Les partis d’opposition démocratique en Algérie 31 mai 2011
La vague de démocratie qui soulève les pays arabes n’a pas atteint l’Algérie. Une des (nombreuses) causes invoquées pour expliquer l’exception algérienne est l’état de son opposition politique, jugée hétéroclite et divisée. Le panorama rapide de cette opposition, présenté dans cet Eclairage, sera limité aux principaux partis d’orientation démocratique. Jusqu’à la réforme constitutionnelle de 1989 instituant le multipartisme en Algérie, ce pays était sous régime de parti unique (le FLN). Aux élections « libres » de 1991 seuls le FIS (islamiste), le FLN, le FFS et le RCD ont obtenu des sièges malgré la naissance de près de 60 partis. Depuis cette date le FFS et le RCD sont les deux principaux partis d’opposition démocratique.
Le Front des forces socialistes (FFS)
Créé en 1963, les armes à la main, par Hocine Aït Ahmed, un chef historique du FLN, le FFS s’est toujours opposé au régime algérien, illégitime à ses yeux depuis le coup de force de 1962. Il préconise la refondation des institutions sur la base d’une Assemblée constituante qui écrirait une nouvelle Constitution (2ème République). Devenu légal en 1989, il boycotte les élections municipales de 1990 mais participe aux législatives de 1991 qui ont vu la victoire électorale du FIS. Le FFS a accepté cette victoire et condamné l’annulation des élections après le premier tour de 1991. Ce légalisme, toujours affirmé aujourd’hui, correspond à sa stratégie politique de fédérer les courants anti-islamistes dans une opposition pacifique (alternance électorale) et laïque, face au « pouvoir liberticide foncièrement opposé au pluralisme et aux Droits humains » qui règne sur l’Algérie. Le FFS est membre de l’Internationale Socialiste. Il a boycotté les élections législatives de 2002 et de 2007 ainsi que la présidentielle de 2009, contestant le fait que ces élections soient libres et équitables. Il n’a donc pas d’élus à l’Assemblée populaire nationale (le parlement algérien). Le FFS, dirigé par un leader de dimension nationale en la personne d’Aït Ahmed, incarne en même temps une forte identité régionale kabyle. Cet ancrage régional, l’exil volontaire de son leader en Suisse, son orientation résolument laïque, éloignent du FFS une grande partie de l’électorat populaire algérien.
Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD)
Fondé en 1989 par des militants provenant du FFS, avec qui ils étaient en rupture, et du mouvement culturel berbère, le RCD s’est imposé dans le champ politico- médiatique grâce au dynamisme de son leader Saïd Sadi. Le RCD participe aux premières élections municipales pluralistes en 1990, et aux élections législatives de 1991. Son anti-islamisme virulent l’amène à appuyer la décision du gouvernement d’alors (et donc de l’armée) d’interrompre le processus électoral pour éviter un « raz-de-marée intégriste » et la « menace de théocratisation de l’État et de la société ». Toujours présent lors des consultations locales et nationales, le RCD entend entrer dans les institutions et, le cas échéant, participer au pouvoir. Saïd Sadi obtient 1 200 000 voix lors de l’élection présidentielle de novembre 1995 boycottée par le FFS et d’autres partis. Cette ascension est confirmée par les législatives de 1997 à l’issue desquelles le RCD entre à l’Assemblée populaire nationale avec 19 députés. Mais aux Présidentielles de 1999 le RCD mène une campagne pour un « boycott actif ». Cela ne l’empêchera pas, finalement, de faire partie de la coalition gouvernementale – qui comporte des islamistes – formée le 24 décembre 1999 avec un ministre à la Santé et un autre aux Transports. Quand les événements de Kabylie éclatent en avril 2001, le RCD se retire du gouvernement, craignant de se couper de sa base électorale régionale. Lors de la présidentielle d’avril 2004 Saïd Sadi atteint péniblement 1 % des suffrages et en 2007 la participation du RCD aux législatives n’est pas plus glorieuse ; ses dix-neuf députés (sur 389) n’ont guère pesé quand ils se sont opposés, en novembre 2008, à la révision de la Constitution qui allait permettre à Abdelaziz Bouteflika de briguer un troisième mandat.
Les autres partis d’opposition de gauche
L’opposition démocratique en Algérie ne se limite pas aux deux « grands partis kabyles ».
Le Parti des travailleurs (PT)
Le Parti des Travailleurs, créé en 1990, est connu à travers son porte-parole, Louisa Hanoune, jeune femme populaire pour ses interventions généreuses et très critiques vis-à-vis de la situation économique et sociale. Louisa Hanoune, en militante trotskyste, développe un discours virulent contre toute réforme tendant à libéraliser l’économie. Elle préconise un renforcement du secteur public pour mieux prendre en charge les demandes sociales en matière d’emploi, de logement, de santé, de scolarisation, etc. Signataire des accords de Rome en 1995, le PT s’est satisfait de son intégration à l’Assemblée populaire nationale où il a obtenu 4 sièges en 1997 et 21 en 2002. Pendant longtemps alliés, le PT et le FFS se sont éloignés sur la revendication d’une commission d’enquête inter- nationale sur les massacres et les assassinats (Le PT était contre). Louisa Hanoune, fut en 2004 la première femme du monde arabe à se présenter comme candidate à une élection présidentielle (1% des suffrages), candidature renouvelée en 2009 (4%).
Les héritiers du Parti communiste algérien (PCA)
Le Parti Communiste Algérien (créé en 1920) participe activement à la lutte d’indépendance mais en 1964 il est interdit et dissous. Les communistes algériens se regroupent en 1967 dans le Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), qui a apporté sa caution au pouvoir militaire de Boumédiène. En 1999, ils organisent un congrès d’étape et adoptent un nouveau nom : le Mouvement de la démocratie sociale (MDS). D’un « soutien critique » au pouvoir, ils passent à une opposition systématique. À leurs yeux, le régime est coupable de laxisme, voire de complicité, avec les fondamentalistes religieux. Englués dans des débats stériles, coupés du mouvement ouvrier et paysan (totalement récupéré par le pouvoir), les communistes se déchirent depuis la disparition de leur leader, le charismatique Hachemi Cherif, cinéaste et polémiste de talent, mort le 2 août 2005. Boycottant toutes les consultations électorales depuis l’indépendance, ils sont relativement absents de la vie publique.
Bilan de ce tour d’horizon.
Les dernières élections législatives (2007) ont donné la majorité à une coalition composée du FLN, parti du président de la République, du RND, parti du premier ministre et du MSP, parti islamiste. L’opposition, très minoritaire, est composée des traditionnels partis d’opposition comme le PT de Louisa Hanoune et le RCD de Saadi, le FFS ayant boycotté cette élection.
Usés, divisés et coupés de la population, tels apparaissent les partis d’opposition démocratique en Algérie. Le FFS et le RCD, principaux animateurs de la vie politique algérienne, apparaissent comme les représentants d’une « élite » diplômée, occidentalisée, laïque, attachée aux droits de l’homme et à la démocratie ; dans un pays où les identités régionales, et les pratiques clientélistes locales sont très marquées, ils sont aussi perçus comme les partis des kabyles. A cela s’ajoute la rivalité historique entre les deux partis dont les références idéologique et la base électorale sont pourtant largement communes. Le rapprochement entre FFS et RCD semble inenvisageable à court terme. La moindre initiative de l’un des deux frères ennemis suscite méfiance et circonspection au sein de la classe politique et de l’opinion, car elle est assimilée à une manœuvre pour piéger le rival. Pour schématiser, le RCD accuse le FFS de faire le jeu des islamistes et le FFS accuse le RCD de faire le jeu de l’armée. Les effets désastreux de cette rivalité se font sentir dans le contexte actuel de revendication démocratique dans le Maghreb qui, pourtant, a redonné une visibilité aux deux partis. Le 21 janvier dernier le RCD a rejoint le mouvement lancé par la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) et des organisations de la société civile, notamment des syndicats autonomes, qui a conduit à la création de la CNCD (Coordination nationale pour le changement et la démocratie, cf. Echo 1er trimestre 2011). Le FFS ne s’est pas joint à ce mouvement. Officiellement le FFS désapprouvait ce qu’il pressentait être une stratégie de recherche d’affrontement avec les forces de l’ordre, une stratégie de guerre civile (on se souvient que depuis, une scission s’est produite au sein de la CNCD, le RCD restant seul partisan des marches du samedi !). Seul point de convergence actuel : le refus de participer aux consultations gouvernementales en vue des réformes annoncées dans le discours présidentiel du 15 avril, les deux partis utilisant les termes de « bricolage politique » à propos de ces réformes. Mais, de son côté, le PT ne s’est pas associé à la CNCD pour « ne pas marcher au côté d’un parti de droite (le RCD) qui a cautionné les réformes des pouvoirs publics, lorsqu’il était au gouvernement » et récemment son leader, Louisa Hanoune, n’excluait pas un accord avec le gouvernement sur les réformes à venir !
Ainsi va l’opposition en Algérie. Pour Selma Belaala, chercheuse à l’université de Warwick (Royaume-Uni) »L’Algérie manque cruellement d’une opposition (…). La population est sans représentant, sans organisation politique capable de reprendre à son compte un message protestataire. » Les uns agissent sans exister pendant que les autres existent sans agir.