18 mars – Tribune collective « Expulsions des bidonvilles, il est temps de décréter l’urgence sociale ! » publiée dans le JDD 19 mars 2019
Quelque 48 associations et collectifs du CNDH Romeurope, dont la Ligue des droits de l’Homme (LDH) s’adressent directement à Emmanuel Macron appelant à transformer ses paroles en actes et dénonçant une situation indigne.
Une expulsion tous les deux jours dans notre pays. Monsieur le Président de la République, c’est à ce rythme infernal que l’Etat détruit des baraques de bidonvilles en France métropolitaine. En 2018, 171 expulsions ont jeté à la rue 10.000 personnes, majoritairement européennes, habitant des squats ou des bidonvilles. La plupart sont des personnes fortement discriminées, notamment Roms ou perçues comme tel par les autorités ou les citoyens.
Cette augmentation de près de 40% du nombre d’expulsions par rapport à 2017 est indigne de notre pays et pousse nos 48 associations et collectifs du CNDH Romeurope à tirer la sonnette d’alarme.
Il est temps que vos paroles se transforment en actes afin de mettre en place une réelle politique nationale, volontariste et adaptée, de résorption des bidonvilles. On ne nous convaincra pas que la situation de 15 000 personnes en grande précarité représente un défi insurmontable pour un pays comme la France.
Cette politique indigne fait perdurer les bidonvilles plutôt que de les faire disparaître
Le 25 janvier 2018, huit de vos ministres signaient une instruction pour résorber les bidonvilles d’ici 5 ans. L’objectif était de ‘dépasser l’approche centrée sur les évacuations et d’inscrire l’intervention publique dans une dimension plus large, depuis l’implantation du campement jusqu’à sa disparition’. Lors de la présentation du Plan pauvreté en septembre 2018, vous annonciez solennellement : ‘Dans la droite ligne du plan Logement d’abord […], nous poursuivrons notre politique de résorption des bidonvilles, qui sont peuplés de 30% d’enfants’.
Ce discours ambitieux est en contradiction avec les faits. Au lieu de travailler à des solutions concertées avec les collectivités, les habitants, les associations et les services de l’Etat, la majorité des Préfets continuent d’expulser les habitants des bidonvilles sans proposer de solution stable (ce fût le cas pour 85% des personnes expulsées en 2018). Cette politique indigne fait perdurer les bidonvilles plutôt que de les faire disparaître.
L’accélération des expulsions est particulièrement notable à la fin de l’année scolaire et peu avant le début de la trêve hivernale. Malgré les demandes des familles et des associations de laisser les enfants scolarisés finir leur année, la trêve scolaire n’existe toujours pas : aucun enfant ne devrait être mis à la rue pendant l’année scolaire. Ce sont des mois voire des années d’école perdus pour ces enfants qui ont tant besoin d’accéder à l’éducation.
Il est indigne qu’en France en 2019, des enfants et des familles n’aient pas un toit stable sur la tête
Pourtant des solutions existent. Poussés par la mobilisation de la Dihal et les quatre millions d’euros qu’elle met à leur disposition, certains territoires (parfois les villes, parfois l’Etat, rarement les deux) ont impulsé des projets ambitieux. A Montpellier ou Villeurbanne par exemple, des personnes en bidonville ont obtenu des logements stables leur permettant de réaliser des démarches d’inclusion sociale (scolarisation, accès au parcours de soins, recherche d’emploi …). A Lille, le préfet a annoncé qu’il n’expulserait plus de bidonville sans solution de relogement.
Ces projets ont permis à des centaines d’enfants d’aller à l’école et à des familles d’accéder aux soins, de trouver des emplois déclarés et d’obtenir à un logement stable. Ils sont la preuve qu’avec du courage politique, ces personnes peuvent accéder à un logement stable et à leurs droits fondamentaux.
Mais pour y arriver, le budget dédié à la résorption des bidonvilles doit augmenter significativement. Les quatre millions d’euros sont insuffisants. D’autres mesures comme la trêve scolaire ou l’organisation de réunions partenariales pour organiser la résorption des bidonvilles doivent être mises en place rapidement.
Monsieur le Président de la République, vous devez décréter l’urgence sociale. Il est temps que l’Etat prenne ses responsabilités. Il est indigne qu’en France en 2019, des enfants et des familles n’aient pas un toit stable sur la tête et n’aient pas tous accès à l’éducation et aux autres droits fondamentaux (le travail, la culture et l’accès aux soins).
Paris, le 18 mars 2019
Les signataires : Nathalie Godard, présidente du Collectif national droits de l’Homme Romeurope ; Claire Hédon, présidente d’ATD-Quart Monde ; Florent Gueguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité ; Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre ; Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme ; Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty International France ; Dr Philippe de Botton, président de Médecins du monde ; Véronique Fayet, présidente du Secours catholique Caritas France ; Leonard Velicu, président de EURROM ; Liliana Hristache, présidente de Rom Réussite ; William Bila, président de La Voix des Rroms ; Renée Le Mignot, co-présidente du Mrap ; Thierry Mauricet, directeur général de Première urgence internationale ; Estelle Denize, présidente de Hors la rue ; François Loret, président de Convivances ; Philippe Dubois, co-président de Roms action ; Blandine Billaux, présidente du Collectif lyonnais pour l’accès à la scolarisation et le soutien aux enfants des squats (C.L.A.S.S.E.S) ; Pascal Joffroy, présidente de Système B, comme bidonville ; Loïc Gandais, président de l’Association de Solidarité en Essonne avec les familles roumaines et rroms (ASEFRR) ; Jean-Pierre Perrin, président de Rencontres tsiganes ; Aline Poupel, présidente de Romeurope 94 ; Pierre Rachet, président de l’Association Solidarité Rroms Saint-Etienne ; Intercollectif Roms 59-62 ; Collectif Solidarité Roms et Gens du Voyage Lille Métropole ; Collectif de soutien aux familles rroms du Val d’Oise ; Collectif Romeurope Anthony ; Collectif Roms Paris