« Préférence nationale » pour le RSA en Guyane. Plutôt que de le combattre, le gouvernement applique le programme de l’extrême droite 12 octobre 2018
Communiqué du collectif Migrants outre-mer, dont la LDH est membre
À l’article 27 du projet de loi de finances pour 2019 consacré à la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA) en Guyane et à Mayotte [1] le gouvernement a glissé une mesure d’exclusion des personnes étrangères (non ressortissantes de l’Union européenne).
Le droit au RSA est depuis 2004 soumis à une condition d’antériorité ininterrompue de titres de séjour de cinq années en métropole et dans les DOM, mais, déjà, de quinze années à Mayotte depuis 2012. La réforme ferait passer en Guyane de cinq à quinze années cette condition. Elle irait jusqu’à l’étendre aux bénéficiaires potentiels du RSA majoré (pour cette prestation, qui concerne des parents isolés, seule une condition de régularité, non d’antériorité de titres de du séjour, est prévue en métropole et dans les autres DOM, Mayotte compris) [2].
Cette réforme revient de fait à exclure du RSA les personnes étrangères, même celles résidant avec un titre de séjour depuis très longtemps. En raison des pratiques des préfectures, en effet, il est impossible de pouvoir justifier d’une continuité complète durant une durée aussi exorbitante, car lors du renouvellement des titres de séjour, interviennent des ruptures, de quelques semaines à quelques mois, faisant « repartir les compteurs zéro » pour l’acquisition de la durée exigée. L’exclusion de fait des personnes étrangères pour l’accès au RSA, qui s’observe déjà de plus en plus souvent en métropole, alors que l’exigence d’antériorité ininterrompue de titres n’est « que » de cinq années, sera systématique en Guyane avec une durée portée à quinze années, comme elle l’est déjà à Mayotte (où le service public des étrangers est même fermé depuis plusieurs mois !) [3].
Cette condition n’est certes pas de la « préférence nationale » (ou européenne) d’un strict point de vue juridique [4] mais elle en a les effets. Contraire aux principes d’égalité et de non discrimination, sa légalité est probablement très douteuse au regard de la Constitution ou des textes internationaux : dans un avis portant sur le projet d’ordonnance d’extension du RSA à Mayotte, le Conseil d’État avait d’ailleurs considéré qu’une condition de quinze années méconnaîtrait le principe d’égalité constitutionnel [5].
Le gouvernement doit cesser de faire siennes les revendications de l’extrême droite [6].
Nous demandons aux parlementaires de refuser une telle dérive.
Le 10 octobre 2018,
Signataires : Aides, Cimade, Comede, Fasti, Gisti, Ligue des droits de l’Homme (LDH), Section de Cayenne de la LDH, Médecins du Monde,
[1] Projet de loi de finances pour 2019 , n° 1255 , déposé à l’assemblée nationale le lundi 24 septembre 2018 – Article 27 p. 95
[2] Sur les textes relatifs à cette condition, voir les liens consacrés au RSA et aux droits sociaux en outremer
[3] Voir « Mayotte : les guichets préfectoraux fermés depuis avril 2018 aux personnes étrangères », reprenant notamment des communiqués du Défenseur des droits, de la Cimade et de la Ligue des droits de l’Homme.
[4] Voir ce qui s’appelle en droit une « condition de nationalité »
[5] Avis du Conseil d’État du 20 mai 2010 (figurant sur le site internet du Conseil d’État et dans le Rapport 2012 du Conseil d’Etat, volume 1, page 202).
[6] Voir « Les minima sociaux et les étrangers : faut-il accompagner et légitimer plutôt que combattre l’extrême droitisation en cours ?, par Antoine Math, », Combats pour les droits de l’homme (CPDH), 8 décembre 2016.