte-parole du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT),
Arnaud Tiercelin, Lucille Bertaud et Yann Renault, coprésidentes et co-présidents du Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire (Cnajep),
Nathalie Verdeil, secrétaire confédérale de la Confédération général du travail (CGT),
Annick Berthier, présidente d’Emmaüs France,
Antoine Beliveau, co-président de la Fédération des associations de Solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s (Fasti),
Fayçal Ben Abdallah, président de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR),
Benoit Teste, secrétaire général de la Fédération syndicale unitaire (FSU),
Karl Ghazi, président de la Fondation Copernic,
Farid Bennai, porte-parole du Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP)
Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France,
Vanina Rochiccioli, présidente du Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s (Gisti),
Bernard Dreano pour le collectif Initiatives pour un autre monde (Ipam),
Christian Eyschen, secrétaire général de la Libre Pensée,
Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH),
Albert Herszkowicz, président du Memorial 98,
Jean-François Quantin, coprésident du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap),
Sarah Durocher, co-présidente du Planning familial,
Dominique Sopo, président de SOS Racisme,
Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature (SM),
Estellia Araez, présidente du Syndicat des avocats de France (Saf),
Mélanie Luce, présidente de l’Union national des étudiants de France (Unef),
Murielle Guilbert, co-déléguée générale de l’Union syndicale Solidaires,
Jean-Marie Fardeau, délégué national de VoxPublic,