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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

Juillet-août 2012 en Algérie 5 septembre 2012

« Qui peut accepter dans ces temps de canicule, en plein mois de Ramadan, un quotidien fait de prix exorbitants, de délestages répétés, d’incendies ravageurs qui détruisent oliviers et forêts et menacent nos villages, de pénurie d’eau sous des chaleurs suffocantes ? » (Ali Laskri, premier secrétaire du FFS, 24/08/2012)

Emeutes et mouvements sociaux

Emeutes de l’électricité

Les coupures d’électricité sans préavis, quotidiennes, longues parfois de plusieurs jours ont provoqué cet été des émeutes dans un grand nombre de communes du pays y compris dans les grandes villes : le 9 juillet à El Bouni (près d’Annaba), le 11 juillet à Tolga (près de Biskra), le 14 juillet à Biskra, le 15 juillet à El Kantara, le 31 juillet à Ghardaïa, le 4 août à Boukhadra (Annaba) le 7 août à Constantine, le 13 août à Alger (quartier de Bachdjarah) etc. Chaque été, depuis maintenant plusieurs années, c’est le même scénario qui se répète : le fournisseur public d’énergie, Sonelgaz, confronté à de fortes consommations, opère des délestages et coupe le courant dans plusieurs régions du pays. Un réseau vétuste et l’insuffisance de centrales électriques sont à l’origine de cette pénurie. Les foyers des régions qui ont subi des pannes électriques ont également été privés d’eau car les unités de pompage qui fonctionnent au courant électrique ont été paralysées. Par des températures dépassant les 40 degrés et en pleine période de ramadan, les épreuves subies par les victimes de ces coupures d’électricité et d’eau (particuliers, commerçants, services publics…) ont été particulièrement dures ; leurs réactions dans la rue aussi.

Emeutes du logement

Le 3 juillet à Mascara, le 9 juillet à Freha (Tizi Ouzou), le 23 juillet à Batna, le 22 août à El Tarf, le 26 août à Alger (quartier de Baraki)…A El Tarf, la population excédée par les difficultés de logement mais aussi par les sempiternels problèmes de pénurie d’eau, de coupures de courant, d’éclairage public, les ordures ménagères, les eaux usées qui se déversent dans le lac Oubeïra, les chaussées complètement défoncées qui n’ont pas été revêtues depuis 40 ans etc., a bâti un mur de briques barrant la rue principale du village.

Le mouvement des gardes communaux

En 1996, un décret portait création du corps de la garde communale, dans lequel des milliers de citoyens furent armés pour lutter contre le terrorisme aux côtés des forces de l’ordre et de l’armée. Depuis, le terrorisme a reculé dans le pays mais il reste encore 94.000 gardes communaux sur le terrain. Ils sont les premiers au contact des groupes armés qui sévissent toujours dans plusieurs régions du pays. Ils en sont aussi les premières victimes. Assimilés maintenant à des agents administratifs, ils refusent la dissolution de leur corps et réclament de meilleurs salaires (actuellement 140 € par mois) et plus de reconnaissance. Leur mouvement, ininterrompu depuis deux ans, a pris une envergure nationale au début du mois de juillet. Deux marches sur Alger ont été réprimées par les forces de l’ordre. Les récentes négociations avec la tutelle ont été décidées après que la coordination nationale du mouvement a mis fin à sa mobilisation en détruisant le camp de fortune de Boufarik où les gardes communaux ont passé près de la moitié du mois de ramadan.

Incendies

Plus de 50.000 hectares de forêts ont brûlé en quelques semaines en Algérie cet été. Les températures exceptionnellement hautes (jusqu’à 50°) de cette période sont un facteur majeur de ces catastrophes, mais dans le climat de tensions sociales et politiques actuelles, outre la dénonciation d’un système de protection et d’intervention obsolète, les interprétations sur l’origine des incendies n’ont pas manqué. La rumeur, parfois relayée par la presse, a mis en cause les gardes communaux mais aussi les militaires de l’ANP. Ainsi, selon certains, l’incendie volontaire serait utilisé par l’armée pour déloger les terroristes de leurs repères, alors que pour d’autres, le bras de fer entre l’état et les militaires conduirait ces derniers à pousser les populations à la révolte, notamment en Kabylie où les incendies ont été particulièrement nombreux et destructeurs.

Hausse des prix

Les prix à la consommation ont augmenté de plus de 8% au mois de juillet dernier par rapport à la même période de 2011, accentuant ainsi le rythme d’inflation en glissement annuel qui a atteint 7,5% contre 7,3% en juin dernier, selon l’Office national des statistiques. Tous les produits alimentaires frais ont connu des hausses, notamment la viande ovine (30,3%), les fruits frais (28,7%), les légumes (5,66%), la viande de poulet (16,3%), les poissons frais (15,5%) et la viande bovine avec plus de 8%.

Après les élections législatives

Trois mois après les législatives, l’Algérie attend toujours son nouveau gouvernement. Depuis le 10 mai, en effet, six départements se retrouvent sans ministre. Il s’agit des ministères de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, des transports, de la Poste et des technologies de l’information, des travaux publics, du travail et de la sécurité sociale, et enfin du ministère de l’Environnement et de l’aménagement du territoire. Par ailleurs, la situation actuelle provoque de sérieux dysfonctionnements, particulièrement en raison de l’incertitude qui entoure l’avenir du premier ministre Ahmed Ouyahia. Le parti de M. Ouyahia, le Rassemblement national démocratique (RND) a été laminé aux élections législatives, ce qui a placé le premier ministre dans une position très inconfortable vis-à-vis de ses ministres. Ceci altère gravement la cohésion et la discipline au sein d’un gouvernement où certains ministres, considérés comme proches du chef de l’Etat, ne reconnaissent pas l’autorité du chef du gouvernement. L’opinion publique s’interroge sur les raisons de la léthargie qui frappe le pays, et l’absence prolongée et surtout inexpliquée du chef de l’Etat qui n’a pas vu la nécessité de s’adresser à ses concitoyens à l’occasion de la timide célébration du 50e anniversaire de l’indépendance. Enfin, l’opacité qui règne sur la prochaine révision de la Constitution (aucune consultation des partis politiques et de la société civile) confirme que les méthodes de gouvernance n’ont pas changé et annonce un rafistolage de plus.

L’opposition, toutes tendances confondues, ne se prive pas de dénoncer cette léthargie institutionnelle qu’elle met sur le compte des luttes intestines au sein de la majorité FLN – RND, artificiellement maintenue au pouvoir à l’issue d’une consultation électorale truquée. Mais cette opposition n’est, elle-même, pas sortie indemne des législatives. Le FFS, principal parti démocratique et laïque d’Algérie ayant participé aux élections, traverse une grave crise. La décision de participer aux élections et le choix des candidats avaient divisé les cadres du parti et des voix critiques s’étaient faites entendre sur cette stratégie. Une fois les élections passées, des sanctions ont été prises à la demande de Ait Ahmed, le leader charismatique de la formation depuis 1963. En réponse, courant juillet, une vingtaine de cadres dirigeants du parti ont démissionné et envisagent de créer un nouveau parti. Les tensions dans les sections du FFS sont vives. La mouvance islamiste, regroupée pour les législatives en une alliance « verte », a volé en éclat à la suite de sa déroute électorale ; de nouveaux micro-partis voient le jour dans la perspective des élections municipales, fin novembre.

La grande mosquée à la gloire de Bouteflika

Tout homme de pouvoir cherche à laisser une trace de son passage au pouvoir. Le président algérien a choisi de se construire la plus grande mosquée du monde. La nouvelle mosquée d’Alger, Djamaâ El Djazaïr, aura un minaret de 270 m de hauteur avec 25 étages, le plus grand du monde, devant celui de la Grande mosquée Hassan II à Casablanca, long de 210 m. Le tout construit sur 20 hectares dans l’est de la capitale, face à la baie d’Alger. La salle de prière pourrait selon l’AFP accueillir au moins 120.000 fidèles. Les travaux ont commencé le 16 août dernier. Coût estimé : un milliard d’euros. À cela s’ajouteront plusieurs millions d’euros annuels d’entretien et de salaires pour les employés qui y travailleront. Comme pour la plupart des grands chantiers BTP en Algérie, des milliers d’ouvriers chinois sont arrivés pour accomplir les travaux, la réalisation de la grande mosquée ayant été confiée à la société chinoise China State Construction Engineering Corporation (CSCEC). La plupart des algériens ont du mal à admettre qu’il y avait là une priorité pour le pays.

Droits de l’homme

Mohamed Smaïn, incarcéré le 19 juin dernier pour avoir dénoncé des crimes odieux commis à Relizane durant la décennie 1990 au nom de la lutte antiterroriste (cf Eclairage 11), a été libéré ce vendredi 6 juillet, à la faveur de la traditionnelle grâce présidentielle du 5 juillet. « J’ai été gracié comme tout le monde avec les gens détenus pour des délits de droit commun », a-t-il déclaré quelques heures après sa libération. Les 18 jours passés en prison n’ont toutefois pas entamé sa volonté de poursuivre sa lutte pour la défense des droits de l’Homme. Mohamed Smaïn tient absolument à dénoncer les conditions dans lesquelles vit la population carcérale en Algérie. « Les personnes sont traitées comme des bêtes et sont violentées quand elles réclament leurs droits… Vous avez par exemple une salle de détention conçue pour une quinzaine de personnes mais où on en entasse une cinquantaine. Elles dorment alors à tour de rôle », raconte t il.

Abdelkader KHERBA, membre du comité national pour la défense des droits des chômeurs affilié au SNAPAP et militant des droits de l’homme a été arrêté mardi 21 aout à KSAR EL BOUKHARI après un rassemblement de protestation contre les coupures d’eau.

Est-ce une conséquence des élections ? La Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme (Cncppdh, présidée par Farouk Ksentini) régulièrement désignée dans cette rubrique comme une officine du pouvoir algérien, vient de publier son rapport annuel dans lequel, et c’est une surprise, un bilan très critique des droits de l’homme en Algérie est présenté. Voici comment le journaliste Mustapha Hammouche présente ce rapport dans l’édition du 26 août 2012 du quotidien Liberté

« Il a fallu cinq ou six mois pour que la CNCPPDH se résolve à rendre public le rapport 2011 sur les droits de l’Homme remis au président de la République à la fin du premier trimestre 2012. À moins que l’on ait attendu cette fin d’été caniculaire, éloquente quant au déficit de gestion politique du pays, pour autoriser la commission à diffuser son procès-verbal. Mais s’il ne révèle rien qui ne soit connu d’une gestion ruineuse, le rapport est accablant quant à une faillite politique, économique et sociale que la rente n’arrive plus à masquer. Il faut croire que Farouk Ksentini a fini par renoncer à toute ambition politique pour assumer enfin un rapport qui renferme des vérités établissant le fondement politique des fléaux qui sanctionnent l’économie du pays et hypothèquent ses chances d’amorce de développement. Il est, ainsi, significatif que la CNCPPDH appelle à une lutte “effective et sans relâche” contre la corruption, posant, pour la première fois dans un document, la présomption que la lutte contre la corruption n’est pas effective et qu’elle n’est donc que fictive. Mieux, la commission précise les modalités d’encouragement et de protection des castes autorisées à l’enrichissement par la corruption  : elle consiste en ce que la sanction ne menace que des personnes “secondaires”. Si l’État venait à se résoudre à une lutte “effective” contre ce fléau, celle-ci devrait toucher, aux termes du rapport de la CNCPPDH, même les hauts fonctionnaires exerçant dans les hautes institutions étatiques.

Pour l’heure, “la volonté politique” ne suffit pas face à “une administration dirigée, aux différents échelons et dans une large mesure, par des personnes pistonnées, imposées ou cooptées qui sont au service de leurs propres intérêts et de ceux de leurs ‘’bienfaiteurs’’ et non au service exclusif du peuple”. En d’autres termes, la commission établit que la hiérarchie administrative a fait de l’État un instrument au service des intérêts de ses dirigeants “pistonnés, imposés et cooptés” et de leurs “bienfaiteurs” qui ont le pouvoir — politique — de nommer de hauts cadres. Même si le document concède que “la volonté politique pour ancrer les droits de l’Homme dans la vie quotidienne des citoyens existe”, il bat, ici, en brèche cette concession. Le système est conçu pour servir les intérêts des castes avant l’intérêt du peuple. Pire, “les fonctions au service des institutions de l’État sont devenues une source d’enrichissement et un moyen de servir des intérêts privés”. Ainsi, le détournement politique des prérogatives fonctionnelles au profit de l’enrichissement personnel et clanique a fini par diffuser cette culture prédatrice à l’ensemble de la société ; celle-ci a “miné le tissu social” et “essaimé dans l’ensemble du territoire national” et a fini par détruire les valeurs fondamentales du travail, de la compétence, du savoir, de la crédibilité et de la citoyenneté en Algérie, explique le document. Qu’importe que ce document préserve “la volonté politique”, réduite d’ailleurs à “un discours politique” et “de bonnes intentions” (qui) à eux seuls ne suffisent pas. Le rapport confirme l’origine politique de la pratique de la corruption en Algérie et confirme que nous sommes bien dans le cas d’un État soumis, dans son fonctionnement, à la production de la corruption. »