La visite du Président français Emmanuel Macron en RDC, le plus grand pays francophone au monde, a lieu dans un contexte particulièrement difficile pour le peuple congolais. Quand la violence dure depuis plus de trente ans, peut-on encore parler de crise ? Fin 2021, alors qu’il était présumé dispersé, le groupe rebelle du Mouvement du 23 Mars (M23) est réapparu dans l’est du pays où de nombreux autres groupes armés opèrent, engendrant de nouveaux épisodes de violence et des conflits localisés. Les civil-e-s, en particulier les femmes, en sont, comme toujours, les premières victimes.
La situation humanitaire est critique, et la montée des discours de haine ajoutent de l’huile sur un brasier déjà ardent, qui pourrait enflammer les autres pays de la région. Les élections prévues en décembre 2023 constituent une étape cruciale dans la consolidation de la vie démocratique du pays, mais représentent un défi tant du point de vue de leur organisation logistique qu’au vu de la situation politique et sécuritaire dans laquelle elles s’inscrivent.
En 2017, alors qu’il venait d’être élu pour la première fois, le Président français avait déclaré devant les étudiant·es africain·es à Ouagadougou qu’il envisageait « d’être aux côtés de ceux qui travaillent au quotidien à rendre la démocratie et l’état de droit irréversibles ». Près de six ans plus tard, il est plus que jamais temps que ces déclarations soient mises en œuvre. La visite du Président Macron dans les Grands Lacs est une opportunité de faire de la diplomatie française en faveur des droits humains plus qu’un vœu pieu, une réalité.
La RDC est dotée d’une société civile active et dynamique, qui veille au bon fonctionnement de la vie démocratique dans le pays. Militant-e-s, défenseur-e-s des droits humains et journalistes sont engagé-e-s aux côtés de la population congolaise, souvent au péril de leur vie. Cette première visite du Président Macron en RDC doit être la plus inclusive possible, notamment dans le contexte de tension actuel. À ce titre, il est fondamental que la société civile congolaise puisse être entendue. Nous encourageons fortement le Président à inclure, dans son programme, des concertations avec ses représentant·es alors que la population congolaise s’interroge sur les ambivalences de la position française.
Les annonces récentes de la France et de l’Union européenne (UE) sur le positionnement du Rwanda dans le contexte régional, avec d’une part la condamnation du soutien du Rwanda aux rebelles de M23 en RDC, et d’autre part l’octroi d’une aide de 20 millions d’euros aux forces rwandaises pour leur intervention au nord du Mozambique – où de lourdes allégations pèsent sur la préservation des intérêts économiques de l’entreprise française Total Energies – ont suscité des questionnements légitimes.
Les risques et impacts pour les droits humains de tels projets ont déjà été analysés et dénoncés par la société civile, ainsi que par le Parlement européen, dans le cadre de l’exploitation par Total Energies du pétrole du lac Albert, entre la RDC et l’Ouganda. À cet égard, il est primordial que la France adopte une position ferme qui appelle au respect des droits humains, assure des investissements responsables et des relations économiques respectueuses des normes internationales et de l’environnement en RDC, et plus globalement en Afrique. La France doit profiter de sa visite en RDC et en Afrique pour s’enquérir de la mise en œuvre effective du devoir de vigilance par les entreprises qui opèrent et déploient leur chaîne de valeur en RDC.
Depuis le 20 février, l’UE s’est dotée d’une nouvelle stratégie sur les Grands Lacs qui privilégie les aspects économiques comme réponse globale aux conflits dans la région au détriment des politiques basées sur le respect des droits humains et la bonne gouvernance. Alors que la visite du Président Macron arrive après celle du Pape François à Kinshasa en janvier 2023, où ce dernier a fermement condamné le pillage des pays africains et de la RDC, il est essentiel que la France soutienne les initiatives visant à appréhender les causes profondes des conflits de la sous-région. Un appui à la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves et aux efforts de justice transitionnelle en cours, ainsi qu’un soutien aux efforts et processus de paix initiés devraient être au cœur de la visite de la France en RDC. Si la montée en puissance d’acteurs comme la Chine ou la Russie sur le continent africain est aujourd’hui une réalité qui contrarie la place de l’UE dans la région des Grands Lacs, c’est dans les valeurs démocratiques et des droits humains que la coopération européenne et française trouve sa valeur ajoutée, et non dans la compétition économique accrue avec des acteurs comme la Chine et la Russie.
S’agissant du processus électoral en RDC, il est important de rappeler au gouvernement congolais ses propres engagements en termes d’inclusivité, de respects des droits civils et politiques, mais également en termes de participation et représentation politique des femmes dans ce processus, en vertu de la loi de 2015 sur la parité. Soutenir la mise en œuvre effective de ces engagements, c’est soutenir les efforts des autorités congolaises visant à rétablir la confiance de la population congolaise envers ses institutions, ce qui est indispensable pour l’instauration d’un environnement propice à la tenue d’élections crédibles et apaisées. Pendant cette période électorale, il est également important d’apporter un soutien au Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme (BCNUDH) dans son mandat de monitoring et reporting de la situation des droits humains en RDC, ainsi qu’aux mécanismes de protection des défenseur·es des droits humains.
Les organisations signataires appellent le Président Emmanuel Macron à placer au cœur de sa politique étrangère la défense des droits humains et le respect de la démocratie :
en promouvant un dialogue inclusif avec la société civile congolaise – garante du respect des principes démocratiques – en incluant dans son programme des rencontres avec ses représentant-e-s ;
en clarifiant la position de la France en terme de coopération militaire et sécuritaire, en particulier vis-à-vis des forces rwandaises en privilégiant la mise en œuvre d’une politique de diligence voulue en matière de droits humains pour tout appui au secteur de sécurité et de défense ;
en soutenant les processus de paix en cours et des initiatives visant à traiter les causes profondes des conflits, notamment la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves ;
en s’engageant de façon ferme en faveur de la loi relative au devoir de vigilance des multinationales, adoptée en 2017 par le Parlement français, concernant notamment les activités de Total Energies dans le lac Albert ;
en soutenant les financements et investissements respectueux des engagements internationaux de la France pour l’environnement, la démocratie et les droits humains en RDC et en Afrique ;
en promouvant dans son dialogue politique bilatéral avec les autorités congolaises, l’ouverture de l’espace démocratique et des droits humains comme conditions préalables à des élections crédibles et apaisées, notamment en ce qui concerne les droits à la liberté de réunion, d’association et de manifestation ainsi que la protection des défenseur-e-s des droits humains.
Signataires : Action des chrétiens pour l’abolition de la torture de République démocratique du Congo (ACAT RDC) ; Actions Sans Frontières (AFRO) ; Agir ensemble pour les droits humains ; Association africaine des droits de l’Homme (ASADHO) ; Célébrons le courage de la Femme ; Centre de recherche et d’information pour le développement (CRID) ; Centre international pour la promotion de développement et des droits de l’Homme (CEIPDHO) ; Collectif Simama Congo (COSIC) ; Commission Justice et Paix Belgique francophone , Congolese International Congres (CIC) ; Emmaüs International ; Ensemble contre la peine de mort (ECPM) ; Fédération internationale des ACAT (FIACAT) ; Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) ; Foundation for Human Rights Initiative (FHRI) (Uganda) ; Groupe Lotus (RDC) ; Justicia, asbl ; Karibu Jeunesse Nouvelle (KJN) ; Le Mouvement de la Paix ; Ligue burundaise ; ITEKA ; LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Ligue des Electeurs (RDC) ; Misereor ; Nouvelle dynamique de la société civile en RDC (NDSCI) ; Observatoire des droits de l’Homme au Rwanda (ODHR) ; Organisation mondiale contre la torture (OMCT) ; Protection international ; Réseau européen pour l’Afrique centrale (EurAc) ; SAPI international ; SOS IJM ; Tournons la page (TLP) ; Vision Social (VISO).
Le 28 février 2023