Mouvements sociaux, LADDH 7 novembre 2011
L’Algérie n’est pas un pays endetté, l’Algérie est un pays riche. La rente pétrolière lui permet d’avoir une balance commerciale excédentaire depuis près de 20 ans et des réserves estimées en 2009 à 150 milliards de dollars. La misère et la détresse populaires rapportées chaque mois dans cette rubrique sont à mettre en regard de cette abondance financière.
Mouvements sociaux
L’actualité sociale en Algérie est quotidiennement et minutieusement rapportée et archivée sur le blog « ecoutevoisparle.over-blog.net », tribune libre et engagée de critique culturelle, sociale et politique de l’Algérie au jour le jour.
Les émeutes sont recensées grâce aux informations qu’Alain Bertho, professeur d’anthropologie à l’université Paris8, met sur le site : http://berthoalain.wordpress.com/documents/emeutes-en-algerie/
Conditions de vie. Le 2 octobre les habitants de Toumiate (près de Skikda) estimant que l’eau qui leur est desservie est impropre à la consommation, ont de nouveau (cf. février de cette année) dressé des barricades et affronté les gendarmes pour protester contre l’inertie des pouvoirs publics. Trois gendarmes blessés et six manifestants arrêtés. Le 5 octobre, les habitants d’Oum Chegague (500 km au sud d’Alger) ont dénoncé la situation catastrophique de leur village en en bloquant toutes les entrées. Ils réclamaient la programmation d’un lycée et d’un collège, ainsi que la construction d’un stade avec une salle couverte, comme promis par les autorités. Le manque d’eau, le manque d’entretien des routes et le problème du transport motivaient aussi cette manifestation. Le 12 octobre, à Bordj Bou-Arréridj (Kabylie) des dizaines d’habitants ont bloqué la voie ferrée à l’aide de troncs d’arbre et de blocs de pierre. Certains ont même tenté de déboulonner les rails. Les protestataires manifestaient, entre autres, pour obtenir l’entretien des réseaux d’assainissement et l’eau potable. Le même jour, la population de Béni Khaled (wilaya de Sétif) protestait contre la délocalisation du projet de construction d’un lycée vers une autre localité. La colère des habitants a été attisée par l’arrivée sur les lieux des forces anti-émeutes chargées de disperser les quelque 700 manifestants qui protestaient contre ladite décision. Une vingtaine de personnes ont été arrêtées. Le 27 octobre, des habitants d’Oued Chouiker (près de Skikda) ont bloqué la route conduisant à leur village à l’aide de pneus et de troncs d’arbres, pour protester, comme ils le font depuis avril, pour obtenir des conditions correctes d’alimentation en eau potable et d’éclairage public.
Logement. Les 6 et 7 octobre, de violents affrontements ont opposé, à Bir Ghbalou (à l’ouest de Bouira), des jeunes déchaînés aux forces antiémeute de la police et de la gendarmerie. Plaques de signalisation, poteaux électriques et autres mobiliers urbains ont été la cible des jeunes émeutiers qui ont investi les principales rues du centre-ville. Les sièges de l’APC et de la daïra ont été saccagés. Les émeutiers protestaient contre leur exclusion de la liste des bénéficiaires de 102 logements sociaux rendue publique dans la matinée de mardi et dénoncent la manière avec laquelle ont été distribués ces logements. Le 9 octobre, les habitants de la cité Sonelgaz de Ben Aknoun (Alger) ont investi la rue pour réclamer la cession à leur profit des logements de fonction qu’ils occupent depuis plus de vingt ans. De violents heurts entre les forces de l’ordre, venues nombreuses, et les jeunes du quartier ont éclaté sur-le-champ. Echanges de jets de pierres, cocktail Molotov et gaz lacrymogène, pneus et branchages d’arbres brûlés jonchaient le quartier. Le 6 octobre, une jeune femme âgé de 30 ans, divorcée et sans emploi, mère de deux enfants, s’est aspergée d’essence avant de s’allumer à l’aide d’un briquet au moment où un huissier de justice accompagné d’un agent de police venait exécuter une décision d’expulsion du domicile. La jeune mère et le policier, lui aussi atteint par les flammes sont morts, un des enfants est gravement brûlé.
Harraga. Le 20 octobre, dans la soirée, des jeunes en colère ont incendié, le bureau de poste, le siège de l’APC et le parc de la commune de Hadjadj, près de Mostaganem. Dés 21 heures de longues rafales de fusil mitrailleur résonnaient dans la cité, créant une intense frayeur dans la population. Plus d’une centaine de jeunes, dont des mineurs, ont été appréhendés par les services de sécurité et seront traduits devant la justice. L’élément déclencheur de cette émeute est la mort par noyade au large des cotes espagnoles, de 5 jeunes originaires de Hadjadj. Deux semaines auparavant, 3 embarcations ayant à leur bord plus de 30 harragas partaient du rivage de la plage de Hadjadj ; les 5 victimes étaient à bord de l’une de ces embarcations.
Chômage et conflits du travail. Le Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) avait annoncé la tenue le 9 octobre d’un sit-in devant la résidence présidentielle à Alger. Le 9 au matin, la police procédait à des arrestations préventives à la sortie de la Maison des syndicats à Dar El Beida (banlieue est d’Alger) où des membres de la CNDDC avaient passé la nuit. D’autres militants ont été arrêtés alors qu’ils se rendaient sur le lieu de rassemblement. Créé le 06 janvier 2011, le comité National pour La Défense des Droits des Chômeurs (CNDDC) est une organisation qui lutte pour la défense des droits moraux et matériels des chômeurs. Plusieurs militants de cette organisation ont fait l’objet d’arrestations, d’intimidations et de harcèlements de la part des autorités.
Le 12 octobre, un jeune chômeur de 31 ans s’est immolé par le feu dans la localité de Sidi Lahcen (près de Sidi Bel Abbès)
Parmi d’autres conflits dans les entreprises algériennes, celui de l’entreprise publique économique de construction métallique Batimétal d’Annaba est le plus spectaculaire. Les 600 travailleurs de Batimétal sont en grève depuis le 19 octobre, pour l’augmentation des salaires et des indemnités ainsi que pour la « permanisation » des salariés recrutés dans le cadre des contrats à durée déterminée. Certains salariés ne touchent même pas la moitié du Salaire National Minimum Garanti. Les grévistes demandent aussi une commission d’enquête sur la situation de l’entreprise. Les affrontements avec la gendarmerie ont entraîné des dizaines de victimes et arrestations. Le conflit est toujours en cours.
Grèves catégorielles. La rentrée a été marquée par de nombreuses grèves dans le secteur de l’éducation ; les enseignants des premiers et second degré ont tenu des grèves de plusieurs jours, comme les personnels non enseignants (dits « corps communs de l’éducation ») avec des revendications essentiellement salariales. Deux autres mouvements de grève illimitée ont eu un retentissement considérable dans le pays. Le premier est celui déclenché le 22 octobre par l’Union des barreaux d’Alger. Le mot d’ordre de grève générale a été massivement suivi par les avocats au niveau de toutes les juridictions qui ont été totalement paralysées. Le principal objectif des robes noires est de dénoncer le projet de loi régissant la profession d’avocat récemment rendu public. Les avocats reprochent au texte incriminé d’être en contradiction totale avec les orientations affichées par le président Bouteflika sur les réformes politiques, les libertés publiques et les droits humanitaires et de constituer « une régression pour les droits de la défense ». Une autre grève illimitée déclenchée le 27 octobre par les médecins spécialistes de la santé publique a débouché rapidement sur des négociations et des engagements ministériels sur le statut et les rémunérations de ces médecins. A cela on peut ajouter, un mouvement de protestation des retraités qui à travers tout le pays ont fait pendant plusieurs jours des sit-in pour dénoncer la baisse de leurs pensions, la grève des cheminots, la grève des agents de sécurité et de prévention et les grèves d’étudiants très nombreuses (et parfois violentes) en cette rentrée qui dans certaines université n’a pas encore eu lieu.
Du côté de la Ligue Algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH).
« Projets de textes de loi : un pas vers les réformes ou une consécration du statu quo ? » Tel était le thème d’une conférence-débat organisée, le 27 octobre à Alger, par la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (Laddh). Les conférenciers étaient invités à procéder à l’analyse des principaux projets de textes élaborés dans le cadre des « réformes politiques » promises par le président Bouteflika.
Selon le président de la Laddh, Mostefa Bouchachi, il n’y a aucune illusion à se faire. « Les nouveaux projets de loi présentés comme étant des textes de réformes politiques consacrent, en réalité, un recul dangereux par rapport aux acquis des Algériens »
« Le nouveau projet de loi sur l’information ne présente aucune avancée. Même chose pour les projets de loi sur les associations et celui sur les partis politiques. Pour la création d’un journal, d’une association ou d’un parti politique, le dernier mot revient toujours à l’administration. Ce sont des textes qui ne répondent à aucune des attentes de la société algérienne. Même les propositions du CNES sur le mouvement associatif n’ont pas été prises en compte, alors que cet organisme est proche du pouvoir. » Et d’interroger : « Pourquoi le régime totalitaire algérien accepterait-il, de son propre gré, de nous donner la démocratie ? Il ne le fera pas sans une mobilisation permanente de la société civile. La dictature est comme un cancer, si on ne le traite pas, il prolifère »
Le président de la Laddh, a également réitéré l’appel de la Ligue à l’abolition de la peine de mort en Algérie « Des centaines de condamnations à mort sont prononcées annuellement. C’est une torture quotidienne pour les condamnés « . Analysant les textes législatifs, Me Bouchachi relève que « pas de moins de 15 articles évoquent la peine de mort ; 95% de ces articles condamnent des faits à caractère politique. La peine de mort est donc utilisée pour terroriser l’opposition en Algérie », dénonce-t-il.
Dans ce contexte, a affirmé Me Bouchachi : « Malgré le sacrifice de nos martyrs pour recouvrer notre indépendance, nous évoluons toujours comme des sujets dans un Etat de non droit sous un régime totalitaire » « Notre démission ou notre silence aide le pouvoir à mettre en application son plan anti-changement., il veut seulement gagner du temps pour arriver aux élections de 2012 ».
Dans la dernière semaine d’octobre, la LADDH s’est fortement mobilisée à propos de l’enlèvement de Noureddine Belmouhoub. Ce défenseur des droits de l’Homme âgé de 63 ans, porte-parole du Comité de défense des ex-internés des camps de sûreté (CDICS) a été kidnappé en pleine rue à Alger le 23 octobre. Relâché trois jours plus tard par ses ravisseurs, il confirme les soupçons formulés publiquement par la LADDH. Ce sont « des éléments de la police politique » qui l’ont enlevé et séquestré. Les ravisseurs lui reprochaient d’avoir déposé une plainte contre le général Khaled Nezzar en 2001, et voulaient lui faire signer une renonciation à cette plainte. Pour rappel, les 20 et 21 octobre derniers, le Général Nezzar, Ministre de la défense nationale entre 1991 et 1993, a été auditionné par la procureure fédérale suisse, suite à une plainte déposée contre lui pour « suspicion de crimes de guerre », par deux citoyens algérien en exil. Or, en 2001, N. Belmouhoub avait déposé une plainte pour torture à l’encontre du Général Nezzar. Aucune suite n’avait été donnée à cette plainte par la justice algérienne.