Recensement des évacuations forcées de lieux de vie occupés par des Roms (ou des personnes désignées comme telles) en France en 2017 7 février 2018
L’année 2017 a été marquée par des expulsions intensives touchant à 71% des personnes vivant en bidonvilles et squats[1] mettant des milliers de familles roms à la rue.
Entre janvier et décembre, 11 309 personnes issues de la communauté rom ou désignées comme telles ont fait l’objet d’expulsions de 130 lieux de vie, bidonvilles et squats, situés en France, dont la majorité (8 161 personnes) ont été contraintes de quitter les lieux par les autorités au cours de 98 opérations ; 1 093 ont été expulsées suite à des incendies qui se sont déclarés dans 12 lieux de vie informels. A cela s’ajoute 2 055 personnes ayant quitté 20 lieux de vie avant l’arrivée des autorités sous la pression d’une expulsion imminente. Les expulsions recensées en 2017 représentent une augmentation de 12% par rapport à 2016 (10 119).
Le nombre d’expulsés de force par les autorités le plus élevé a été observé entre juillet et septembre avec 3 436 personnes concernées. Ces opérations ont connu une diminution lors du dernier trimestre de l’année avec 2 036 personnes expulsées. Néanmoins elles restent particulièrement préoccupantes puisque la loi Egalité et Citoyenneté entrée en vigueur le 27 janvier 2017[2] ouvre désormais la possibilité d’appliquer la trêve hivernale pour les habitants vivant dans des bidonvilles, et d’apprécier les délais pour procéder à ces expulsions. Ces bonnes intentions de principe n’ont pas été appliquées pour ces familles roms, comme l’ont démontré les résultats du recensement. Des expulsions ont été exécutées par les autorités en dépit des conditions hivernales durant le premier trimestre 2017, ainsi qu’en novembre et décembre. Une accélération des évacuations de terrain a été observée peu avant le 1er novembre (début de la trêve hivernale) : 669 personnes ont été contraintes de quitter dix lieux de vie entre le 25 et 31 octobre alors que les chiffres pour le mois s’élèvent à 1 490 personnes, soit 45% du total pour le mois en l’occurrence.
Douze évacuations ont eu lieu suite à des incendies touchant 1 093 personnes. Le nombre de ces opérations a été particulièrement élevé lors du premier trimestre, quand 847 individus ont été contraints de quitter leurs lieux de vie suite à des incendies qui se sont déclarés dans six lieux de vie informels, bidonvilles et squats. Dans la majorité de cas, ils se caractérisent par des conditions de vie très précaires, sans eau potable, ni assainissement. C’était le cas d’un lieu de vie situé dans le 15e arrondissement de Marseille où un incendie s’est déclaré la nuit de 8 au 9[3] décembre causant la mort d’un homme âgé de 35 ans[4], membre de la communauté rom. Le rapport de l’ERRC, intitulé Thirsting for justice[5] publié en mars 2017 incluant des enquêtes dans 18 lieux de vie informels en France a révélé « des disparités choquantes dans des conditions d’accès à l’eau potable entre des Roms et le reste de la population ». Ces conditions, qui ont un impact direct sur la santé et la sûreté de la personne, augmentent la probabilité d’incidents tragiques et, dans certains cas, fatals.
A cela s’ajoutent 2 055 individus qui ont quitté vingt lieux de vie avant l’arrivée des autorités ayant pour objectif d’exécuter une expulsion. Le pic a été noté durant la période estivale lorsque 1 074 personnes ont quitté leurs lieux de vie sous la pression d’une expulsion imminente. Il convient de souligner que la majorité de ces lieux de vie a été frappée par une décision de justice ordonnant l’évacuation du terrain occupé ou bien par un arrêté administratif de dangerosité pris par les autorités communales/préfectorales ordonnant une expulsion sous 48 heures.
En 2017, le nombre d’évacuations suite à un arrêté de dangerosité/péril pris par des maires ou des préfets a diminué par rapport à l’année précédente. 35 expulsions ont été exécutées à la suite des décisions administratives par rapport à 61 évacuations fondées sur des décisions de justice. Cependant des expulsions fondées sur de tels arrêtés municipaux ou préfectoraux reposent uniquement sur une décision administrative sans qu’il y ait l’intervention du juge étant en mesure d’apprécier la légalité, l’opportunité, les méthodes et les délais des opérations.
La moitié des expulsions ont été exécutées sans qu’elles aient été accompagnées de mesures de relogement. Des propositions d’hébergement ont été faites dans 64 cas sur un total de 130 opérations. Ainsi, des centaines de familles et d’individus ont été mis à la rue lors des 66 autres opérations, qui ont été menées sans qu’aucune solution alternative de relogement ou d’hébergement ne soit proposée aux personnes concernées. Il convient de noter que lorsque des mesures de relogement sont prises par les autorités, elles sont souvent limitées à un hébergement de courte durée dans des hôtels sociaux ou une mise à l’abri dans des bâtiments publics (un gymnase par exemple). Ces mesures sont en contradiction avec les orientations fixées par la circulaire de 26 août 2012[6], qui prévoit une obligation pour les autorités de réaliser un diagnostic préalable, ainsi que des réponses de relogement adaptées aux besoins des personnes concernées. En outre, les solutions proposées par les autorités ne concernent qu’une partie des personnes expulsées, considérées comme vulnérables. Ces réponses apportées semblent être inefficaces car elles ne prévoient pas de solutions de relogement pérennes pour faciliter l’accès au logement et combattre le problème de mal-logement auquel sont confrontées les familles roms précaires partout en France. En conséquence, elles retournent vivre dans des bidonvilles ou des squats où elles sont susceptibles de faire face à des nouvelles expulsions, les plongeant encore plus dans la pauvreté et la précarité. Ceci a été observé à Paris lorsque les mêmes familles roms[7] ont fait l’objet d’expulsion à deux reprises en 2017 du même lieu de vie, situé près de Porte de la Chapelle : la première évacuation du terrain date de 28 février[8]; neuf mois plus tard elles ont été expulsées à nouveau du même endroit.
De plus, l’absence de solutions de relogement pérennes et les expulsions à répétition conduisent à une migration forcée au sein d’un département ou d’une région, ayant des conséquences négatives sur l’accès aux droits et le processus d’intégration des Roms vivant en bidonville ou en squats en France.
Quelques résultats positifs ont été notés à Toulouse où, le 10 juillet, les autorités locales et l’Etat ont démantelé le bidonville Ginestous[9] à la suite d’une décision de justice en respectant les obligations prévues par la circulaire de 26 août 2012. Lors de cette opération conjointe des autorités locales, l’Etat et la société civile, 165 sur le total de 350 personnes expulsées se sont vues proposées une solution de relogement ou d’hébergement par l’Etat ou la mairie. De plus, des engagements spécifiques ont été pris par la mairie afin de faciliter l’inclusion sociale de 119 personnes, dont 40 mineurs dans le domaine de logement, l’éducation et l’emploi en signant une convention d’occupation d’un lieu d’hébergement avec les familles[10]. Durant le dernier trimestre 2017, la commune de Rezé a adopté des mesures de démantèlement de deux bidonvilles, où vivaient des familles roms pendant plus d’un an, déplaçant 126 personnes vers un terrain où elles peuvent bénéficier de meilleurs conditions de vie, y compris d’accès à l’eau et d’assainissement, ainsi que d’un accompagnement social vers l’intégration[11]. Ces exemples montrent qu’une résorption des bidonvilles à travers une approche socialement responsable et des solutions de relogement pérennes pour les personnes expulsées sont possibles lorsqu’il y a une volonté politique et une coopération entre les autorités locales, l’Etat et les citoyens facilitant l’intégration des familles roms précaires dans la société française. Néanmoins ces mesures restent des cas isolés, puisque la grande majorité des expulsions sont menées sans qu’il y ait des solutions durables pour favoriser l’accès au logement et permettre aux familles roms précaires de combattre le mal-logement, la pauvreté et l’exclusion sociale.
Les résultats de recensement ont montré que 59 des évacuations concernent des lieux de vie situé sur un terrain public, comparés aux 41 terrains privés. Ceci ne correspond pas au recensement récent[12] de camps illégaux, bidonvilles et squats publié par la Délégation interministérielle d’accès au logement et l’habitat (DIHAL), qui a démontré une répartition quasi égale entre les lieux de vie situés sur des terrains publics (51%) et des terrains privés (48%). Le taux élevé d’évacuation des terrains publics suggère un manque de volonté politique de la part des autorités publiques d’intégrer les familles roms vivant en bidonvilles et squats en France pendant des années[13]. De plus, seulement 17 projets d’aménagement ont été recensés concernant les terrains évacués, ces projets étant pourtant souvent évoqués pour justifier la nécessité d’évacuation du terrain occupé.
Les résultats indiquent, comme dans les années précédentes, que la région Île-de-France reste au cœur des opérations et concentre la majorité des personnes expulsées avec 63 % du nombre total recensé en 2017 et 66 opérations enregistrées dans la région parisienne, alors que le recensement[14] de la DIHAL datant d’avril 2017 indique que 38% des personnes vivant en bidonvilles et squats sont en Île-de-France. Le reste des évacuations de terrain se répartit entre l’Auvergne-Rhône-Alpes (10%), la PACA (8%), l’Occitanie (6%), le Pays de la Loire (6%) et les Hauts-de-France (5%).
L’année 2017 a aussi été marquée par un nouveau quinquennat présidentiel et des promesses pour une approche envers la résorption des bidonvilles respectant les droits de l’Homme. « La destruction sans solution alternative est une méthode aussi hypocrite que coûteuse et inefficace. Il revient donc à la puissance publique, en lien avec les habitants, les riverains et les associations de trouver des solutions avant chaque destruction ou évacuation, pour que celle-ci ne se traduise pas par la création simultanée d’un nouveau camp » a affirmé le candidat Emmanuel Macron avant les élections[15]. Néanmoins, la réalité est autre. Des expulsions sans solutions de relogement ont été observées en 2017, après l’élection du nouveau président de la République.
Par ailleurs, l’année 2017 aura encore été marquée par des propos racistes et des discriminations à l’encontre des communautés roms. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a souligné la présence « d’un racisme intensifié » à l’encontre des Roms, conduisant à des violations des droits fondamentaux et révèle « une politique ambiguë de résorption des bidonvilles dans laquelle l’approche répressive a été privilégiée […] » menant vers « une errance organisée[16].»
Ce recensement est le fruit d’un travail commun entre la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et l’ European Roma Rights Centre (ERRC), avec le soutien du Collectif national droits de l’Homme Romeurope. Sans avoir la prétention à l’exhaustivité de la situation étant donné le manque de données officielles disponibles, ce recensement voudrait cependant en être l’expression la plus objective possible.
Téléchargez le document complet
Version anglaise du recensement disponible sur ici et site du ERRC : www.errc.org
[1] Etat des lieux national des campements illicites, grands squats et bidonvilles – Avril 2017.
[2]https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000033934948&categorieLien=id
[5] http://www.errc.org/article/thirsting-for-justice-new-report-reveals-depth-of-discrimination-faced-by-europes-roma-in-accessing-water/4561
[7]RFI, 28 novembre : http://www.rfi.fr/france/20171128-paris-campement-rom-evacue-france-fois-3-ans-nord-communaute
[8]Europe 1, 28 février : http://www.europe1.fr/societe/a-paris-un-camp-de-roms-evacue-2990027
[9] Mairie de Toulouse, communiqué de presse, 10 juillet 2017.
[10] Lettre d’information Dihal, juillet/août 2017.
[11] Ouest-France, 18 octobre : https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/les-roms-de-reze-dans-leur-nouvelle-vie-5321059
[12] Etat des lieux national des campements illicites, grands squats et bidonvilles – Dihal, avril 2017.
[13] Depuis 2012, le nombre de personnes vivant en bidonvilles/squats varient entre 15 000 et 20 000 (Source Dihal).
[14] Dihal, Etat des lieux national des campements illicites, grands squats et bidonvilles, avril 2017 (9e édition).
[15]http://www.romeurope.org/reponse-candidats-a-presidentielle-2017/
[16] Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), rapport surla lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, 2016, p.18.