Forum social mondial de Provence à Gardanne 22 avril 2011
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Dans cet article nous en rendons compte en trois points.
1 – La laïcité : qu’est-ce que c’est ? Rappel et histoire
Par Anne Torunczyk, vice présidente de la section d’Aix en Provence de la ldh.
Sources : Annie Rouquier, historienne, LDH, Aix
Jean-Paul Scot, historien (cf article trouvé sur Médiapart, 14 avril 2011 « Liberté-Egalité-Laïcité ».)
Laïcité : un principe républicain. Conseil d’Etat, rapport public 2004.
La loi de 1905 instituant le principe de la laïcité est le résultat d’un long processus de sécularisation de la société française, c’est-à-dire de la séparation du sacré et du profane.
Déjà sous l’Ancien Régime, il y avait eu des conflits entre le pouvoir politique des rois et l’autorité du pape, qui avaient accoutumé les esprits à distinguer les deux domaines.
La France fut le premier état à reconnaître la tolérance religieuse, dans l’Edit de Nantes accordé en 1598 par Henri IV à ses sujets protestants. Mais cette tolérance n’est pas un droit égal accordé à tous – y compris aux non-croyants. C’est une faveur du prince. L’Edit de Nantes sera d’ailleurs annulé en 1685 par Louis XIV. La pluralité des religions, ce n’est pas l’égalité des droits. La laïcité ne se réduit pas à la seule tolérance.
C’est la Révolution Française qui représente l’étape décisive dans le processus de laïcisation de l’Etat et de sécularisation de la société, avec la Déclaration des droits de l’Homme.
Article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »
La proclamation de la liberté de conscience (qui ne se réduit pas à la liberté religieuse, donc qui n’exclut plus les non-croyants) n’émane plus d’un roi mais de la nation, et, surtout, elle fait partie d’une déclaration qui affirme aussi l’égalité des droits (« Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits »)
Après la Révolution, pour conforter son pouvoir et garder droit de regard sur la nomination des membres du clergé, Napoléon Bonaparte impose en 1802 le régime des « cultes reconnus » : catholique, protestant, juif, dont les ministres sont payés par l’Etat.
Tout le XIXe siècle est traversé par les conflits entre les forces de l’Ancien Régime soutenus par l’Eglise, et les républicains, anticléricaux parce qu’hostiles à ce que le clergé se mêle des affaires publiques.
La Troisième République qui s’établit en 1871 fait très vite des lois laïques : gratuité de l’enseignement primaire (1881), obligatoire pour les filles et les garçons (1882), laïque (1883) et réservant les fonds publics à l’enseignement public.
L’Affaire Dreyfus (1894-1906) marque l’exacerbation du conflit entre les deux courants, clérical et antirépublicain, anticlérical et républicain : l’Affaire révèle en effet que de nombreux catholiques préfèrent défendre l’honneur de l’armée que les droits d’un Juif victime d’une erreur judiciaire. De violentes émeutes remettent en question la république, déchirant le pays et menaçant de tourner à la guerre civile.
La loi de 1905, relative à la « séparation de l’Eglise et de l’Etat », est l’aboutissement de la conquête de la laïcité. Elle se veut une loi d’apaisement. Ses principes devraient être sérieusement révisés aujourd’hui par nos gouvernants, Nicolas Sarkozy en tête.
Article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions… de l’ordre public ».
La laïcité n’est donc pas instituée contre les religions, encore moins contre une religion. Elle permet au contraire à tous – croyants de toutes religions et non-croyants – de vivre ensemble, avec l’obligation de respecter le droit commun. C’est donc un principe de liberté et de tolérance.
Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucune culte. »
La France met ainsi fin au régime des « cultes reconnus » – contrairement à la plupart des autres Etats européens. La République ne reconnaît que des citoyens, pas des croyants ou des incroyants.
Cette neutralité – que nos gouvernants actuels ne cessent de transgresser lorsqu’ils font des musulmans des boucs émissaires – signifie que l’Etat n’a pas à se mêler de religions ni de croyances et, inversement, qu’aucune institution religieuse ne peut prétendre exercer un pouvoir politique ni imposer ses dogmes aux institutions civiles.
Par contre, l’Etat reconnaît l’existence des religions et leur pluralisme : garant de la liberté religieuse, il se doit de protéger les cultes minoritaires contre les discriminations. Là encore, nos dirigeants devraient réviser leurs connaissances en la matière !
La laïcité repose sur l’articulation des principes de liberté de conscience, d’égalité des droits et de neutralité de l’Etat à l’égard de toutes les convictions.
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». C’est le préambule de la Constitution qui l’affirme.
On ne peut sans la dénaturer couper la laïcité des autres valeurs républicaines – ce que font allègrement les Guéant, Copé, Sarkozy, sans parler de Marine Le Pen – en désignant « les musulmans » (c’est-à-dire les Arabes !) à la vindicte publique.
2 – L’instrumentalisation xénophobe de la laïcité
Notes prises au cours de l’exposé de Laurent Lévy, avocat, auteur en particulier de « « La gauche », les noirs et les arabes », éditions La Fabrique, 2010.
Pendant des décennies, on n’a plus parlé de la laïcité. Ce qui a fait ressurgir le débat sur la laïcité, ce sont les problèmes liés à l’immigration, le régime instauré en Iran, et surtout le 11-septembre. On a « islamisé » les gens d’origine maghrébine. Une génération de Français est apparue, d’origine maghrébine, de culture musulmane. Le regard jeté sur le « bougnoul », hérité du colonialisme, devenait intenable vis-à-vis de Français. Mais, d’autre part, on a refusé d’assumer notre passé colonial. D’où l’instrumentalisation de la laïcité. L’usage de la laïcité n’est pas anodin. On a substitué au mot Etat le mot « société ». L’ Etat est laïque, la société non ! Lorsqu’on impose aux citoyens un devoir de réserve sur leurs opinions, religieuses ou pas, dans l’espace public, il y a confusion des genres. L’espace public n’appartient pas à l’Etat mais à la Société, à tout un chacun. C’est un espace de socialité et aussi un espace privé dans lequel tout un chacun doit se sentir libre d’être comme il l’entend, ses droits étant limités uniquement par ceux des autres (je ne peux pas me coucher en travers du trottoir parce que je gêne la circulation des autres, l’exhibition est une agression des autres – d’ailleurs qui change selon les époques, etc.). Dans une école, le personnel est représentant de l’Etat et doit donc à ce titre être neutre, mais les usagers, élèves ou leurs parents sont libres – devraient l’être – de leurs opinions et ne sont pas tenus à un devoir de réserve (reste la question du prosélytisme, religieux, politique…). Cette confusion entre l’Etat et la société a permis l’interdiction du voile à l’école ; et celle de la burqa. Pour promulguer la loi sur la burqa il fallait la faire reposer sur l’« ordre public » ; et on a inventé un principe d’ »ordre public sociétal ». Une telle logique est grosse d’une dérive totalitaire, car elle introduit la possibilité pour l’Etat d’imposer des interdits dans l’espace sociétal – ce qui est un abus de pouvoir, et dans la vie privée des citoyens.
La laïcité est la garantie pour tous les citoyens de leur liberté d’opinion, de conscience, y compris dans l’espace public dans lequel se déroule leur vie. Elle est intrinsèquement liée à la liberté, l’égalité et la fraternité, elle en est la garantie. Elle assure le respect de tous par tous dans leurs opinions diverses, elle est la base d’un vouloir vivre ensemble, dans les différences. L’utilisation de la laïcité pour stigmatiser une religion (l’Islam) ou toute opinion, est une perversion. Elle est alors au service d’une négation de la liberté des citoyens, elle nie la fraternité.
3 – Comment progresser ? Comment engager le dialogue sur ces questions de laïcité, xénophobie, islamophobie ?
C’était l’objectif de l’atelier : nos modes d’expression habituels (tracts, débats…) ne sont pas toujours adéquats ; nous avons de grandes difficultés pour rencontrer, dialoguer, convaincre en particulier avec deux types de populations :
celles et ceux qui sont ou sont susceptibles d’être sensibles aux thèses xénophobes du Front national et du gouvernement,
les jeunes, en particuliers des quartiers populaires.
Les propositions issues des réflexions de l’atelier peuvent être ainsi résumées :
a – Attitudes
> écouter, laisser s’exprimer
> respecter l’autre, apprendre à vivre ensemble
> penser l’identité hors de la sphère religieuse ou de celle des origines (bien souvent un gosse de cité est élève de tel collège, membre de tel club de foot, membre de telle bande de copains, avant d’être musulman ou arabe). Faire passer de la « masse identitaire » aux personnes qui sont toutes différentes
> dans le dialogue reconnaître les peurs, et aussi les nôtres, et les démystifier après
> aux crispations de la société française « de souche » répondent les crispations des immigrés ou français descendants proches d’immigrés, c’est une réalité qu’il faut prendre en compte.
> ne pas jeter l’anathème
> être tolérants, mais « pas trop »
> se préoccuper des militants politiques et syndicaux qui peuvent être influencés par les propos xénophobes.
b – Propos
> informer sur la laïcité, sur les discriminations
> aborder par le concret, la vie quotidienne
> Nous sommes tous quelque part xénophobes. Il faut poser le problème autrement : comment vivre ensemble avec toutes nos diversités ? il faut se référer à une identité hors religion : chaque individu a le choix entre un grand éventail de possibilités et a le droit de vivre la vie qu’il s’est choisie
> ne pas répondre aux propos racistes par de la morale : celle-ci ne fait que renforcer l’autre dans ses convictions, et coupe toute possibilité de discussion
> par des questions amener les protagonistes à voir les conséquences de leurs affirmations. Amener à la nécessité de pouvoir vivre ensemble.
c – Modes, formes
> les intermédiaires privilégiés sont les partis politiques, les syndicats, les associations de terrain. Il faut les mobiliser tout comme il faut se tourner vers les enseignants
> les fêtes, théâtres de rue, musiques etc. doivent permettre à tous de réaliser qu’ils sont chez eux ici et maintenant : les « Maghrébins » ne sont plus des immigrés mais des habitants de leur quartier, les « Français de souche » habitent maintenant leurs quartiers qui sont différents de ce qu’ils imaginaient dans leur enfance, tous sont chez eux ici, actuellement. Nous constituons le peuple de France, dans toute sa diversité
> films + débat
> utiliser l’Internet : sites et réseaux sociaux
> les tracts doivent être simples, rédigés dans un style compréhensible
> actions vis-à-vis des élèves
> campagnes pour inciter au vote (surtout auprès des jeunes)
> se former au dialogue, à la maïeutique.
Philippe Sénégas
Président de la section d’Aix en Provence de la LDH