Du fichage psychiatrique au «casier psychiatrique» ! 9 avril 2020
Communiqué Saf, SM et LDH
Le fichier Hopsyweb, vous connaissez ?
Vous l’ignorez peut-être, mais oui, les personnes hospitalisées sans leur consentement en raison de troubles mentaux sont fichées, depuis un arrêté du 19 avril 19941.
Ce fichier est dénommé Hopsyweb !
Mais rassurez-vous, le traitement automatisé de données à caractère personnel relatives à ces patients – sans possibilité d’opposition de la part de l’intéressé – n’est qu’un simple outil de gestion administrative destiné à « limiter les risques d’erreur dans la gestion des hospitalisations sans consentement » et d’éviter les condamnations de l’Etat, rétorquait l’administration en février 20112.
Petite précision : les données en question recouvrent les nom, prénom, domicile, date et lieu de naissance du malade, ainsi que des renseignements judiciaires et des informations médicales.
Surtout ne vous égarez pas, répétait le ministère des Solidarités et de la Santé en juillet 2018 à la suite des remous crées par la publication du décret du 23 mai 20183 élargissant l’utilisation de cette dénommée application, « Hopsyweb ne peut être défini comme un fichier dans la mesure où sa
finalité […] est d’assurer le suivi, par les agences régionales de santé, des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement, et, plus précisément, de faciliter la gestion administrative des mesures de soins sans consentement qui associent des acteurs multiples »4.
Ne cherchez aucun loup dans la relance de ce fichier en 2018, au moment de la diffusion du Plan national de prévention de la radicalisation du 23 février 2018 proposant d’« actualiser les dispositions existantes relatives à l’accès et la conservation des données sensibles contenues dans l’application de gestion des personnes faisant l’objet d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement (HOPSY) »5.
Bien sûr que non, n’y voyez aucune atteinte grave à la vie privée, aux droits des patients ou au respect de la dignité humaine avec des risques de stigmatisation manifeste pour les personnes concernées, ni une violation du secret médical.
Regardez, la Cnil a, certes en appelant à « une vigilance particulière »6, validé le décret du 23 mai 2018, de même que le Conseil d’Etat, qui ne l’a que très partiellement annulé7.
Allons bon, les masques ne sont pas tombés avec le décret du 6 mai 20198, qui vise à modifier les objectifs jusqu’alors affichés en ajoutant une finalité nouvelle, à savoir permettre « l’information du représentant de l’Etat sur l’admission des personnes en soins psychiatriques sans consentement
nécessaires aux fins de prévention de la radicalisation à caractère terroriste », se traduisant par une interconnexion entre les fichiers Hopsyweb et FSPRT9.
Cette interconnexion d’informations relevant du champ médical, et donc de l’intime, et de renseignements relevant du domaine de la lutte contre le terrorisme ne constituera en rien un outil de répression putative et de détection de ces nouveaux « signaux faibles ».
Comment ça, dans un contexte où la psychiatrie est au bord de l’asphyxie et où les personnes souffrant de troubles mentaux – et qui pour une majorité d’entre elles sont au contraire victimes d’infractions -, l’Exécutif alimente, en jouant avec des peurs infondées, la confusion entre troubles
mentaux et radicalisation ?
Regardez encore, le Conseil d’Etat, dans une nouvelle décision du 13 mars 202010, a rejeté les requêtes déposées par plusieurs associations et syndicats visant à annuler ce décret du 6 mai 2019, non sans entériner une nouvelle obsession sécuritaire.
A l’ère du traçage et de la surveillance de masse – avec pour dernière illustration la publication du décret « Gendnote » – les dispositifs panoptiques de contrôle policier continuent de se déployer et s’entremêlent ici, en aggravant la mise à l’écart des malades mentaux désignés comme dangereux.
1 Arrêté du 19 avril 1994 (JORF n°101 du 30 avril 1994) relatif à l’informatisation du suivi des personnes hospitalisées sans leur consentement en raison de troubles mentaux et au secrétariat des commissions départementales des hospitalisations psychiatriques.
2 Instruction DGS/MC4 n° 2011-66 du 11 février 2011 relative au rôle des agences régionales de la santé dans la gestion des hospitalisations d’office.
3 Décret n°2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement.
4 Réponse du Ministère des solidarités et de la santé publiée dans le JO Sénat du 19 juillet 2018 – page 3645.
5 Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation du 23 février 2018 – « Prévenir Pour Protéger » Plan national de prévention de la radicalisation.
6 Commission nationale de l’informatique et des libertés – Délibération n°2018-354 du 13 décembre 2018 portant avis
sur un projet de décret modifiant le décret n°2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère
personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement.
7 Conseil d’Etat 4 octobre 2019, n°421329.
8 Décret n°2019-412 du 6 mai 2019 modifiant le décret n°2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de
données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement.
9 Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste.
10 Conseil d’Etat 13 mars 2020, n°431450, 431530, 432306, 432329, 432378, 435722.
Paris, le 3 avril 2020
Source: Du fichage psychiatrique au «casier psychiatrique» !