Du risque sanitaire aux risques démocratiques 27 mars 2020
Tribune de Malik Salemkour, président de la LDH
La pandémie du Covid-19 crée une situation mondiale jamais connue dans l’histoire. Face à ses réels dangers, à ses milliers de morts et au risque de sa propagation, les pouvoirs publics de tous les pays prennent des mesures drastiques de protection sanitaire avec de très fortes restrictions des libertés publiques. Les effets sont lourds, avec près d’un milliard d’habitants de la planète plus ou moins confinés dans leurs foyers, les écoles et commerces non essentiels fermés, l’économie qui tourne au ralenti et les bourses qui s’effondrent.
La France est durement touchée. Il revient à l’Etat de prendre les mesures nécessaires pour protéger toute la population, sans exception et sur tous les territoires, endiguer la contagion et soigner les malades. Il est positif que le gouvernement y mette des moyens financiers significatifs et assure une transparence sur l’évolution de la situation comme sur ses intentions. Il faut saluer la mobilisation exemplaire des personnels des services publics, notamment hospitaliers et d’urgence, en dépit des graves difficultés qu’ils pointaient avant le Covid-19, ainsi que celle des salariés et commerçants qui assurent la continuité des activités nécessaires à la vie courante.
Des efforts sont encore à faire en faveur des publics les plus fragiles ou placés sous la responsabilité de l’Etat et des collectivités territoriales, des insuffisances ayant été constatées, comme l’ont rappelé ensemble, à la suite des alertes associatives, le Défenseur des droits, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté et le président de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH). Il s’agit particulièrement des personnes sans domicile fixe ou vivant en bidonvilles, de celles actuellement en détention, notamment mineures ou âgées, ou encore des malades psychiatriques. Un cadre particulier doit aussi être ouvert aux ressortissants étrangers et aux demandeurs d’asile du fait d’exigences administratives intenables en la période.
Devant une crise extraordinaire, des dispositions spécifiques temporaires et dérogatoires au droit commun sont envisageables, de manière ciblée. Elles ne sauraient pour autant être disproportionnées, sortir de leur cadre et restreindre abusivement les libertés fondamentales tant collectives qu’individuelles. Or, l’exécutif entend décréter un « état d’urgence sanitaire » qui ne peut qu’inquiéter, en s’arrogeant des pouvoirs extrêmement larges sans contrôles et contrepouvoirs effectifs, avec des possibilités de décisions par ordonnances et des dispositions potentiellement durables qui portent atteinte à des droits acquis, notamment en matière de droit du travail.
La vigilance est donc de mise au nom de la protection des droits fondamentaux qui ne sauraient être durablement affaiblis sous prétexte d’une « raison sanitaire » supérieure à tout, comme cela a pu être le cas dans le passé, de façon tout aussi injustifiable, au nom de la « raison d’Etat ».
La LDH est dans son rôle de vigie de la République en repérant et en dénonçant les lacunes, les risques et les dérives de tous les pouvoirs publics, tant nationaux que locaux, alors que certains en profitent dans la surenchère sécuritaire pour accroître une surveillance généralisée et durable de la population, comme avec l’usage de drones dans certaines villes.
La LDH, avec toutes ses sections et en lien avec des partenaires, va ainsi s’engager dans un travail d’observatoire citoyen de cet « état d’urgence sanitaire », en favorisant le recueil de témoignages des contrôles et dispositifs abusifs. Face au Covid-19, l’Etat de droit est plus que jamais une impérieuse obligation de notre fonctionnement démocratique contre l’arbitraire.
Tout en ayant conscience de la nécessité de mettre en œuvre les mesures essentielles à juguler l’épidémie en cours, la LDH entend rappeler avec force que cela ne saurait autoriser les pouvoirs publics à porter atteinte aux libertés au-delà de ce qui peut être strictement indispensable à la lutte contre l’épidémie.
Le 24 mars 2020